Critique

Pourquoi il faut absolument (re)voir The End of Evangelion au cinéma

24 octobre 2021
Par Tom Demars
C’est la première fois que les deux films sont projetés dans les salles de cinéma françaises.
C’est la première fois que les deux films sont projetés dans les salles de cinéma françaises. ©Dybex

Le distributeur français Eurozoom a annoncé la diffusion des deux films originaux de la saga culte dans les salles de cinéma à partir du 3 novembre. L’occasion de revenir sur ce chef-d’œuvre d’animation.

Neon Genesis Evangelion a une place unique dans l’histoire de l’animation. C’est l’une des sagas les plus populaires des 30 dernières années, malgré son côté radical et expérimental. Si Evangelion est aujourd’hui installé au panthéon de la science-fiction, l’anime est, à l’origine, un récit conceptuel et métaphysique. En effet, Hideaki Anno n’a pas imaginé son chef-d’œuvre comme une future licence lucrative, mais comme une catharsis à ses troubles personnels (de l’aliénation à la dépression).

Quand un succès phénoménal vire au désastre humain

Quand la diffusion de la série, entamée en octobre 1995, touche à sa fin, des complications empêchent Anno de concevoir la conclusion qu’il imaginait : trop explicite pour la télé, manque de budget, scénario inachevé… Le réalisateur doit partir dans une autre direction, plus abstraite et philosophique. Les deux derniers épisodes délaissent ainsi le spectaculaire et l’animation au sens classique du terme. L’équipe se sert des croquis pour illustrer les visions symboliques et spirituelles d’Anno dans un agencement plus illustratif et expérimental que narratif. Mais les fans prennent très à cœur l’évolution de l’anime et le dernier acte ne correspond pas du tout à leurs attentes. La fin est jugée incomplète, insultante et même impardonnable. L’équipe – dont Hideaki Anno – reçoit des réactions hostiles allant jusqu’aux menaces de mort et les locaux du Studio Gainax sont même vandalisés. Une situation invivable, qui va pousser le réalisateur à concevoir une nouvelle porte de sortie à son univers.

C’est dans ce contexte explosif que Death (True)² et The End of Evangelion arrivent dans les salles en 1997, les films sortant à quatre mois d’intervalle. Si le premier est une compilation des 24 premiers épisodes de la série (avec l’ajout de quelques scènes inédites), le second reprend la fin prévue au départ (et on comprend pourquoi elle a été abandonnée). Le long-métrage, bourré d’idées visuelles ambitieuses, est en effet une proposition radicale. Le style forgé par Anno y est décuplé dans un bal de 86 minutes où érotisme macabre, théologie horrifique et expérimentations étranges mènent la danse. L’animation, qui était restreinte dans la série originelle à cause du budget, est ici exploitée pour donner vie aux visions apocalyptiques d’Hideaki Anno. Plus qu’une conclusion à un récit dantesque, The End of Evangelion est une porte d’entrée vers l’esprit brisé de son créateur.

Le long-métrage contient de nombreuses scènes énigmatiques et symboliques.©Dybex

Le cri de désespoir d’un artiste surmené

Si la réalisation est époustouflante, ce sont bien les thématiques développées qui rendent le film unique. Hideaki Anno avait à l’époque une piètre opinion des fans d’anime. Un point de vue compréhensible au vu des réactions du public, mais ce dégoût est en fait bien antérieur à la production de la série : avant d’être illustrateur et réalisateur, Anno était lui aussi un fan de manga et d’animation, mais sa passion l’a progressivement « désancré » du réel, en prenant une place très (trop) importante dans sa vie. Pour finalement le pousser à l’isolement : « Pendant 21 ans, j’ai été un fan d’animation, et maintenant, à 35 ans, je le remarque avec tristesse : je ne suis qu’un honnête idiot », résumait-il lors d’une interview.

C’est pourquoi le réalisateur japonais cherche à dérouter les spectateurs. Le film va même jusqu’à briser la barrière de l’animation pour étayer son propos. The End of Evangelion contient ainsi plusieurs scènes captées dans le monde réel, qui nous montrent les fameux fans lors d’une séance de diffusion, ou encore les locaux du studio vandalisés. Les personnages connaissent, quant à eux, des fins plus déprimantes les unes que les autres. Comme si le réalisateur cherchait à briser les espérances du public.

Plusieurs scènes en prise de vue réelle sont intégrées dans le film.©Dybex

Faire table rase de la réalité – Attention, spoilers !

The End of Evangelion sombre dans le chaos le plus total, jusqu’au paroxysme qu’est la scène finale : Shinji – le protagoniste – vient de faire table rase de la réalité. L’humanité n’est plus et seule Asuka est réapparue. Le dernier geste de Shinji consiste alors… à l’étrangler. Il ressuscite donc la fille qu’il aime dans le seul but de la tuer de ses propres mains – il s’arrête finalement quand celle-ci se réveille. Ce qui est moralement horrible, tout en étant symboliquement très fort. Hideaki Anno y exorcise ainsi ses tourments.

Asuka est l’un des personnages les plus appréciés par les fans et, par conséquent, son image a été détournée – notamment à des fins mercantiles. Elle incarne aussi parfaitement une tendance forte chez les fans d’anime et les artistes : la sexualisation à outrance des personnages fictifs, notamment ceux à l’apparence juvénile. Cette scène de conclusion peut donc s’interpréter comme Hideaki Anno qui tente de « tuer » sa passion pour l’animation, mais aussi son œuvre, prise en otage par ses fans. Shinji, qui ne va pas au bout de son geste, symboliserait dans ce cas l’impossibilité du réalisateur à faire le deuil complet de son univers.

Alors que le récit fait tout pour repousser le spectateur, il est difficile de ne pas développer une certaine compassion pour un artiste qui a perdu le contrôle de son œuvre. Ou de ressentir de la culpabilité face à un homme qui dévoile au monde sa fragilité. S’il est compliqué de faire plus nihiliste, il l’est aussi de proposer – jusqu’à la refonte de la saga avec Rebuild of Evangelion – une conclusion plus mémorable.

Le distributeur a dévoilé la date de sortie des deux films sur les réseaux sociaux.©Eurozoom
Article rédigé par
Tom Demars
Tom Demars
Journaliste
Pour aller plus loin