Imaginé par les auteurs de Toy Story, Les Inséparables est LE film à voir en famille à Noël. Son réalisateur, Jérémie Degruson, et Chris Marques nous ont fait entrer dans les coulisses, le temps d’une interview.
Comme dans Toy Story, les jouets des Inséparables sont vivants. Avez-vous déjà secrètement rêvé de voir les vôtres prendre vie ?
Chris Marques : Tous les enfants en rêvent ! Quand j’étais petit, j’étais persuadé que ma petite fusée NASA allait dans l’espace. Pour moi, les jouets ont toujours eu une vie au-delà du réel.
Jérémie Degruson : J’ai fait des colonies de vacances en tant qu’animateur et ce qui m’a le plus marqué, c’est l’imagination des enfants. Ils ont la capacité de construire des histoires avec un rien. Le plus impressionnant, c’est qu’ils les vivent réellement. Il leur suffit d’un déguisement pour incarner un personnage. Avec l’âge, on devient plus cynique et on perd cet émerveillement. Au final, Les Inséparables parle à l’enfant intérieur qui se cache dans le cœur de tous les adultes. Ça leur rappelle cette époque où l’aventure démarrait au coin de la rue.
À quoi ressemblait votre peluche préférée ?
J. D. : J’ai beaucoup de frères et sœurs, donc mon doudou est passé entre leurs mains avant d’arriver dans les miennes. C’est comme les vêtements : je récupérais tout. Nounours (c’était son nom) ressemblait à celui de Bonne nuit les petits. Je crois qu’il a malheureusement un peu morflé au fil des années [rires].
C. M. : C’est assez triste, mais je n’avais pas vraiment de doudou. En réalité, j’étais un grand rêveur donc j’avais besoin d’un rien pour créer des jouets !
L’imagination est centrale dans le film. Le terme revient à plusieurs reprises, comme si le long-métrage était une succession d’histoires imaginées par Don. Êtes-vous du genre à créer des milliers de scénarios dans votre tête ?
J. D. : J’ai plutôt des tonnes d’idées rigolotes dans la tête ! Je ne cesse de passer d’une idée à l’autre. Ça peut être énervant pour mon interlocuteur, car il m’arrive de bloquer sur un mot qu’il a prononcé, avant d’imaginer un miniscénario, tout seul. C’est sûrement mon enfant intérieur qui pointe le bout de son nez. J’ai 50 ans, mais j’ai de la chance, parce qu’il est encore bien présent.
C. M. : J’ai choisi mon travail justement parce qu’il me permet de constamment imaginer de nouvelles choses. Je suis metteur en scène de spectacles et directeur artistique, donc j’ai envie de voir toutes ces idées que je peux avoir dans la tête prendre vie.
Vos métiers vous permettent-ils de conserver cette âme d’enfant ?
C. M. : C’est une condition sine qua non.
J. D. : Clairement. Quand on réalise des films jeunesse, on doit se mettre à la place de son public. Je suis père, j’ai deux garçons et j’ai été un enfant. Les films familiaux doivent parler aussi bien aux adultes qu’aux plus petits.
De quel personnage vous sentez-vous le plus proche ?
J. D. : DJ Doggy Dog. Je me retrouve en lui et son histoire d’abandon me rappelle un traumatisme d’enfance. Quand j’étais bébé, mes parents m’ont oublié devant un supermarché. C’est véridique [rires] ! Si ça se trouve, ça n’a pas duré longtemps. Je ne me souviens de rien, on me l’a raconté rétrospectivement, mais ça m’a marqué. Je suis le dernier d’une famille de six enfants et je pense qu’inconsciemment je me dis que je dois me transcender pour me faire remarquer. Cette interview devient très psychologique [rires] !
C. M. : De mon côté, je me sens plus proche de Don pour une raison toute bête : je trouve qu’on nous met trop souvent dans des cases. J’ai l’impression d’avoir passé ma vie d’adulte à expliquer aux autres que ce n’est pas le cas et qu’on est bien plus complexes que ça. En tant qu’artiste, j’ai plein d’envies et j’aime faire plein de choses. La même personne peut être intéressée par la mécanique quantique et les films d’animation. Je m’identifie donc beaucoup à Don, parce qu’il représente la quête éternelle du mec qui démarre comme le bouffon et finit par convaincre tout le monde qu’on peut être qui on veut.
