À quelques jours du Dry January, L’Éclaireur s’est entretenu avec Claire Touzard, autrice de Sans alcool et invitée du festival Pop & Psy pour parler de sobriété et d’abstinence.
Vous animez aujourd’hui une conférence sur la sobriété et l’abstinence. Pourquoi était-ce important pour vous de sensibiliser le public à ce sujet ?
Il y a quatre ans, j’ai écrit un livre sur le sujet : Sans alcool. À ce moment-là, c’était très tabou de parler de cette thématique, mais j’ai compris qu’il y avait beaucoup à faire quand j’ai reçu des milliers de messages après la publication de cette œuvre. Les personnes qui m’ont contactée avaient beau être de différentes générations, elles me disaient toutes la même chose : leur problème d’alcool les faisait souffrir.
Dans un entretien avec France Inter, vous expliquez avoir commencé à boire lorsque vous étiez adolescente, car vous pensiez que l’alcool pourrait vous aider à aller mieux. Comment vous êtes-vous sortie de cette situation ?
Quand on est jeune, l’alcool est le pansement le plus facile et immédiat. C’est une habitude sociale, une norme qu’il est presque impossible de questionner. Tout le monde boit autour de nous, donc on ne pense pas que c’est un problème. On grandit avec cette idée qu’il faut boire pour être cool et drôle, et on ne déconstruit jamais cette pensée. Cependant, ça peut très mal finir si on a un terrain addictif comme le mien.
Aujourd’hui, le travail que j’ai fait avec mon livre, c’est de faire exploser l’imaginaire derrière tout ça. Ça passe par les témoignages, le changement de vocabulaire sur la sobriété, l’écriture de nouveaux récits avec des héroïnes qui peuvent être cools et indépendantes sans forcément boire… Comme tous les sujets sociétés, il faut déconstruire les idéaux préfabriqués.
Par quelles étapes êtes-vous passée pour finalement arriver à la sobriété ?
La guérison peut passer par plein d’étapes différentes, en fonction des personnes. Certaines passent par la médicatation, d’autres sont suivies par des addictologues ou des psys… Aujourd’hui, j’en vois une deux fois par semaine et les groupes de parole m’ont aussi beaucoup aidée. Ce serait très intéressant que ces thérapies soient plus genrées, s’occupent du cas précis des femmes, des communautés LGBTQIA+… L’alcoolisme est souvent lié à des traumatismes profonds et des problématiques plus larges. Pour guérir, il y a un travail à faire sur l’addiction, mais aussi sur son origine.
Dans votre livre, vous parlez aussi du lien entre l’amour et l’alcool en évoquant la “philosophie du pire”… À quoi faites-vous référence ?
Quand on boit, on se dit toujours que c’est pas grave, qu’on peut avoir une journée ou une vie de merde, mais qu’il y aura toujours l’alcool et la picole avec les copains pour oublier. Le problème, c’est que cette dynamique devient une habitude. Au final, on ne change rien dans notre quotidien, parce que l’alcool devient une solution.
J’en étais arrivée à ce point-là de ma vie et j’en ai réalisé la gravité quand j’ai arrêté de boire. À ce moment-là, on se rend compte qu’il faut affronter le quotidien sans ce filtre de la boisson. On est obligé de devenir acteur de notre propre vie, de sortir du déni et d’agir pour changer les choses.
« Ce qui était acceptable quand je buvais ne l’est absolument plus maintenant. »
Claire Touzard
Il faut gérer son alcoolisme, mais aussi régler les problèmes qui nous ont poussés à boire. La sobriété ne nous aide pas forcément à être une meilleure personne, mais elle nous permet d’être clairvoyants sur notre vie, les gens et la réalité. Cet arrêt de l’alcool a clairement renforcé mon militantisme et mon engagement.
Aujourd’hui, je n’ai plus de filtre face à ces sujets, donc ils me touchent d’autant plus et j’ai encore plus envie de changer les choses. Ce qui était acceptable quand je buvais ne l’est absolument plus maintenant. Je me sens dans l’obligation de changer tout ça, pour moi et pour les autres.
