L’une des applications de lecture de mangas en simultrad les plus populaires est désormais disponible en français. Comment fonctionne-t-elle et pourquoi ne concurrence-t-elle pas les ventes classiques ? Décryptage.
Produits culturels très populaires, les mangas font également partie des œuvres les plus piratées. En cause, notamment, le scantrad où des « fans » publient les titres les plus populaires traduits à la volée dès leur parution au Japon. Pour lutter contre ce phénomène, les éditeurs de mangas se sont inspirés des séries TV en proposant du simultrad, à savoir une version officielle de l’œuvre traduite et mise en page par des professionnels dans la langue cible. L’une de ces applications phares est Manga Plus, proposée par Sueisha, le principal éditeur de magazines de prépublication de mangas au Japon. Elle arrive enfin en France pour la modique somme de… zéro euro.
Une lecture gratuite et au chapitre
Pour commencer à lire, il faut télécharger l’application sous iOS ou Android ou aller sur le site Web. Après avoir créé son compte, le lecteur choisit les langues dans lesquelles il veut lire ses mangas. Si l’offre française est encore mince, avec seulement huit titres (Jujutsu Kaisen, One Piece, My Hero Academia, Black Cover, Kaiju n° 8, Undead Unluck, Mashle et Mission Yokazura Family), d’autres langues sont disponibles : anglais (119 titres), espagnol (68 titres), portugais (4 titres), russe (11 titres), thaï (6 titres) et malais (5 titres). L’offre reprend le découpage par chapitres tels qu’ils sont parus dans les magazines de Sueisha, et non en volume (contrairement aux albums dans le commerce). Les trois premiers chapitres sont disponibles en permanence à la lecture, puis de nouveaux apparaissent au fil des semaines, effaçant les plus anciens (à compter du quatrième). Pour les titres en cours de parution, seuls les trois derniers chapitres sont disponibles et pour les séries terminées et rééditées sous cette forme, ce sont les six derniers. L’utilisateur peut s’abonner aux titres de son choix et recevoir une alerte quand des nouveautés sont arrivées pour l’un d’entre eux.
Une vitrine et une arme anti-pirate
Pour les lecteurs, Manga Plus (et ses applications sœurs comme Mangas.io ou Glénat Manga Max) est une solution pour (re)découvrir tranquillement de nouvelles et anciennes séries. Elle donne l’occasion au lecteur de se faire une idée sur un titre en particulier avant de le (re)lire en entier en achetant l’album en papier ou en numérique chez son libraire.
N’étant pas commercialisée, c’est de la promotion pour nos titres et non de la concurrence. C’est aussi une façon de lutter contre les sites de scantrad pirates.
Timothée Guédon,Editeur de Kana
Face à la montée de phénomène, une question se pose : comment les éditeurs francophones voient-ils cette nouvelle offre ? Pour Grégoire Helliot, directeur éditorial de Kurokawa, « Manga Plus est une véritable aubaine en termes de diffusion et de notoriété pour les séries, mais un petit casse-tête organisationnel pour passer d’un schéma de production classique à celui de production hebdomadaire en direct avec le Japon ». Il pense que le modèle Manga Plus est spécifiquement créé pour donner envie aux lecteurs d’acheter les tomes reliés et son arrivée n’est absolument pas vécue comme concurrentielle, mais au contraire comme l’émergence d’un nouveau canal de communication.
Timothée Guédon, éditeur de Kana, voit cette offre « plutôt d’un bon œil. N’étant pas commercialisée, c’est de la promotion pour nos titres et non de la concurrence. C’est aussi une façon de lutter contre les sites de scantrad pirates ». Satoko Inaba, directrice éditoriale manga chez Glénat, affirme qu’il y a deux grands intérêts à cette démarche : protéger les droits et les intérêts de l’auteur pour qu’il puisse vivre de son art, et protéger la qualité de l’œuvre, en proposant un travail de qualité professionnelle. L’éditeur français est d’ailleurs présent sur Manga Plus, mais il dispose aussi de sa propre plateforme : « Glénat Manga Max est une vitrine, une bibliothèque où les lecteurs peuvent venir découvrir notre très grand catalogue, qui a plus de 30 ans d’histoire, et le site les réorientera vers les professionnels de la vente. »
Un nouveau rythme à adopter
Il n’empêche que cette nouvelle solution rebat les cartes et la façon de travailler. Timothée Guedon reconnaît que le simultrad est un processus assez compliqué, car « il faut récupérer le chapitre en japonais, le faire retraduire, le corriger, le lettrer et le renvoyer au Japon pour que Shueisha le mette en ligne. Ce qui veut dire arrêter ce que l’on est en train de faire pour s’en occuper ». Le tout en ayant une semaine de battement, là où pour les précédentes expériences de Kana sur le simultrad avec des titres comme Boruto, le rythme était mensuel. D’autant que le travail n’est pas fini. Comme le précise Satoko Inaba, le simultrad « ne nous empêche pas de retravailler sur la traduction et le lettrage pour l’édition en volume relié, mais nous avons gagné en vitesse de travail et pouvons inclure une étape de relecture supplémentaire au cas où une coquille nous aurait échappé au moment de la simultrad ». Un nouveau rythme plus soutenu qu’il est difficile d’envisager pour tous les titres du catalogue, mais qui porte ses fruits. Timothée Guédon souligne le fait que les premiers résultats sont assez encourageants : « l’arrivée de Manga Plus a fait fermer des sites de scantrad ».