J. D. : Ça me fait penser à Brian May. C’est le guitariste de Queen, mais il a aussi un doctorat en physique quantique. C’est dingue !
C. M. : J’ai travaillé avec sa femme sur Danse avec les stars en Angleterre et j’ai été amené à le rencontrer plusieurs fois. C’est un amour.
Pourquoi avoir fait le choix de New York ? Est-ce parce que c’est la ville de tous les possibles et que l’on peut imaginer des histoires à chaque coin de rue ?
J. D. : Les auteurs sont new-yorkais et Central Park était leur terrain de jeu quand ils étaient enfants. Ils allaient au théâtre de marionnettes et s’imaginaient des aventures. Ce décor est donc assez personnel pour eux. Pour moi, cette ville est très cinématographique. Entre la forêt et le mur de buildings, le contraste visuel est dingue. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’autant de films y sont tournés.
Le choix des dessins est étonnant. Les graphismes varient au fil du récit, et certains sont en décalage par rapport à la 3D à laquelle le public est habitué… Pourquoi avoir fait ce choix ?
J. D. : C’est un choix très pertinent d’un point de vue narratif. Ce traitement visuel différent permet au spectateur de comprendre s’il est dans “le monde réel” ou dans les fantaisies de Don. Ensuite, la 2D renvoie au quotidien des marionnettes au début du film. Elles vivent dans leur théâtre, entourées de livres. Les histoires que Don imagine s’inspirent de ces gravures. Au fur et à mesure de l’histoire, il intègre ce qu’il a vu dans Central Park et va synthétiser de nouveaux rêves. Ce type de dessin est aussi présent – et très bien fait – dans Spider-Verse et Le Chat Potté 2, mais il y a une raison narrative pour Les Inséparables.
2023 a été une grosse année pour l’animation. Quel film vous a le plus marqué ?
J. D. : J’adore ceux de Wes Anderson et j’ai particulièrement aimé L’Île aux chiens. J’ai aussi été marqué par Unicorn Wars, de l’Espagnol Alberto Vazquez. Ce sont des thématiques et des visuels plus adultes, mais il est génial. J’aurais adoré voir Linda veut du poulet !, mais je n’habite pas à Paris et ce genre de film est difficile d’accès chez moi.
C. M. : Je suis très classique, mais le dernier film que j’ai vraiment aimé est Coco. Les thématiques de la famille, de la transmission et de la mort sont très fortes. J’aime quand un film me touche à ce point. Je pense que mon attrait pour cette œuvre est aussi lié à mes origines espagnoles et portugaises. On est très loin du monde de Coco, mais le simple fait d’entendre cette langue m’a permis de retrouver toutes les références avec lesquelles j’ai grandi. Quand on évoque la grand-mère et nos anciens, on parle de nuestros ancianos, de la mama, de la abuelita… Coco a immédiatement résonné avec ma vie et mon vécu. Je l’admets : c’est le film qui me met la larme à l’œil à chaque fois.
J. D. : Tu n’as pas vu Le Tombeau des lucioles alors…
C. M. : Non, mais je me le note !
J. D. : J’ai des frissons rien qu’en évoquant le titre [rires].
Les Inséparables se démarque notamment grâce aux mouvements des personnages dans les scènes de danse, d’action, de combats et de course-poursuite. Comment imagine-t-on la chorégraphie d’un film d’animation ?
C. M. : C’est un super challenge. Un jour, Jérémie est venu nous voir, ma femme et moi, pour nous dire qu’il avait une idée géniale : il voulait Broadway dans un film d’animation. On a dû s’imaginer tous les personnages, leur morphologie, les matières dans lesquelles ils sont construits et leurs différences. Ils n’ont pas tous les mêmes coudes, et DJ Doggy Dogg n’a même pas de genoux ! On devait imaginer une chorégraphie qui puisse fonctionner sur tous ces profils.
