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Mobilités futures, épisode 3 : serons-nous un jour livrés par drone ?

07 novembre 2021
Par Pauline Garaude
Mobilités futures, épisode 3 : serons-nous un jour livrés par drone ?
©Shutterstock

Les drones autonomes et sans pilote opèrent déjà dans bien des domaines, mais celui de la livraison n’en est qu’au stade expérimental. Beaucoup de prototypes fonctionnent et attendent une réglementation pour être mis en circulation. Si certains vols sont envisageables, la livraison en ville reste problématique et incertaine.

Imaginez-vous à Fontanil-Cornillo, petit village de montagne près de Grenoble. Là, dans un lieu dédié, un chauffeur stationne son véhicule où se trouve un drone. Il utilise alors sa télécommande pour ouvrir la porte coulissante du camion, faire sortir un rail et enclencher le vol du drone vers le village de Mont-Saint-Martin (à 3 km à vol d’oiseau). Le drone n’atterrit pas, mais dépose le colis dans le terminal de livraison, et revient à son point de départ dans le camion. Une course qui aura duré 8 minutes. Le destinataire reçoit alors un SMS avec un code qu’il utilise pour récupérer son colis – comme dans les consignes.

Cette livraison est assurée par DPD France, filiale du groupe La Poste, autorisée depuis octobre 2019 par la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) à opérer sur cette ligne commerciale de l’Isère. En 2016, la filiale avait déjà obtenu une première autorisation de couloir aérien pour une ligne commerciale de 15 km dans le Var. Ce sont là les deux seuls exemples opérationnels et légaux en France de livraison par drones.

Pour l’instant, les drones peuvent traverser une autoroute, mais ils volent majoritairement au-dessus de forêts ou de zones non habitées.

Jean-Luc Defrance
Responsable des technologies et du numérique pour le Transport Express de DPDgroup

« Livrer en ville, ce n’est pas possible »

« Nous testons ces livraisons dans des zones soit compliquées d’accès, comme la montagne, soit reculées comme des îles, ou en campagne », déclare Jean-Luc Defrance, responsable des technologies et du numérique pour le Transport Express de DPDgroup qui opère pour La Poste. Pour ce spécialiste, la ville n’est pas une priorité. Bien au contraire. « Ce n’est pas un objectif pour nous dans les prochaines années, car les lois ne permettent pas de voler en ville. Pour l’instant, les drones peuvent traverser une autoroute, mais ils volent majoritairement au-dessus de forêts ou de zones non habitées. Livrer en ville, ce n’est pas possible. Aujourd’hui, aucun concurrent n’a de réel certificat pour voler régulièrement. »

La camion utilisé par La Poste pour le lancement du drone.©La Poste

Si plusieurs essais de livraisons par drone ont été menés en France par les entreprises Air Marine, Thales, IMS (un laboratoire scientifique bordelais) et l’Onera (centre français de recherche aérospatiale), la généralisation du transport par drone n’est pas encore envisagée. La réglementation appliquée au transport aérien en milieu urbain demeure très restrictive et la fiabilité des engins, leur autonomie et leur précision n’offrent pas les conditions de sécurité suffisantes pour déployer un tel service à l’échelle industrielle. En revanche, plusieurs prototypes seraient destinés à livrer des colis dans des dépôts à 50 km des grandes villes et, ainsi, de rapprocher les colis d’un centre urbain.

Test grandeur nature en Australie pour Google

Sur son site Internet, Wing (filiale de Google dédiée à la livraison par drones sur le dernier kilomètre) annonce des exploits. La compagnie, qui teste ses drones en Australie, recevrait une commande toutes les 30 secondes pendant ses horaires de service. Cafés, poulets rôtis, sushis, pain, œufs… Les drones de Wing peuvent porter 1,2 kg de marchandises sur 10 km. À destination, ils s’arrêtent à 7 mètres de hauteur et un câble auquel le paquet est accroché descend jusqu’au sol.

Le drone Wing.©Wing

Pour promouvoir la livraison aérienne, l’aviation civile américaine commence à délivrer depuis 2019 des licences de transporteur aérien. C’est ce type de licence qu’ont, par exemple, décroché UPS et Google. L’objectif de la firme est de livrer des produits en seulement 30 minutes, une fois passée la commande, pour des colis pesant jusqu’à 2,3 kg.

16
milliards d’euros. C’est le chiffre d’affaires qu’atteindrait le marché européen des drones d’ici 2030.

Mais attention aux effets d’annonce : si ces tests sont autorisés dans des zones faiblement peuplées, là encore, le survol des villes et grandes métropoles (où les besoins sont les plus importants) n’est pas autorisé. Les contraintes réglementaires y freinent le développement de ces technologies aériennes sans pilote pour des raisons de sécurité. « Ces appareils ne sont pour le moment pas capables de réagir de façon adaptée face aux obstacles qu’ils pourraient rencontrer lors de leur descente au sol », explique le spécialiste de la mobilité urbaine, Guillaume Thibault, consultant associé chez Oliver Wyman.

L’Europe accélère les drones de fret

Avec la crise sanitaire, la livraison par drones de produits médicaux a pris son envol. En témoigne le programme de logistique médicale Caelus qui, depuis décembre 2020, opère à travers l’Écosse, et le projet Airmour (financé par l’UE) qui testera en 2023 l’organisation de services d’urgence dans les villes de Stavanger (Norvège) et Helsinki (Finlande). Il n’empêche que le secteur du transport de drones dans l’Union européenne se réglemente peu à peu. En novembre dernier, Bruxelles a donné le feu vert au premier réseau mondial de ports de drones de fret. Le projet comprend des aéroports privés et des groupes d’aéroports opérant dans plus de 35 aéroports dans 11 pays européens. Le chantier est mené par l’entreprise bulgare Dronamics qui se prépare déjà à la certification et prévoit de lancer ses premiers vols avant le printemps 2022. Ils se feront à bord des drones Black Swan, d’une capacité de 350 kg chacun et d’une portée de 2 500 km.

Consciente de l’expansion rapide de ce secteur de la mobilité aérienne, de son potentiel en matière de création d’emplois et de croissance économique dans l’UE, Bruxelles a adopté en septembre dernier la norme U-Space visant à intégrer en toute sécurité la gestion du trafic des véhicules aériens sans pilote (UTM) dans l’espace aérien européen. Comme le résume son architecte Thomas Neubauer : « La réglementation U-Space a permis de mettre en place un cadre normatif pour harmoniser les opérations des aéronefs pilotés, des drones et des taxis aériens dans l’espace aérien urbain partagé à basse altitude. » De quoi entrevoir de réelles perspectives…

Pour aller plus loin :
Les Mobilités du futur de Sylvie Setier et Renaud Lefebvre aux éditions Le Cherche midi, 2017.

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Article rédigé par
Pauline Garaude
Pauline Garaude
Journaliste