Cocréateur de The OA et président du jury de la compétition internationale de Series Mania, Zal Batmanglij a le don d’imaginer des histoires sensibles et fascinantes. On l’a retrouvé dans les coulisses du festival pour parler de son sujet favori : les séries.
L’horloge affiche 18h30. Zal Batmanglij a enchaîné les interviews tout l’après-midi, mais nous accueille avec un sourire chaleureux. Costume ajusté, mèche de cheveux élégamment coiffée : le cinéaste ne semble pas affecté par ces heures d’échange. Il lance notre jeu de questions-réponses avec une grande bienveillance, prenant le temps de répondre à chacune de nos interrogations avec son sérieux et son calme légendaires.
En tant que président du jury de la compétition internationale, vous êtes le mieux placé pour répondre à cette grande question : qu’est-ce qui fait une bonne série ?
Une bonne série, c’est comme un bon repas : c’est une question d’harmonie. Quand tous les éléments sont réunis et que la collaboration fonctionne, ça ne peut que marcher.
Vous avez imaginé et réalisé The OA, un chef-d’œuvre étonnant, poétique et bouleversant qui a fasciné les spectateurs. Comment peut-on encore surprendre le public alors que des centaines de séries sortent tous les ans ?
C’est une très bonne question, à laquelle je n’ai pas de réponse. La surprise et l’originalité sont nécessaires, mais je ne sais pas comment on peut encore étonner les spectateurs aujourd’hui. De mon côté, j’ai besoin de temps pour faire le vide dans ma tête.
Le secret d’un bon scénario, c’est donc la méditation ?
Exactement ! Ce temps de “vide” est nécessaire pour se poser les bonnes questions, pour savoir ce qu’on veut, pour sentir vers quelle histoire nous devons nous diriger… Par exemple, j’ai senti que je devais raconter l’histoire de The OA. Elle s’est imposée à moi, elle était essentielle.
L’annulation de cette série a peiné tous ses fans, dont nous faisons partie. Comment avez-vous réagi quand Netflix vous a annoncé qu’il n’y aurait pas de troisième saison ?
J’ai pleuré. Je serai toujours reconnaissant envers Netflix de nous avoir fait confiance, dès le début. Ils ont cru en cette production très originale, au point de la renouveler pour une seconde salve. Mais quand ils nous ont appris que c’était terminé, j’ai été vraiment très triste. On a beaucoup travaillé durant ces quatre années, on a tout donné, et cette annulation a été un coup dur. On aurait aimé être soutenu par la plateforme pour une saison de plus, mais ça n’a pas fonctionné. C’est ok, c’est la vie. Mais je pense qu’on doit absolument finir The OA, d’une manière ou d’une autre.
Vos shows accordent une grande place à la poésie et au rêve. Où parvenez-vous à les trouver, malgré la brutalité du quotidien et de l’actualité ?
Pour moi, la poésie, le rêve et la brutalité se promènent ensemble, tous les jours. On les trouve partout, tout le temps, et même au fond de nous. Je pense que l’amour est un bel exemple de cette cohabitation étonnante.
Dans The OA, Prairie nous fait entrer dans sa tête, dans son monde intérieur. À quoi ressemble le vôtre ?
Le mien est très calme. Ma vie est un véritable chaos, mais ma tête renferme beaucoup de tranquillité. Celui de Prairie est très onirique et spirituel, mais le mien est plus terre à terre. Si je devais l’imager, je dirais qu’il ressemble à un grand espace vert imaginé et dessiné par Miyazaki. Il y a du vent, de belles couleurs et un peu de poésie.
Un meurtre au bout du monde dénonce avec subtilité les violences faites aux femmes. Pourquoi était-ce important pour vous de construire une intrigue autour de ce sujet ?
Quand on réfléchissait au scénario, Britt m’a dit : “Mais pourquoi tous les thrillers commencent-ils avec une femme morte, nue, qui a de la saleté sur le visage ?” Elle m’a demandé si on pouvait la ressusciter, lui remettre ses vêtements, nettoyer sa peau et la laisser être la détective qui va résoudre cette affaire. Elle voulait lui retirer ce statut de victime et la rendre plus forte.
Avez-vous la sensation que les films et séries parviennent à s’emparer de ce sujet d’une manière crédible et réaliste ?
J’ai été époustouflé par des productions comme Anatomie d’une chute, Barbie et la saison 4 de True Detective. En revanche, je suis assez triste de constater qu’il y a encore trop peu de séries qui mettent en avant, et au premier plan, ces femmes fortes.
Quels conseils donneriez-vous à une personne qui rêve d’écrire ou de réaliser une série, mais qui n’ose pas sauter le pas ?
On est dans la meilleure période pour se lancer ! Comme on dit, “Sky is the limit”. Lancez des podcasts, proposez des contenus surprenants sur Instagram… On se dit qu’on ne sait pas raconter des histoires, mais, en réalité, on le fait à longueur de journée sans vraiment s’en rendre compte.
Justement, quels sont vos trois récits préférés de tous les temps ?
Les Chevaliers du Zodiaque, Le Monde sur le fil de Rainer Werner Fassbinder et Years and Years. Ces trois séries sont très originales, mais la dernière m’a profondément marqué. Je n’étais pas la même personne quand j’ai commencé, puis achevé son visionnage. Elle m’a permis de voir la vie différemment.