Les Français ont-ils un vrai problème avec l’alcool, ou est-ce un phénomène plus global ?
Je pense que l’alcool est un problème dans de nombreux pays. Par exemple, ils ont dû l’interdire en Scandinavie après une certaine heure à cause de l’alcoolisme et des suicides. En Europe et ailleurs, les gens boivent – et je pense que ça ne s’arrangera pas avec l’état du monde actuel. Cependant, la particularité de la France est le fait que l’alcool est très ancré culturellement. Nous avons un patrimoine qui produit énormément de vin, donc c’est aussi beaucoup d’enjeux économiques derrière.
Finalement, c’est à la fois une habitude avec toute cette culture de la gastronomie et de l’épicurisme – qui est plutôt positive – et une tradition familiale où on boit du vin rouge à table, ce qui rend l’arrêt de la boisson très difficile pour ceux qui veulent s’abstenir. Tout nous encourage à boire, tout positive le vin et sa culture. Quand vous êtes sobre, vous êtes un peu seul, et vous n’êtes même plus Français. L’image de la France, c’est une personne avec son verre de vin. Quand on la refuse, c’est très dur, car on a l’impression de renier son ADN et sa famille.
Aujourd’hui, cette question de la sobriété est complètement nulle au sein du gouvernement. Entre les motivations économiques et la glorification du patrimoine, on nous pousse à la consommation, mais au détriment de la santé de nombreux individus. Il y a un équilibre à trouver, et ça devrait être une source de réflexion pour tout le monde. Il y a des questions et des campagnes de préventions, mais ça devrait être un débat public de fond. C’est beaucoup plus grave qu’on ne le croit. Il y a des gens qui en meurent, ça suscite énormément de violence sociale et notamment de violence envers les femmes.
L’alcool a toujours été central dans les séries, entre les adolescents et leurs soirées, et les personnages féminins avec leur verre de vin à la main. Ces représentations ont-elles une part de responsabilité dans cette glorification ?
La pop culture a clairement une part de responsabilité. D’autant plus que le phénomène de bande est très fort chez les jeunes. À la sortie de mon livre, certains m’ont interpellé en me disant : “C’est sympa, mais vous avez 40 ans ; comment je fais pour refuser l’alcool à 20 ans ?” Les adolescents construisent leur virilité autour de l’alcool, les filles essaient de se rebeller avec la boisson… C’était le cas à mon époque et ça l’est encore aujourd’hui.
La santé est un sujet qui fait peur, mais je pense que les livres, les podcasts, les séries et les films peuvent s’emparer de cette thématique, sans donner des leçons, mais pour créer des personnages sobres et cools, et qui trouvent leur plaisir, leur amitié et l’amour autrement. Parce qu’aujourd’hui, on construit beaucoup ces relations à travers l’alcool.
Les mentalités sont-elles en train de changer ? J’ai l’impression que de plus en plus de jeunes assument le fait de ne pas boire et que la sobriété est bien plus acceptée qu’avant.
On est dans une période de mouvements contraires. Mon livre a énervé beaucoup de personnes – mais surtout de la vieille génération. C’est comme dans tous les combats. Certains veulent maintenir leur jouissance et leurs habitudes, et la jeune génération veut tout questionner et changer les choses. Nous, on était un peu nihilistes d’une certaine façon. Aujourd’hui, les jeunes ont compris que le plaisir peut exister sans consommer – que ce soit de l’alcool ou des vêtements. Donc oui : ce mouvement pour la sobriété ne peut venir que de la jeunesse.
Avant de nous quitter, pouvez-vous nous partager vos coups de cœur culturels de ces derniers mois ?
J’ai bien aimé les livres Comment sortir du monde de Marouane Bakhti, L’Hôtel des oiseaux de Joyce Maynard, Triste tigre de Neige Sinno, le Judith Butler sur la pandémie… Et en ce moment, je lis Rage assassine de Bell Hooks, qui est très d’actualité sur le colonialisme.