Au début de l’année 2021, le manga représentait une vente de bande dessinée sur deux en France. Ce produit culturel longtemps décrié s’industrialise et s’ouvre à de nouveaux publics et créateurs.
Le manga est devenu un produit incontournable dans les librairies. En France, ses ventes ont augmenté de près de 120 % par rapport à 2020. Si les problèmes d’approvisionnement (notamment en papier) risquent de freiner cette expansion l’an prochain, la tendance de fond n’est pas près de disparaître. Le Premier ministre japonais actuel, Fumio Kishida, se déclare fan de la série Demon Slayer et s’est engagé à « augmenter les revenus des personnes impliquées dans l’industrie japonaise du soft power comme les mangas, les anime et les films » lors de son discours d’investiture.
Une dizaine de maisons d’édition spécialisées en France
Depuis l’arrivée des mangas en France dans les années 1990 (qui étaient au départ traduits à partir des versions anglophones, comme Akira), la place de cette bande dessinée japonaise a bien changé. Satoko Inaba, directrice éditoriale manga aux éditions Glénat, le constate : « Le manga, autrefois considéré comme une curiosité exotique, est maintenant une littérature bien installée en France avec plusieurs générations de lecteurs. Une diversité qui nous permet de proposer différents types de publications, du shonen (manga d’action commercialisé pour les jeunes adolescents) au seinen (manga pour public adulte, dans sa thématique ou par des aspects violents ou sexuellement explicites sans être pornographiques), de la science-fiction à la tranche de vie. »
Elle explique que le secteur s’est également professionnalisé. On compte aujourd’hui une dizaine d’éditeurs de manga. En général, ces maisons recrutent une personne qui parle couramment japonais pour pouvoir découvrir les nouveaux titres, échanger avec l’ayant droit ou vérifier les traductions. « Du côté japonais, il y a également une prise de conscience de l’existence d’un marché international, ce qui nous permet de travailler plus rapidement et d’une manière plus rapprochée du cœur de la création. »
95 % des mangas proviennent du Japon
Le mot est lâché : professionnalisation du secteur. Grégoire Hellot, directeur de collection chez Kurokawa, l’a vécu : « Le changement intervient surtout dans l’arrivée d’une nouvelle génération de jeunes salariés fans de mangas sur la globalité de la chaîne du livre. Lorsque je suis arrivé chez Univers Poche il y a 15 ans, les gens me regardaient bizarrement dans cette maison littéraire, et l’équipe commerciale ou marketing, habituée à Marc Levy, s’interrogeait sur ces personnages aux grands yeux. Aujourd’hui, la majorité de mes interlocuteurs sont plus jeunes que moi, fraîchement diplômés et gros lecteurs de mangas (que ce soit sur Internet ou chez nos partenaires, distributeurs ou libraires) et le dialogue ou les présentations commerciales s’en trouvent grandement fluidifiées. »
Satoko Inaba explique que sa société étudie tout ce qui est publié au Japon et étudie les titres qui pourraient intéresser son public. « Aujourd’hui, avec le succès du manga et la multiplication d’éditeurs en France, il n’est pas rare que nous nous retrouvions en concurrence sur un même titre. » C’est alors l’éditeur qui tranche. Et malgré l’émergence du manhwa (BD coréenne) notamment sur le Web, « 95 % des manga publiés en France proviennent de contenus déjà publiés au Japon ». Ce qui n’empêche pas Glénat de s’essayer à la création de ses propres titres (Cagaster, Le Voleur d’estampe, Jizo) et Kurokawa de s’associer à Tsume pour créer des mangas originaux français (Ragnafall, Impérium Circus) : l’un se charge de la diffusion papier, l’autre du numérique. Sans parler du succès de Tony Valente et de son manga 100 % français Radiant (paru chez Ankama), traduit et commercialisé au Japon.