Critique

Mon crime : François Ozon est de retour avec une comédie noire féministe

08 mars 2023
Par Lisa Muratore
Rebecca Marder et Nadia Tereskewicz dans "Mon Crime" de François Ozon
Rebecca Marder et Nadia Tereskewicz dans "Mon Crime" de François Ozon ©Carole Bethuel - 2023 - MANDARIN ET COMPAGNIE - FOZ - GAUMONT - SCOPE PICTURES - FRANCE 2 CINEMA - PLAYTIME PRODUCTION

Le prolifique François Ozon est de retour dans les salles obscures ce mercredi 8 mars avec Mon Crime. Un vaudeville amusant porté par un casting cinq étoiles.

Nadia Tereszkiewicz et Rebecca Marder… Le sort a voulu que les deux actrices concourent toutes deux dans la catégorie Révélation féminine de l’année des César 2023. Nommées respectivement pour Les Amandiers et Une jeune fille qui va très bien, c’est finalement la comédienne de Valeria Bruni-Tedeschi qui a remporté, le 24 février dernier, le fameux trophée. Devant la caméra de la réalisatrice, elle prêtait ses traits à Stella, une jeune étudiante recrutée dans l’école de théâtre de Patrice Chéreau.

Un rôle finalement pas si éloigné de ce qu’elle propose aujourd’hui chez François Ozon. Dans Mon crime, nouvelle comédie noire du réalisateur, Nadia Tereszkiewicz se glisse dans la peau de Madeleine Verdier, une comédienne sans talent qui ne rêve que d’une chose : accéder à la célébrité. Aux côtés de sa meilleure amie, Pauline, une avocate chômeuse, elle monte un subterfuge en plaidant la légitime défense après avoir été accusée du meurtre d’un riche producteur. Madeleine parie alors sur cette médiatisation improbable pour connaître ses premiers succès et rompre avec une vie misérable faite de désillusions… jusqu’au jour où quelqu’un décide de faire éclater la vérité au grand jour. 

Rebecca Marder, Nadia Tereszkiewicz et Isabelle Huppert dans Mon Crime.©MANDARIN ET COMPAGNIE - FOZ - GAUMONT - SCOPE PICTURES - FRANCE 2 CINEMA - PLAYTIME PRODUCTION

Les femmes d’Ozon

Les deux jeunes femmes forment dès leur entrée en scène un duo iconique après leur duel aux Césars. Faisant écho aux paires les plus emblématiques du cinéma, le réalisateur s’amuse avec les clichés du corps et de l’esprit, du sentiment et de la raison, de la blonde et de la brune. Pour autant, dans cette adaptation cinématographique de la pièce imaginée par Louis Verneuil et George Berr dans les années 1930, le cinéaste n’en fait pas des ennemies, mais force le trait en appuyant sur leur complémentarité.

Ce contraste rappelle ainsi Les Demoiselles de Rochefort (1967) de Jacques Demy avec Catherine Deneuve et Françoise Dorléac, dont l’identité théâtrale évoque celle fièrement assumée par la distribution de François Ozon. Le duo formé par Nadia Tereszkiewicz et Rebecca Marder convoque également celui de Simone Signoret et Véra Clouzot dans Les Diaboliques (1955). Le projet d’homicide dans le film d’Henri-Georges Clouzot rappelle le stratagème imaginé par Madeleine et Pauline pour se venger du comportement sexiste d’un producteur vulgaire. Plus proche de nous, on pourrait aussi penser à la comédie musicale Chicago (1975) dans laquelle Roxi et Velma se rencontrent en prison après avoir été respectivement accusées du meurtre de leur époux et amant. 

Nadia Tereszkiewicz dans Mon crime.©Carole Bethuel - 2023 - MANDARIN ET COMPAGNIE - FOZ - GAUMONT - SCOPE PICTURES - FRANCE 2 CINEMA - PLAYTIME PRODUCTION

Avec Mon rime, François Ozon embarque le spectateur dans une aventure noire où l’on découvre des personnages féminins imparfaits et égoïstes, éloignés de l’image classique de l’ingénue. Les femmes ici ne se laissent pas faire, bien qu’elles se heurtent aux clichés sexistes de la gent masculine. Il en ressort alors un film féministe sur la sororité qui s’inscrit dans la continuité de « la saga » inaugurée avec 8 Femmes (2002) et Potiche (2010). L’intelligence de l’écriture, les dialogues qui fusent, l’humour, le drame et le suspense offrent à Mon crime une vitalité que l’on n’avait pas vue depuis longtemps dans la filmographie d’Ozon.

Un retour à la légèreté

Après les drames souvent plombants comme Été 85 (2020), Tout s’est bien passé (2021), ainsi que Peter Von Kant (2022), le metteur en scène français revient à une atmosphère plus légère, ponctuée de références théâtrales vaudevillesques. Que ce soit dans les échanges entre les personnages, la mise en scène ou les décors, le long-métrage témoigne d’un rythme réjouissant, dans lequel on plonge avec délice. 

Fabrice Luchini et Dany Boon dans Mon Crime. ©MANDARIN ET COMPAGNIE - FOZ - GAUMONT - SCOPE PICTURES - FRANCE 2 CINEMA - PLAYTIME PRODUCTION

La photographie patinée donne à voir un Paris imaginaire, un Paris qui ne serait peut-être qu’illusion. Le réalisateur s’est aussi inspiré des comédies noires façon whodunnit, un genre de plus en plus populaire – en témoigne les réadaptations d’Hercule Poirot par Kenneth Branagh, le film de Tom George, Coup de théâtre (2022), et bien sûr la saga À couteaux tirés, imaginée par Rian Johnson. 

Toutefois, on ne suit pas l’investigation des enquêteurs, mais plutôt la trajectoire des coupables en coulisses. Une originalité qui apporte son lot de rebondissements au film, mais aussi d’humour, notamment à travers le personnage d’Isabelle Huppert. L’interprétation de l’actrice, actuellement à l’affiche de La Syndicaliste, se démarque malgré une riche distribution emmenée également par les talents de Fabrice Luchini, d’André Dussollier ou encore par le charme de Dany Boon. Son jeu étonne autant qu’il amuse, François Ozon offrant à Isabelle Huppert une liberté dans laquelle elle laisse exploser la virtuosité de son humour et une légèreté communicative. 

Bande-annonce de Mon Crime de François Ozon.

Finalement, en composant cette distribution chorale dans laquelle « l’ancienne génération » du cinéma français côtoie la nouvelle, le metteur en scène offre un vaudeville détonnant, surprenant et rythmé. François Ozon n’en oublie pas pour autant la force de son propos humain et féministe. En jouant sur certains codes, mais aussi en cassant les clichés, le cinéaste déploie avec Mon crime une comédie noire, rafraîchissante et colorée. Un plaisir de cinéma – pas si coupable que ça –  à découvrir dans les salles obscures depuis ce mercredi 8 mars.

Mon crime, de François Ozon, avec Nadia Tereszkiewicz, Rebecca Marder, Isabelle Huppert, Fabrice Luchini et Dany Boon, 1h42, en salle le 8 mars 2023.

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Article rédigé par
Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste