[Rentrée littéraire 2023] Et si on regardait dans le rétroviseur littéraire ? Voici une sélection non exhaustive des romans qui ont fait fureur et dont le succès n’a pas été égratigné par le passage du temps.
| L’année dernière, Virginie Despentes frappait fort avec Cher connard
Elle a sans conteste été la star des 245 auteurs et autrices qui ont sorti un livre lors de la rentrée 2022. L’essayiste et romancière Virginie Despentes imagine dans Cher connard un long dialogue entre deux personnages torturés : une star de cinéma sur le déclin et un écrivain cynique, accusé de harcèlement sexuel.
Cher connard a marqué par la force de ses thématiques et sa capacité à montrer, malgré tout, comment des amitiés solides peuvent naître entre des personnalités extrêmement antagonistes. Un roman somme toute assez lumineux, qui tranche avec certains des écrits les plus pessimistes de Despentes. À redécouvrir si vous l’avez raté l’an passé !
Et sinon ?
Furent très remarqués aussi cette année-là : Chien 51, dans lequel Laurent Gaudé s’essayait au polar d’anticipation, Le Colonel ne sort pas d’Émilienne Malfatto et son récit extrêmement âpre dans la tête d’un tortionnaire, ou encore Les Vertueux de Yasmina Khadra et son portrait bouleversant des drames de l’Algérie de la première moitié du XXe siècle..
| Il y a cinq ans, Serge Joncour livrait un grand roman de la nature sauvage avec Chien-Loup
Si la rentrée littéraire 2018 fut extrêmement riche et intense, aucun livre n’a véritablement éclipsé tous les autres. Nous en retenons tout de même un, Chien-Loup, de Serge Joncour, texte percutant dans lequel le romancier nous emmène, à la manière des grands écrivains de la nature américaine, loin de toute civilisation, dans une forêt reculée du Lot.
On y suit l’été « déconnecté » d’un couple qui va progressivement se retrouver confronté à un siècle d’histoire sombre et cruelle de ce petit coin de France. Un récit très remarqué, récompensé du Prix du roman d’écologie 2019, avec un style moderne et haletant, qu’il est plus que temps de redécouvrir.
Et sinon ?
Difficile de ne pas citer le très atypique Et j’abattrai l’arrogance des tyrans de Marie-Fleur Albecker et son récit d’une jacquerie anarchiste en pleine guerre de Cent Ans. Mais également de petites pépites, comme le magnifique récit d’adolescence dans les années 1970 tourmentées du Congo-Brazzaville que constitue Les Cigognes sont immortelles d’Alain Mabanckou, ou le très esthétique Concours pour le paradis, dans lequel Clélia Renucci nous emmenait dans les coulisses des plus belles toiles de la Renaissance vénitienne, le temps d’un roman tout à fait charmant.
| Il y a dix ans, Romain Puértolas créait la surprise avec son Extraordinaire Voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea
Ce fut sans conteste une surprise autant qu’un phénomène éditorial : à la rentrée, on parlait beaucoup d’un roman au titre loufoque, L’Extraordinaire Voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea. Une vraie surprise qui divisa la critique, mais se vendit à l’époque comme des petits pains, avec un gros effet de bouche-à-oreille.
Dans ce roman résolument humoristique, nous vivions l’incroyable voyage d’un hindou un peu escroc sur les bords, embarqué dans un road trip burlesque aux quatre coins de l’Europe et de l’Afrique du Nord. À redécouvrir pour les amateur·rice·s de comédies farfelues.
Et sinon ?
Dans une veine bien plus poétique que celle de notre cher fakir, il faut évidemment citer Au revoir là-haut, chef-d’œuvre de Pierre Lemaitre et sublime tragédie dressant le portrait de la France du début des années 1920. Et on se souvient également de petites perles comme Les Évaporés de Thomas B. Reverdy et son portrait sombre de la société japonaise, ou encore du décoiffant Faillir être flingué de Céline Minard et sa revisite punk du western américain.
| Il y a 50 ans, Lucien Bodard évoquait sa jeunesse dans Monsieur le Consul
Il fut un temps ou l’on désignait parfois les ouvrages de la rentrée littéraire sous le terme de « bêtes à Goncourt », des livres parus juste à temps pour figurer sur la liste des grands prix. Et, en 1973, il y a pile 50 ans, la compétition était déjà rude. Force est de constater que nombre de grands romanciers et romancières de l’époque sont désormais un peu oublié·e·s : qui lit encore Suzanne Prou, Tony Duvert ou Jean-Marie Paupert ?
Néanmoins, cela ne veut pas dire que 1973 soit une année littérairement négligeable : s’il fallait retenir une œuvre ayant traversé le temps, citons par exemple ce Monsieur le Consul, récit autobiographique dans lequel Lucien Bodard (un futur prix Goncourt) évoquait la vie de sa famille et particulièrement celle de son père, diplomate français dans la Chine en guerre civile des années 1920.
Et sinon ?
Un des grands succès de l’année fut le roman mêlant biographie et fantasmagorie familiale La Lisière, signé Patrick Grainville et qui manqua de peu le prix Goncourt. À ses côtés, on retrouvait le roman d’aventure et d’espionnage Juan Maldonne, dans lequel Michel Dard nous faisait vivre des aventures trépidantes dans la Turquie des années 1930, ainsi qu’un certain Sac de billes de Joseph Joffo, immense phénomène éditorial et évocation de l’enfance de l’auteur, rescapé des persécutions antisémites pendant la Seconde Guerre mondiale en pleine France occupée. Un roman qui sera par la suite largement étudié dans les écoles françaises.
| Il y a 100 ans, Colette choquait la France avec Le Blé en herbe
Terminons ce voyage au cœur de l’été 1923 : Colette, alors un des très grands noms de la littérature française, publie un nouveau roman. Habituée des textes perçus alors comme licencieux et choquants (on pense à la série Claudine évoquant largement sa propre bisexualité), elle frappe ce coup-ci très fort avec Le Blé en herbe.
Passé à la postérité comme un de ses chefs-d’œuvre, ce roman narrait l’éveil à la sensualité, puis à la sexualité de deux adolescents, Phil et Vinca. Évocation frontale de la découverte des plaisirs charnels, en partie autobiographique, Le Blé en herbe sera un sujet de conversation sans fin dans la bourgeoisie littéraire des années 1920, et assurera la fortune de son éditeur pour l’année 1923 !
Et sinon ?
Jean Cocteau évoquait de son côté une histoire d’usurpation d’identité en pleine Grande Guerre dans le désormais un peu oublié Thomas l’imposteur. François Mauriac, lui, nous plongeait en plein drame familial avec son Genitrix et Lucien Fabre remportait le prix Goncourt avec Rabevel ou le mal des ardents. Une sorte de Loup de Wall Street avant l’heure, puisque l’on y suivait un financier sans scrupules et prêt à sacrifier tout son entourage pour faire fortune dans la frénésie financière des débuts de la IIIe République.