Mortelle Adèle, ce sont des millions d’exemplaires vendus, des traductions à l’échelle internationale et surtout des enfants qui dévorent cette série de BD. Retour sur cette success-story inédite.
Elle est devenue incontournable ! Mortelle Adèle – petite fille rousse impertinente, qui aime torturer son chat, imaginer des plans diaboliques avec son ami imaginaire (Magnus, un fantôme de la Révolution française) et qui déteste (presque) tout le monde – s’est imposée dans les bibliothèques des 7-12 ans.
La recette d’un succès
Lancée en 2012 au sein de la maison d’édition Tourbillon, la bande dessinée Mortelle Adèle est un succès immédiat. En moins de deux ans, Antoine Dole (alias Mr Tan), son auteur et auto-éditeur depuis 2022, publie pas moins de sept tomes. Une production prolifique qui annonce déjà le succès actuel. Aujourd’hui, la série compte 19 tomes. Mais ça ne s’arrête pas là !
Mortelle Adèle, c’est aussi un podcast, des romans, un disque, un magazine – en kiosque depuis la fin du mois de juin 2023 et qui s’est déjà écoulé à plus de 50 000 exemplaires –, un dessin animé prévu pour 2025 et des objets dérivés en tout genre. Devenue une franchise, cette jeune héroïne fascine les enfants, qui sont aujourd’hui plus de 15 millions à la suivre à travers ces différents formats. Un boom impressionnant sur ces cinq dernières années, puisqu’en 2018, les ventes s’évaluaient (déjà) à 1 million…
Mais comment expliquer ce succès fulgurant ? « Dans l’esprit des enfants, elle n’est pas simplement un personnage de papier. Elle vit avec eux au quotidien : à l’école, en vacances, quand ils sont en pleine réflexion… Elle est comme une confidente », suggère Diane le Feyer, dessinatrice de la série, qui a repris le flambeau de Miss Prickly à partir du huitième tome.
Être bizarre, la nouvelle norme
On peut alors s’interroger : pourquoi les enfants adorent-ils un personnage aussi tourmenté ? « Cette lecture torturée du personnage, c’est celle des adultes. L’enfance, on a tendance à l’oublier, c’est un endroit d’angoisses, d’explorations, d’apprentissage… Les enfants, quand ils lisent Mortelle Adèle, ne voient pas une petite fille cruelle et détestable, ils voient plutôt une petite fille courageuse, qui ose dire les choses, questionner le monde des adultes, qui n’a pas peur d’affirmer qui elle est », précise Antoine Dole, créateur et auteur de la série. En effet, à la manière d’une fable, Mortelle Adèle porte une morale, un message fort, une revendication, même : le droit à être différent. L’un des tomes collectors de la BD, sorti en 2020, s’intitule même Mortelle Adèle et la galaxie des bizarres.
« Les enfants, quand ils lisent Mortelle Adèle, ne voient pas une petite fille cruelle et détestable, ils voient plutôt une petite fille courageuse. »
Antoine DoleCréateur de la série Mortelle Adèle
Pas étonnant, lorsque l’on sait que l’auteur a imaginé ce personnage à 14 ans, lorsqu’il était victime de harcèlement scolaire, comme pour se forger une armure. « Un jour de colère, j’ai pris une feuille, et j’ai tracé un trait comme une grande rature, puis j’ai dessiné deux yeux dessus, c’est devenu la barre de front de Mortelle Adèle. Elle m’a sauvé en me permettant d’exprimer ma colère et, petit à petit, d’affirmer mon envie de ne plus négocier qui j’étais, se souvient-il, avant d’ajouter, elle est dans la vie de lecteurs exactement ce qu’elle était dans mon adolescence. Sa force, aussi, c’est qu’elle est la création d’un enfant, pas celle d’un adulte. Ça lui confère une sincérité qui est importante pour s’adresser aux autres enfants. »
« Cette petite fille exprime sa méchanceté, ses pulsions, donc elle offre une ouverture pour les enfants à être différents. »
Emma ScaliPsychanalyste et autrice
C’est d’ailleurs ce qui plaît autant aux lecteurs et lectrices de Mortelle Adèle selon Emma Scali, psychanalyste et autrice de Séries sur le divan – Histoires et personnages en thérapie : « Les enfants sont traversés par beaucoup de problématiques d’ordre affectif, que les adultes ont tendance à minimiser. Dans Mortelle Adèle, ces questions ne sont pas du tout minimisées. Cette petite fille exprime sa méchanceté, ses pulsions, donc elle offre une ouverture pour les enfants à être différents. »
Mortelle Adèle prône la “désobéissance utile”
Mortelle Adèle, c’est aussi bêtise sur bêtise… Or, les bêtises peuvent être positives pour les enfants. « Désobéir, c’est très important. D’abord pour être sanctionné, puis pour apprendre à mesurer la portée de leurs actes. Ces valeurs sont aussi des moyens de grandir, de se confronter à la complexité du monde et de ce qu’on est. C’est ainsi que les enfants créent leur identité. Il y a quelque chose chez Mortelle Adèle qui permet l’autorisation de ces parts de nous qui ne sont pas forcément parfaites. Donc ça attire beaucoup les enfants », explique Emma Scali.
« Ceux et celles qui défient la norme, le champ des possibles, font grandir les sociétés. »
Antoine DoleCréateur de la série Mortelle Adèle
Que les parents se rassurent, leurs enfants ne se transformeront pas en gremlins : « Les enfants ne veulent pas être Adèle, ils veulent l’avoir comme amie », précise Diane le Feyer. Arrivé dans un sillage d’héroïnes impertinentes, telles que Mafalda, Mercredi Addams, ou encore Fifi Brindacier, le personnage de Mortelle Adèle prône la désobéissance utile. « Ceux et celles qui défient la norme, le champ des possibles, font grandir les sociétés. L’idée dans Mortelle Adèle ce n’est pas de trouver sa place dans un système qui existe, mais d’inventer sa propre place. Les bêtises en sont l’émanation la plus immédiate, la plus rigolote à hauteur d’enfant », exprime avec ferveur Antoine Dole.
Cet humour grinçant et délirant, les enfants en sont fans. Et cette fascination pour Mortelle Adèle peut les amener à développer un goût pour la lecture. C’est en tout cas ce que constatent les parents. Marie-Aude P. se réjouit : « Premier livre que mon fils lit seul. Pour lui ça a été un déclic » écrit-elle dans les avis de la Fnac. Un phénomène confirmé par Alexandra G. : « Ma fille a commencé à lire Mortelle Adèle l’année dernière et a terminé tous les tomes en quelques mois. Ces petites histoires lui ont permis de devenir une lectrice assidue ». Mortel !