À l’occasion de la sortie en salles ce 22 novembre de Rien à perdre, L’Éclaireur a rencontré l’étoile montante du cinéma français, Félix Lefebvre. Tournage, construction du personnage et collaboration avec Virginie Efira, l’acteur nous raconte son expérience sur le drame mis en scène par Delphine Deloget.
Présenté au Festival de Cannes dans la sélection Un certain regard, Rien à perdre suit Sylvie (Virginie Efira), une mère célibataire vivant à Brest avec ses deux enfants. Une nuit, le plus jeune, Sofiane (Alexis Tonetti), se blesse alors qu’il est seul à l’appartement et sa mère au travail. Les services sociaux sont alertés et Sofiane est rapidement placé en foyer.
Armée d’une avocate, de ses frères, mais aussi avec l’aide de son fils aîné, Jean-Jacques, Sylvie va lutter désespérément contre la machine administrative et judiciaire dans l’espoir de récupérer son garçon.
Delphine Deloget offre un drame familial bourré de vitalité et dresse le portrait de personnages aussi forts que sensibles. Parmi eux, Jean-Jacques, un adolescent en proie à ses propres doutes et terreurs boulimiques, qui va tenter tant bien que mal de soutenir sa mère. Incarné par Félix Lefebvre, étoile montante du cinéma français, qui déjà fait ses armes chez François Ozon (Été 85, Mon crime…), le comédien est revenu auprès de L’Éclaireur sur le film, son personnage, sa préparation physique, mais aussi ses souvenirs cannois. Rencontre.
Qu’est-ce qui vous a attiré dans le projet et marqué dans le scénario de Rien à perdre ?
La première chose qui m’a fasciné, c’est la véracité des personnages, leur vitalité, la manière dont Delphine Deloget, la réalisatrice, a trouvé quelque chose de vrai dans chacun d’eux, tout en y ajoutant une folie. Elle a un univers à elle ; une sorte de poésie un peu brouillonne, une sorte de tornade qui danse dans chacun de ses personnages. Delphine avait un ton très à elle, ce qui est une grande qualité chez une cinéaste.
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Ce rôle était quand même un cadeau pour moi, car c’est un personnage très différent de qui je suis au quotidien. Ça m’a demandé beaucoup de travail de composition. En plus, avoir une partenaire comme Virginie Efira et un scénario aussi beau… Tout était réuni !
Que préférez-vous dans le personnage de Jean-Jacques que vous interprétez ?
Je l’aime tellement que c’est dur de dire une seule chose, mais je dirais que ce que je préfère c’est sa force pour se battre pour les autres, alors que lui-même mène ses propres combats intérieurs. C’est une grande générosité d’avoir autant d’énergie à donner pour les autres, de faire en sorte que tout le monde tienne alors que lui-même est dans un conflit et dans des choses qui sont très compliquées à gérer. Il est tout le temps là à essayer de maintenir les gens, mais lui est seul à gérer ses problèmes, notamment vis-à-vis de son avenir.
« Ce qui est génial, quand on a une immense actrice en face de soi, c’est que c’est beaucoup plus simple de jouer, car on y croit sans arrêt durant la scène. »
Félix Lefebvre
En plus, il est à un âge qui est un peu charnière. Il est censé prendre son envol, il devient adulte et il doit décider de ce qu’il va faire dans la vie. C’est aussi un personnage d’une profonde gentillesse et d’une profonde douceur. Ça me touche beaucoup, c’est quelqu’un que l’on a envie de prendre dans ses bras et que l’on a envie d’aimer. J’admire beaucoup Jean-Jacques.
Sa relation avec sa mère est unique. Il la protège par moments plus qu’elle. Que pouvez-vous nous dire sur leur lien ?
C’est intéressant, parce que l’une des premières choses que l’on s’est dites avec Virginie, quand on a commencé à travailler, c’était qu’il y avait presque un rapport inversé entre eux. C’est comme si Jean-Jacques devenait l’adulte de la maison. On peut même dire qu’il prend la place du mari, parfois. Aussi, plus le film avance, plus Sylvie retourne à une forme de comportement enfantin, à perdre un peu le sens des responsabilités. C’est lui qui endosse cela, finalement.
C’est un personnage qui n’est pas simplement un fils ou un adolescent. C’est un jeune homme qui, mine de rien, a des choses à gérer émotionnellement et concrètement, des décisions très importantes à prendre. C’est un personnage fort qui n’est jamais dans le misérabilisme, qui ne se plaint jamais, bien qu’il souffre parfois.
Jean-Jacques, c’est aussi un rôle physique. Comment s’est déroulé le travail de composition ?
Il y a plein de choses sur ce film qui m’ont aidé à préparer le rôle. D’abord, j’ai eu la chance d’avoir beaucoup de temps, car le film a été décalé. J’ai eu cinq à six mois pour me préparer. Il y a évidemment la prise de poids. Ça change ton corps et, ici, ça représente 80 % du travail de composition. Tu es dans un autre corps, donc tu appréhendes tout différemment et ça te permet beaucoup plus d’avoir la sensation de donner son corps à quelqu’un d’autre, et donc de laisser la place au personnage. Après, j’ai appris à faire de la trompette, j’ai appris à faire de la pâtisserie. J’ai aussi travaillé avec la méthode de l’actor’s studio, que je ne connaissais pas vraiment.
