Entretien

Ibrahim Maalouf : “Créer des ponts entre le jazz et le hip-hop m’a semblé évident”

16 novembre 2023
Par Benoît Gaboriaud
Ibrahim Maalouf présente en novembre sa tournée “Capacity to love”.
Ibrahim Maalouf présente en novembre sa tournée “Capacity to love”. ©Bobby

Trompettiste virtuose et singulier, Ibrahim Maalouf s’imprègne désormais des musiques urbaines qui ont nourri son adolescence et son 15e album studio Capacity to love, véritable hymne à la diversité et à l’inclusion. Entouré d’un casting impeccable, le jazzman le défend actuellement sur scène, non sans surprises. Avant qu’il monte sur celle de l’Accor Arena, L’Éclaireur est parti à sa rencontre.

La tournée Capacity to Love va se clôturer à l’Accor Arena le 29 novembre. En 2016, vous étiez le premier jazzman de l’histoire à remplir cette salle. Quel souvenir en gardez-vous ?

Je ne peux pas oublier ce moment-là. Un trompettiste qui se produit à Bercy équivaut à une artiste comme Clara Luciani qui remplirait dix Stades de France. C’est totalement démesuré ! Normalement, un jazzman joue dans des clubs, mais certainement pas dans des Zénith et encore moins à Bercy. Je l’ai pris comme un cadeau de la vie, complètement fou ! J’ai réitéré l’expérience en 2022. Capacity to Love, ce sera donc la troisième fois. La date affiche complet depuis plusieurs mois. C’est un bonheur de se dire que nous allons terminer cette tournée en apothéose !

L’album Capacity to Love n’a-t-il d’ailleurs pas été conçu pour de grandes salles, justement ?

Si ! Capacity to Love a été taillé pour être joué dans ce type de salles. Heureusement, le public nous a suivis. L’album a été neuf semaines consécutives numéro 1 des ventes en jazz, j’ai donc eu la possibilité d’aller au bout de ma démarche. Pour cette tournée, j’ai souhaité des orchestrations et des arrangements qu’on entend habituellement dans ces lieux lors de concerts de pop, de rock ou de hip-hop. Ma musique est davantage métissée et imprégnée de ces cultures musicales que j’adore. 

Ibrahim Maalouf & Erick the Architect – Money.

Capacity to Love est en effet imprégné de musiques urbaines. Quel rapport entretenez-vous avec ces musiques ?

J’ai grandi en écoutant IAM, NTM, Wu-Tang Clan, De La Soul, Public Enemy… Ils ont en partie façonné ma culture musicale. Créer des ponts entre le jazz et le hip-hop m’a semblé évident. Je ne suis pas rappeur, mais je fais des mélanges.

Votre nouvel album contient un nombre impressionnant de featurings : Erick Arc Elliott, Tank and the Bangas, D Smoke, Flavia Coelho… et Sharon Stone. Comment s’est-elle retrouvée sur votre album ?

Assez naturellement. J’avais décidé d’ouvrir Capacity to Love avec le discours de Chaplin issu du film Le Dictateur (1940). Après avoir parlé avec les ayants droit, j’ai obtenu l’autorisation. Je voulais aussi conclure l’album avec une voix forte provenant du monde du cinéma, celle d’une femme vivante cette fois-ci.

Par hasard, je découvre que Sharon Stone écoute ma musique, qu’elle aime ce que je fais et qu’elle le fait savoir sur mes réseaux sociaux. J’aurais été complément idiot de ne pas lui proposer. J’ai composé le titre Our Flag, puis j’ai eu l’occasion de lui faire écouter. Elle a été très touchée par la musique et elle a tout de suite accepté d’écrire ce texte qui parle aussi de dictatures, celles d’aujourd’hui qui ne ressemblent plus à celles du passé. Dans cette chanson, elle parle des dictateurs qui, sans lever le bras ou hurler, dictent leurs lois de manière unilatérale sans consulter le peuple et sèment le chaos, à la manière de Trump

Ibrahim Maalouf & Sharon Stone – Our Flag.

Avec quel artiste auriez-vous aimé partager la scène ?

Beaucoup évidemment, morts ou vivants. Pour mon premier Bercy, j’ai fait un duo avec Miles Davis. Il était alors le seul trompettiste dans l’histoire du jazz à avoir foulé cette scène qu’il partageait avec deux autres orchestres. Pour cela, j’ai contacté l’Ircam (l’Institut de recherche et coordination acoustique-musique) pour travailler sur une bande son sur laquelle il joue seul. Je l’ai récupérée et j’ai ainsi joué avec lui sur scène, de manière symbolique.

Nous réservez-vous d’autres surprises de ce type sur cette nouvelle tournée ?

Évidemment, mais je ne peux rien dire, sinon ce ne seront plus des surprises !

Cet album est résolument orienté vers le continent américain. Avant Capacity to Love, vous vous étiez déjà produit aux États-Unis, la terre du jazz, pour la tournée de Wind, en 2013. Était-ce important pour vous ?

La culture hip-hop est indissociable de la culture américaine, donc forcément, presque tous les artistes qui ont participé à cet album sont américains. Matthieu Chedid est l’un des seuls à ne pas l’être, mais je le considère comme mon frère de musique et de scène. Quand j’ai débuté, je rêvais de jouer aux États-Unis, mais j’ai vite été déçu. Je me suis rendu compte que les États-Unis sont un des pays qui aujourd’hui aiment et connaissent le moins le jazz. C’est très surprenant !

Les temples du jazz de La Nouvelle-Orléans, de New York ou de Boston, comme Le Berklee College of Music, existent encore, mais globalement les Américains ne s’y intéressent pas. Ils l’assimilent à une musique ringarde du Moyen-Âge. C’est dommage ! Le jazz est beaucoup plus respecté en Europe. 

Ibrahim Maalouf.©Bobby

La trompette dite “microtonale” que vous utilisez est particulière pour deux raisons. Pouvez-vous nous en parler ?

Mon père, trompettiste aussi, l’a inventée dans les années 1960, elle a donc aujourd’hui plus d’un demi-siècle d’existence. C’est un instrument extrêmement rare et de ce fait un vecteur de créativité fabuleux. Il permet de jouer les quarts de tons et donc les maqâms arabes. C’est un instrument hybride, un pont entre l’Orient et l’Occident. Comme je suis Franco-Libanais, cela me permet d’exprimer tout ce que j’ai en moi.

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À partir de février 2024, nous aurons l’occasion de vous écouter au théâtre cette fois-ci. Vous partagerez l’affiche d’Un homme qui boit rêve toujours d’un homme qui écoute avec Thibaud de Montalembert. Cela vous démangeait-il depuis longtemps ? 

Très sincèrement, je n’aurais jamais imaginé jouer au théâtre un jour. Denise Chalem, qui a écrit la pièce, me l’a proposé. Au début, j’ai pensé qu’elle était complètement folle. Je suis musicien, je ne suis pas du tout fait pour parler sur scène. Elle a réussi à me convaincre en avançant des arguments plutôt intéressants : les textes de Kamel Daoud (prix Goncourt du premier roman) et un duo avec Thibaud de Montalembert, un acteur que j’affectionne tout particulièrement. Nous avons beaucoup échangé sur la thématique : la rencontre entre un Français et un Algérien. Pour ma part, je m’imaginais interpréter le personnage français et elle était totalement d’accord avec l’idée. Je me suis alors lancé dans cette aventure.

Ibrahim Maalouf en tournée en France et à l’Accor Arena le 29 novembre 2023.
Un homme qui boit rêve toujours d’un homme qui écoute au 13e Art, Paris, le 27 février 2024.

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