J. D. : Et il a fallu trouver un danseur sans genoux [rires].
C. M. : Tu rigoles, mais on a littéralement strappé un de nos danseurs et on lui a demandé ce qu’il se passait quand il essayait de reproduire la chorégraphie. C’était génial de réfléchir à chaque personnage individuellement. On essayait de cerner leurs habitudes et ce qui les définit, tout en créant un show qui pouvait leur correspondre à tous. On a ensuite filmé tous ces mouvements en plan large puis en plan latéral, avant de les envoyer à Jérémie, ses graphistes et ses animateurs, qui ont réinterprété les mouvements image par image.
Est-ce une pratique récurrente dans le milieu de l’animation ?
J. D. : Pour nous, c’était une grande première. Nous avions besoin d’un kick créatif et stylistique. Chris et sa femme nous l’ont apporté avec leur chorégraphie et le résultat est génial. Cet apport d’expérience était nécessaire, d’autant plus qu’ils ont rejoint l’aventure un an et demi après son début. Ils ont amené un nouveau point de vue et de la fraîcheur. Au final, je me suis rendu compte que la danse et l’animation avaient quelque chose en commun…
C. M. : Oui, on parle de rythme, de synchronisation… Il y a plein de choses qui sont très spécifiques à l’animation, mais qui fonctionnent également pour la danse. Je dois admettre que notre collaboration avec Jérémie a été marrante. À partir du moment où on a commencé à bosser sur ce projet, nous sommes redevenus des enfants. On a vu ces personnages sur lesquels on avait travaillé et ces chorégraphies qu’on avait imaginées prendre vie. C’était fou !
Si Les Inséparables était une danse, ce serait laquelle ?
C. M. : Ce serait le lindy hop. C’est une danse complètement folle, pleine d’énergie, heureuse, joyeuse et contrastée – on la danse très, très bas, et en même temps, on prend beaucoup de place.
J. D. : Je ne connais rien à la danse, mais je dirais le pogo [rires].
Chris, vous aviez plusieurs casquettes sur ce tournage, car vous êtes aussi doubleur. Comment avez-vous appréhendé ce rôle ?
C. M. : J’ai toujours eu envie de doubler une voix. Ce que les gens ne savent pas, c’est que je suis un timide quand je ne suis pas au travail. L’idée de me cacher dans un studio et de devenir quelqu’un d’autre me plaisait énormément. Le fait de pouvoir jouer sans être vu était une libération incroyable. Comme je fais de la télé, on a tendance à me mettre dans une case en se disant que je ne fais que ça. Là, on m’a donné la chance de faire quelque chose de complètement différent.
Quand j’ai découvert le rôle d’Alfonso, j’y ai vu un mélange de Luis Mariano et d’un chanteur d’opérette un peu chelou qui parle vite au début de ses phrases et lentement à la fin. J’y ai insufflé ces idées pour voir ce que ça donnait et l’équipe a été ultrabienveillante avec moi. Ils nous ont mis immédiatement dans le bon mood et l’énergie nécessaire. C’était magique, ils m’ont fait un cadeau incroyable.
Avant de nous quitter, pouvez-vous nous partager vos derniers coups de cœur culturels de ces derniers mois ?
J. D. : J’ai beaucoup aimé la BD Testosterror de Luz. On ressent le style de Charlie. Ma femme, qui est plutôt classique dans ses choix, a aussi adoré, car il aborde notamment le thème de la féminité. En ce moment, je suis aussi en train de lire le livre canadien Faire les sucres, qui parle de ces personnes qui se lancent dans la production de sirop d’érable. Ça permet de sortir de sa zone de confort.
C. M. : Je recommande un spectacle incroyable qui s’appelle Alors on danse ?. C’est fou, c’est innovant et c’est une première mondiale qui est faite en France. C’est un spectacle de danse avec des hologrammes, ça chante en live, ça se produit partout en France et en Belgique… C’est vraiment génial !