« Ça m’a rendu assez triste de laisser [Jean-Jacques] partir parce que j’étais très attaché à lui. C’est peut-être bizarre ce que je dis, mais je sens qu’il existe quelque part en moi. »
Félix Lefebvre
J’ai travaillé ça avec un coach pour ce film-là, car je trouvais que ça correspondait bien. Le travail avec Delphine également ; elle m’a donné à voir plusieurs documentaires, dont Armand 15 ans l’été et l’harmonie qui m’a beaucoup aidé. En regardant ce film documentaire, j’ai senti comment il avait inspiré le personnage de Jean-Jacques. Quand tu vois ça, tu sens l’essence de l’être humain que tu essaies de peindre.
C’est quel genre de partenaire, Virginie Efira ?
C’est fou ! Franchement, c’est fou de tourner avec une actrice comme elle. Ce qui est génial, c’est que quand on la rencontre, elle se désacralise très vite, elle est très simple, ouverte et accessible. C’est très agréable. On n’est pas intimidé, c’est génial. Elle force l’admiration, parce qu’elle a une maîtrise de son art et une précision dans le travail qui sont admirables.
J’avais l’impression d’être en masterclass pendant le tournage, je l’observais beaucoup, j’essayais d’apprendre d’elle, parce qu’il y a tellement de choses à prendre. C’était une vraie leçon chaque jour. Ce qui est génial, quand on a une immense actrice en face de soi, c’est que c’est beaucoup plus simple de jouer, car on y croit sans arrêt durant la scène, on rentre davantage dans la situation. Ça aide vraiment à la croyance d’avoir des acteurs qui sont très généreux.
Aviez-vous une place pour l’improvisation sur le tournage ?
Le scénario était très précis. On a eu très peu de place pour l’improvisation, parce que l’histoire était très bien construite. Parfois, on ressent le besoin d’improviser, mais grâce à cette direction précise sur le tournage, cela ne nous est pas venu à l’idée. Delphine nous donnait un cadre strict, même au niveau de la mise en scène, tout en parvenant à nous donner une sensation de liberté. On avait l’impression d’être libres dans le cadre qu’elle nous donnait. C’est ce qu’il y a de mieux pour un acteur.
Vous êtes un acteur aguerri, identifié grâce au cinéma de François Ozon, mais en quoi Rien à perdre est-il un projet unique dans votre filmographie ?
Honnêtement, le challenge de changer mon corps, de prendre du poids, était assez unique. C’est une expérience qui prend ta vie personnelle. J’ai pris 20 kg en cinq mois, puis il y a eu trois mois de tournage et enfin quatre mois pour tout reperdre. Ce challenge-là t’accompagne pendant près d’un an.
Rien à perdre a été une expérience beaucoup plus longue et grande que ce que j’ai fait avant, car ça ne se cantonnait pas qu’au tournage. C’était vraiment comme un voyage pour moi. Après, et c’est ça qui est magnifique avec le travail d’acteurs, c’est que c’est constamment un nouveau métier. Il n’y a aucune idée, aucun acquis, aucune certitude. D’ailleurs, je pense que c’est des dangers les acquis, parce qu’il faut savoir s’adapter. Ici, il fallait s’adapter à l’univers de Delphine.
Est-ce que ça vous arrive de rester dans le personnage du fait du long processus de construction que Jean-Jacques a demandé ?
Je n’ai pas de mal à sortir de mes personnages généralement. Par contre, avec Jean-Jacques, ça m’a rendu assez triste de le laisser partir, parce que j’étais très attaché à lui. C’est peut-être bizarre ce que je dis, mais je sens qu’il existe quelque part en moi. Il est là. Je pense souvent à lui, d’ailleurs, parfois quatre à cinq fois par semaine !
Disons que je suis totalement sorti du personnage, mais que je pense souvent à lui. Il m’a particulièrement marqué, parce que j’aimerais bien le connaître. J’aimerais bien l’avoir à côté de moi, l’avoir en ami et l’aider. J’aimerais avoir des nouvelles de Jean-Jacques et savoir comment ça se passe l’école de pâtisserie [rires].
Le film a été présenté au Festival de Cannes. Quel souvenir gardez-vous de ce moment ?
C’était fou, parce que la réaction était tellement belle. Les gens étaient vraiment émus et profondément touchés. Quand on voit que le film se propage, c’est formidable. C’est vraiment l’un des plus beaux moments de ma vie de cinéma, je pense. En plus, il y avait mes proches et mes parents, ma grand-mère, des amis…
J’ai découvert le film là-bas, j’ai senti que la salle était vraiment en train de vivre quelque chose de commun. Avoir une aussi grande salle, avec autant de personnes qui découvrent un film en même temps, c’est vraiment une expérience unique.
Qu’espérez-vous déclencher chez les spectateurs avec ce film ?
Ce que j’espère avant tout, c’est que ça touche les gens à un endroit d’émotions plus que mental. Puis qu’après coup le film leur reste dans la tête. Je pense d’ailleurs que c’est ce qu’il se passe. Les gens avec qui j’en parle, qui l’ont vu, une fois l’émotion passée, posent des questions sur un système qui a des vertus et qui peut parfois sauver des enfants, mais qui peut aussi avoir des règles qui poussent l’individu qui est en train de les vivre dans un endroit très complexe.
Il n’y a pas de leçon morale à en tirer, mais le film pose des questions. Il impose aussi une vitalité, une envie de vivre. Je pense que tous les personnages ont vraiment un fort désir de vivre. J’espère que les gens sortiront du film en ayant envie de croquer la vie !
Rien à perdre, de Delphine Deloget, avec Virginie Efira, Félix Lefebvre, Arieh Worthalter et Mathieu Demy, 1h52, depuis le 22 novembre au cinéma.