Décryptage

Gollum était-il (vraiment) le personnage idéal pour devenir un héros de jeu vidéo ?

25 mai 2023
Par Valérie Précigout (Romendil)
Le jeu “Le Seigneur des Anneaux : Gollum” sort le 25 mai sur PC et consoles.
Le jeu “Le Seigneur des Anneaux : Gollum” sort le 25 mai sur PC et consoles. ©Daedalic Entertainment/Nacon

À l’occasion de la sortie du jeu Le Seigneur des Anneaux : Gollum, nous nous sommes demandé quel genre d’adaptation pourrait donner toute sa mesure au personnage le plus fascinant imaginé par Tolkien.

Contrairement aux idées reçues, un personnage de jeu vidéo n’a pas besoin de charisme pour rester dans les mémoires. Lui donner suffisamment d’épaisseur sur le plan psychologique peut déjà suffire à inspirer des mécaniques de jeu très intéressantes. Les exemples d’individus menacés à tout moment de sombrer dans la folie existent bel et bien dans les œuvres vidéoludiques, et ils ont même souvent donné lieu à des expériences très marquantes.

On pense notamment à Eternal Darkness: Sanity’s Requiem, un titre mythique qui tutoyait la démence jusque dans ses mécaniques de gameplay. Face aux horreurs auxquelles ils étaient confrontés, tous ses protagonistes pouvaient être sujets à des hallucinations si l’on ne veillait pas à préserver constamment leur santé mentale.

Un anti-héros de jeu vidéo au profil idéal ?

On pourrait également citer d’autres softs d’influence lovecraftienne, ou même l’incontournable Hellblade: Senua’s Sacrifice et son héroïne tourmentée par des voix intérieures qui la plongent dans un stress émotionnel permanent. Mais vous avez compris le message : un bon concept n’a pas forcément besoin de moyens techniques démesurés s’il s’appuie sur un avatar qui sort de l’ordinaire. Difficile de trouver plus inspirant que Gollum en la matière.

Inquiétant, fascinant et inspirant, Gollum est-il pour autant prêt à renouveler la face du jeu vidéo ?©Daedalic Entertainment / Nacon

Là où l’idée d’en faire le héros de sa propre aventure vidéoludique devient plus délicate, c’est lorsqu’on doit prendre en compte sa vulnérabilité. Dans les œuvres de Tolkien où il intervient (Le Hobbit et Le Seigneur des Anneaux), on constate en effet qu’il n’a guère le profil pour défier qui que ce soit de front. Tout juste peut-il se faufiler à l’abri des regards et compter sur son extrême agilité pour échapper rapidement à ses poursuivants.

Difficile, donc, de contourner la proposition évidente d’un jeu d’infiltration basé sur la discrétion, exactement comme avait très bien su le faire la série de jeux A Plague Tale en nous obligeant à redoubler d’astuce pour ne pas tomber entre les mains d’ennemis beaucoup plus forts que nous.

Les possibilités de neutraliser ses adversaires sont volontairement réduites.©Daedalic Entertainment / Nacon

Tourments intérieurs prononcés, furtivité parfaitement maîtrisée et talents d’acrobates avérés… Le profil d’un jeu centré sur Gollum commence maintenant à se préciser nettement et nous semble dès lors tout à fait viable. Mais même en actant le choix du personnage principal, les contours possibles d’une adaptation revisitant son histoire restent encore innombrables.

L’histoire cachée de Gollum

Comment le Hobbit Sméagol a-t-il pu devenir ce monstre, cette abomination qui nous hante à la lecture des romans de Tolkien ? Cette question aurait pu être au cœur du jeu conçu par Daedalic Entertainment, mais le studio a choisi une autre approche.

L’intention de l’équipe était en effet de nous raconter tout ce que l’on ignore sur ce personnage. Autrement dit, au lieu de revisiter directement les moments charnières de l’existence de Gollum, le jeu extrapole librement autour de ce qu’il a pu vivre après s’être fait dérober l’anneau unique par Bilbo.

La vie de Gollum est une longue série d’emprisonnements.©Daedalic Entertainment / Nacon

Comment est-il parvenu à échapper aux Orques du Mordor puis aux Elfes du royaume sylvestre de Thranduil ? Quelles rencontres a-t-il bien pu faire ? Quelles alliances a-t-il pu nouer oubriser ? Une approche très intéressante sur le papier, mais pas forcément facile à concrétiser en jeu.

Elle engendre aussi forcément une certaine frustration de ne pas assister aux scènes les plus connues qui ont fait toute la symbolique du personnage : le meurtre de Déagol, les énigmes dans le noir avec Bilbo, l’idée de piéger Frodo dans l’antre d’Arachne ou même sa chute fatale au mont du Destin. En réalité, le jeu s’inspire de certaines d’entre elles pour y faire référence d’une manière détournée qui n’échappera pas aux connaisseurs de Tolkien.

Rendez-lui son précieux !

