Dans cette adaptation du roman de N.Richard Nash, le vétéran du cinéma américain se met en scène dans la peau de Mike Milo, ancienne star de rodéo tombée en désuétude, chargé par son ex-employeur de lui ramener son jeune fils Rafael errant de l’autre côté de la frontière mexicaine sous l’emprise d’une mère alcoolique et omnipotente.
À première vue, le dernier film de Clint Eastwood a tout d’une erreur de parcours dans une immense filmographie qu’on ne présente plus. Des personnages stéréotypés, une intrigue cousue de fil blanc, un faux rythme éreintant, des scènes frôlant le ridicule et un ensemble d’interprétations bancales, qui font de Cry Macho un film certainement mineur dans la filmographie de Clint Eastwood. Mineur, voire grotesque par moments (nous ne nous sommes pas encore tout à fait remis de l’attaque du coq « Macho », coqueluche du film, sur un homme de main lourdement armé), mais pas si oubliable que cela, tant celui-ci est traversé de bout en bout par cette inquiétude, ou cette certitude qui ne s’assume pas totalement, que cela pourrait effectivement être le dernier passage devant et derrière la caméra de cette figure emblématique du cinéma moderne. À 91 ans, et après plus de quarante films en tant que metteur en scène, le réalisateur de Sur la route de Madison (1995) et Mystic River (2003) n’a plus rien à prouver et s’acharne pourtant à remettre en scène – et en selle – ce fantôme du héros ordinaire, de l’ange déchu, reclus dans son ranch et profitant paisiblement de sa retraite américaine qui, convoqué par une cause plus grande que lui, reprend finalement du service pour un dernier boulot. Ce leitmotiv du « one last job », itération d’un seul et même souci de rédemption, Eastwood ne cessera d’y revenir, d’Impitoyable (1992) à Million Dollar Baby (2004) en passant par Space Cowboys (2000) ou, sur un versant plus directement moral – pour ne pas dire idéologique – Gran Torino (2008).
Requiem pour un cow-boy
Cry Macho est à la fois pénible et fascinant ; pénible, car trop lisse, anecdotique et déroulant une morale stérile ; mais en même temps fascinant par cette dévotion quasi enfantine de Clint Eastwood au jeu d’acteur, traînant ce corps lent et boiteux dans des décors forcément anachroniques, à l’instar du restaurant dans lequel Rafo et Mike trouvent refuge, sorte de saloon figé dans le temps et ravivé par la lumière rasante qui soulève la poussière. En quelque sorte, Mike et son acolyte traversent moins le Mexique des années 1980 que les décors en carton-pâte des westerns spaghettis qui ont façonné cette panoplie du cow-boy taiseux, sévère mais droit, qui a toujours collé à la peau de Clint Eastwood. Avec toujours ce petit sourire en coin, « Blondin » croit encore pouvoir séduire le spectateur malgré les affres du temps : cette foi inébranlable, que l’on soit effectivement séduit ou non, mérite qu’on s’y attarde. L’artifice est outrancièrement visible, à l’image des rares scènes d’action du film où Eastwood est relayé par sa doublure. On serait presque tenté de ricaner d’un plan à l’autre, tant les raccords sont grossiers. Mais c’est justement cette candeur qu’Eastwood promène sagement avec lui qui sauve le film de sa propre vacuité et nous interdit de rire.
Après une décennie de films passée à brosser sa vision quelque peu téléologique du héros américain contemporain – American Sniper, Sully, Le 15h17 pour Paris et Le Cas Richard Jewell sont tous sortis entre 2014 et 2019 – Eastwood ne pouvait finalement finir que par retourner le miroir sur sa propre persona. Cet examen rigoureux de soi, d’un cinéaste et acteur conscient de ses failles, l’emporte sur le reste. Cry Macho est à mille lieues des chefs-d’œuvre dont a accouché Eastwood au long de sa carrière, mais a au moins voix au chapitre grâce à cet autoportrait de lonesome cowboy fatigué qui attend la nuit pour pleurer. C’est là que le plus beau plan du film, qui est aussi le plus émouvant, est précisément logé : dans la petite chapelle que Mike et Rafo s’approprient pour la nuit, Mike s’allonge sur un banc et, son fidèle chapeau recouvrant ses yeux, se livre à Rafo sur sa blessure la plus profonde. La lumière révèle seulement ses mains entrelacées et le menton collé au buste : Eastwood s’enroule alors dans la posture d’un corps que l’on viendrait pleurer sur son lit de mort. C’est là, dans le clair-obscur de la confession, qu’Eastwood met en scène l’horizon de sa propre disparition, avec ce sanglot perçant l’obscurité qui adoucit la rigidité qu’il a toujours incarnée.
« Freedom is just on the other side of this hill, kid » (« La liberté est de l’autre côté de cette colline, fiston »).
Cry Macho, un film de Clint Eastwood. Avec Clint Eastwood, Dwight Yoakam, Eduardo Minett. 1h44. En salles le 10 novembre 2021