Décryptage

De la bureautique à Elden Ring, l’étonnante histoire de From Software

25 août 2023
Par Vincent Oms
“Elden Ring” fait figure de pinacle dans la liste des créations de From Software.
“Elden Ring” fait figure de pinacle dans la liste des créations de From Software. ©From Software

Devenu l’un des développeurs japonais majeurs du paysage vidéoludique actuel, le studio a connu une histoire assez singulière.

Bien avant de devenir le développeur phare si apprécié du grand public, From Software a connu un parcours étonnant, en tant qu’entreprise d’abord, puis développeur. Presque 30 ans en arrière, loin des Dark Souls et autres Elden Ring, succès foudroyants et créateurs d’un genre dans lequel s’engouffreront nombre de studios, les débuts furent bien modestes. La sortie à venir d’Armored Core VI: Fires of Rubicon, le 25 août prochain, est l’occasion d’un flashback.

En 1986, Naotoshi Zin fonde une société destinée à éditer des logiciels de bureau professionnels à Tokyo, dans le quartier très animé de Shibuya. Jusqu’en 1994, ce futur éditeur de jeux cultes n’a donc publié que des utilitaires professionnels, avant de succomber à l’appel du jeu vidéo, renforcé par la sortie prochaine de la toute première PlayStation. L’arrivée de la console de Sony ouvre en effet la porte à toute une frange d’aspirants développeurs, essentiellement au Japon, le constructeur mettant à disposition des outils facilitant la prise en main de sa console et de ses entrailles.

La toute première PlayStation a attiré de nouveaux talents grâce à une bibliothèque d’outils (uniquement en japonais) facilitant le développement.©Labo Fnac

La présence d’un lecteur CD-Rom et les possibilités offertes par la 3D donnent à From Software l’idée de s’intéresser à un genre plutôt occidental, le C-RPG (« C » pour computer), c’est-à-dire les jeux de rôles antiques sur PC, préfigurant non seulement le jeu vidéo moderne, mais aussi les FPS. Un premier pas logique pour une société jadis spécialisée dans les utilitaires, en somme. D’autant que le catalogue de lancement de la première PlayStation présente une lacune majeure avec l’absence de jeux de rôles en son sein, une véritable anomalie pour une console japonaise.

Opportuniste, mais fondateur

L’occasion fait le larron, et From Software propose donc sa première production, King’s Field, moins de deux semaines seulement après la sortie de la machine. L’influence majeure sur ce titre vient de Wizardry, figure du RPG occidental dans les années 1980. Produit par le président historique, Naotoshi Zin, King’s Field ne se contente pas de puiser dans cette source d’inspiration évidente, mais, déjà, crée les piliers de titres cultes à venir.

Attaque au corps à corps et magiques vidant une barre d’endurance commune, univers médiéval fantastique et difficulté élevée font en effet du titre une curiosité à son lancement. La nouveauté se montrant souvent effrayante, l’accueil de la presse et du public est plutôt mitigé. Pourtant, quelques irréductibles fans louent d’entrée les qualités de ce jeu plutôt lent, exigeant et pas franchement brillant graphiquement. Les ventes japonaises permettent au nouvel éditeur d’exporter son second volet, rebaptisé King’s Field tout court aux États-Unis, comme un certain Final Fantasy en son temps.

De l’heroic à la robotique

Avoir traversé le Pacifique a permis à King’s Field de toucher un public plus habitué aux RPG occidentaux et à leurs codes. Sans y connaître non plus un succès à la hauteur des ténors du jeu de rôle de l’époque, King’s Field se forge une réputation auprès d’une communauté fidèle, tout au long de sa carrière. Mais, après un troisième épisode, From Software décide de se diversifier en changeant totalement d’univers avec une nouvelle licence : Armored Core. Exit les catacombes pleines de squelettes, bonjour les « méchas », ces robots surpuissants à l’équipement interchangeable, dans des environnements là encore tout en 3D.

Beaucoup plus en phase avec les attentes du public japonais, Armored Core connaît un franc succès à sa sortie en 1997. Son caractère innovant, avec une customisation des engins très poussée, la taille des univers proposés et certaines particularités, comme le multijoueur en réseau local avec le câble link de la PlayStation, font de la licence une belle réussite. Si bien que les méchas font de l’ombre à King’s Field, qui, si elle continue, n’est désormais plus la tête d’affiche de From Software. Pourtant, grâce aux robots géants, les valeurs premières de l’éditeur Software vont connaître un étonnant retour au premier plan.

De “sans éclat” à leader

En 2001, un jeune responsable de compte travaillant au sein de la filiale japonaise de la société américaine Oracle s’ennuie ferme. Un ami lui fait alors découvrir le jeu Ico sur PlayStation 2, le chef-d’œuvre de Fumito Ueda. Le déclic est immédiat. Il donne aussitôt envie à Hidetaka Miyazaki de rejoindre cette industrie. Sans expérience, âgé de 29 ans, il s’étonne de voir les portes de From Software s’ouvrir et de pouvoir participer au développement d’Armored Core Last Raven en 2004. S’adaptant très vite à son nouveau domaine de prédilection, il devient directeur sur les deux volets suivants. Cependant, ce n’est pas dans cette série robotique que Miyazaki va trouver matière à s’épanouir.

Lorsque l’éditeur évoque en interne un projet d’action RPG dans un univers d’heroic fantasy, Miyazaki saute sur l’occasion. Les tentatives dans le domaine, depuis les belles années de King’s Field, ont souvent été des échecs critiques, commerciaux, ou les deux à la fois. Et, rapidement, ce nouveau projet est pointé du doigt, à son tour, comme un futur échec potentiel. Une étiquette qui donne le champ libre à Miyazaki, qui va au bout des idées de son concept, donnant naissance à Demon Souls. L’accueil critique et public est d’abord glacial, confortant l’idée d’un bide attendu chez From Software…

Bombe à retardement

Étonnamment, ce n’est que quelques semaines après son lancement que Demon Souls révèle tout son potentiel. Les piliers imaginés jadis par Naotoshi Zin, renforcés par la vision éclairée d’un Hidetaka Miyazaki précurseur, dans l’imaginaire duquel les joueurs peuvent interagir de multiples façons au sein d’un univers à la narration environnementale foisonnante, font mouche.

Le début d’une succes-story beaucoup plus connue, durant laquelle le créateur deviendra président de From Software. Surtout, il donnera naissance à des chefs-d’œuvre tels que Dark Souls, son successeur spirituel, le spin-off Bloodborne ou, plus récemment Elden Ring, l’un des jeux de l’année 2022. Comme un clin d’œil, la sortie d’Armored Core VI, le 25 août prochain, prouve que le « nouveau » président n’a pas oublié cette licence si décisive pour lui et pour son entreprise.

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Article rédigé par
Vincent Oms
Vincent Oms
Journaliste
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