Après la PMA dans Une histoire d’amour (2020), Alexis Michalik s’attaque, dans sa dernière pièce, Passeport, à un autre sujet d’actualité : l’immigration. Pour en parler, l’auteur et metteur en scène de théâtre joue la carte du spectacle populaire bien ficelé, celle qui lui permet le mieux de rassembler et de faire passer des messages au plus grand nombre. Pari réussi.
Acteur, dramaturge, metteur en scène, scénariste, réalisateur et écrivain franco-britannique, Alexis Michalik excelle dans tous les domaines. Couronné, entre autres, de cinq Molières, le génie du théâtre doit son succès à une patte singulière, une bonne dose d’empathie et un maniement du retournement de situation remarquable. Présentée actuellement au Théâtre de La Renaissance, à Paris, écrin au sein duquel L’Éclaireur a rencontré l’artiste, Passeport ne déroge pas à cette règle.
Passeport fait écho à l’actualité et à la loi immigration. Pourtant, vous l’avez écrite il y a plus d’un an. Pouvez-vous nous parler de la genèse de ce projet ?
Je ne pars jamais d’un thème. C’est l’histoire qui me guide vers lui. La plupart du temps, je construis mes pièces à partir de la fin qui me vient en premier. Je savais que celle-ci allait se passer dans la “jungle” de Calais. Je me suis donc documenté sur le sujet, puis sur l’immigration en France et dans le monde, à l’heure actuelle et au cours de l’histoire. Les informations que j’ai pu recueillir ont nourri ce récit. Au fil du temps, ces deux histoires parallèles ont pris forme : d’un côté, celle des réfugiés, Issa, Ali et Arun, et de l’autre celle de Jeanne et Lucas, deux Français noirs avec leurs propres questions identitaires.
Sur l’immigration, le personnage de Jeanne, une journaliste engagée, prend position lors d’un monologue enflammé. À travers sa voix, peut-on déceler votre opinion ?
Le thème des origines me passionne. J’en parle souvent, notamment dans mon roman Loin (2019), une quête initiatique. Ma mère est Anglaise, la sienne était Australienne et son père Irlandais. Du côté de mon père, mon grand-père est arrivé de Pologne en France en 1926, à l’âge de 2 ans. Pour ma part, je suis résolument Parisien, mais issu d’un quartier populaire, situé entre les métros Blanche et Anvers, dans lequel s’épanouit une grande mixité culturelle.
Pendant de longues années, cette partie du 18e arrondissement de Paris était la vision que j’avais de la société française. Des années plus tard, j’ai compris que ce n’était pas le cas de tout le monde. Je suis donc concerné par le sujet. Ayant décidé de le traiter, je me suis senti obligé de briser les idées reçues sur l’immigration et de donner mon point de vue, nourri de lectures, de chiffres et de statistiques, par le biais de la parole de Jeanne et de cette scène frontale.
À quel point l’empathie est-elle importante lorsque vous imaginez vos personnages ?
L’empathie est la porte d’entrée de mon travail, qui conduit vers la tolérance. Quand je compose des personnages, je fais en sorte que le public puisse entrer en résonance avec eux. Plus qu’un engagement, cette pièce est, à mon sens, un message humaniste tourné vers l’accueil, l’inclusion, l’intégration et l’ouverture d’esprit.
On retrouve dans Passeport votre patte, cet esprit de troupe de théâtre qui vous est cher. Sans hiérarchie, les comédiens y jouent plusieurs rôles et font évoluer les décors lors de chorégraphies singulières.
Plus qu’un exercice de style, cela vient d’une nécessité. J’écris en totale liberté, en donnant la priorité à la narration et aux rebondissements. Ensuite, seulement, se pose la question de comment mettre en scène tous ces personnages et ces décors, sans exploser le budget et sans casser le rythme : mon obsession.
J’ai donc recours à ces astuces, cette chorégraphie qui fait ma patte. Mais je n’ai rien inventé, cet esprit de la troupe et des décors mouvants me viennent d’Ariane Mnouchkine, la simplicité et l’épure de Peter Brook, et la narration sinueuse de Wajdi Mouawad.
Le personnage d’Ali cite souvent William Shakespeare. Est-ce votre mentor spirituel ?
C’est le dieu de tous les dramaturges. Dans tous mes spectacles, je lui adresse un clin d’œil. Même dans la plus mineure de ses œuvres, il y a un élément génial. Il était à la fois poète, excellent auteur de comédie et brillant scénariste. Il s’adressait à tous les publics en mélangeant quelques blagues de cul triviales à une poésie plus intellectuelle.
Cette pièce repose sur un twist final remarquable. Surprendre le spectateur, est-ce une de vos obsessions ?
Absolument et pas forcément par un twist final ! En tant que spectateur, j’aime aussi être surpris, je suis assez fan du Sixième Sens de M. Night Shyamalan ou d’Inception de Christopher Nolan, des modèles du genre dans lesquels les pistes narratives sont démultipliées. Je m’en suis inspiré, comme de la trilogie théâtrale Littoral, Incendies et Forêts de Wajdi Mouawad. Mes pièces sont assez cinématographiques, dans le sens où j’emprunte des codes de l’écriture de scénario, mais elles restent malgré tout très théâtrales.
Pensez-vous adapter Passeport au cinéma ?
J’ai déjà adapté au cinéma deux de mes pièces : Edmond (2019) et Une histoire d’amour (2023). Ceci étant dit, je ne considère pas du tout le cinéma comme un but en soi ou la consécration pour une pièce. J’aimerais désormais travailler sur un projet exclusivement cinématographique.