Mais déjà, comment traduire de manière ludique cette corruption intérieure qui l’a rongé pendant des siècles au point de le rendre méconnaissable ? Banni par les siens après avoir commis l’impensable, Sméagol est devenu malgré lui cette créature visqueuse et sournoise rebaptisée Gollum à cause des sons gutturaux qui s’échappent régulièrement de sa bouche.

Cette culpabilité qui devrait le hanter ne l’atteint plus qu’au travers de sa seconde personnalité, qui sert finalement de fil rouge au jeu vidéo. Et c’est peut-être bien sa meilleure trouvaille : nous faire entendre en toile de fond la voix d’un Gollum captif qui raconte son lointain passé à Gandalf alors que le magicien tente de le forcer à reconnaître le meurtre inavouable de son ami.

Pour qu’une personnalité prenne l’ascendant sur l’autre, il faut trouver les arguments.©Daedalic Entertainment / Nacon

En clair, Gollum refuse d’admettre qu’il est un voleur et un meurtrier même s’il n’a, au fond, pas plus de raison qu’un autre de revendiquer la possession de l’Anneau. Il en paiera d’ailleurs le prix fort lorsque ce dernier le trahira en l’abandonnant de sa propre volonté, non sans avoir corrompu son âme et son corps durant des siècles.

On peut quand même regretter que le jeu n’ait pas recours à des flashbacks pour revenir sur les points les plus importants du passé du personnage. Car il faut garder à l’esprit que c’est bien sa convoitise exacerbée qui a condamné Sméagol à l’exil pour devenir cette créature rampante terrée dans les galeries des montagnes de Brume.

Le Gollum du jeu s’appuie sur les livres de Tolkien mais reste proche de celui des films de Peter Jackson.©Daedalic Entertainment / Nacon

Même si les joueurs connaissent tous le véritable point de départ de la tragédie de l’existence de Gollum qui n’a de raison d’être qu’à travers celui qu’il appelle « son précieux », il faut se contenter de ses quelques échanges avec Gandalf comme seuls renvois directs à l’histoire que l’on connaît.

Trop misérable pour mériter la mort, Gollum aurait pu périr de nombreuses fois, mais il survit malgré tout, peut-être parce qu’il a un rôle décisif à jouer avant la fin. Sur ce point, en revanche, le jeu assume un peu trop son aspect « die & retry » en nous obligeant à redoubler de persévérance pour espérer aller au terme des dix chapitres de l’histoire.

Un récit qui n’a encore jamais été raconté

Qu’a donc bien pu faire Gollum à partir du moment où il a été fait prisonnier dans la forteresse de Barad-dûr ? Car c’est là que commence cette adaptation et aucun écrit de Tolkien ne nous en livre le moindre détail.

Une bonne partie du jeu extrapole ainsi autour de la captivité de Gollum au Mordor, puis au royaume des elfes sylvestres. Des personnages inédits interviennent alors pour imaginer un quotidien fait de besognes ingrates auxquelles Gollum tente de se soustraire en trouvant différents moyens de quitter les lieux.

Qui sont ces mystérieux alliés inventés pour les besoins du jeu ?©Daedalic Entertainment / Nacon

Il y parviendra en élaborant des stratagèmes qui le confronteront régulièrement à ses deux personnalités. Le jeu tente ainsi de reproduire le coup de génie de Tolkien qui avait su trouver les mots parfaits pour décrire toute la complexité d’un être déchiré entre le bien et le mal, ou plutôt entre une fragilité servile et une méchanceté égoïste. Se parlant à lui-même et confondant sa propre identité avec celle de l’anneau, Gollum n’est jamais seul dans sa tête, mais toujours en conflit avec lui-même.

Les corniches sont bien plus visibles chez les Elfes qu’au Mordor.©Daedalic Entertainment / Nacon

Si ces déchirements intérieurs servent l’ambiance du jeu qui bénéficie d’une bonne atmosphère sonore, la manière dont il faut parfois trouver les arguments pour convaincre l’une des deux personnalités de Gollum se révèle moins pertinente. On s’attendait aussi à de vraies conséquences dans le déroulement des événements selon l’importance que l’on choisirait d’accorder à Gollum ou à Sméagol et ce n’est pas vraiment le cas.

Une équation loin d’être parfaite

Ce conflit permanent ne constitue absolument pas le cœur du titre, qui choisit au contraire de miser sur une prédominance incongrue de phases d’escalade et de plateforme. Créature agile et silencieuse, Gollum est logiquement capable d’emprunter des chemins détournés et inaccessibles à ses ennemis. Cependant, on ne s’attendait pas vraiment à crapahuter autant dans les grottes et les forêts.

De la même façon, l’infiltration pure est trop scriptée pour nous laisser vraiment libres de choisir entre différentes approches furtives. Mais pas question, heureusement, de faire de Gollum un maître assassin : il ne peut étrangler que les Orques les plus vulnérables et se contente généralement de fuir tant sa jauge de vie est limitée.

Quand on ne crapahute pas dans les arbres, on joue au chat et à la souris.©Daedalic Entertainment / Nacon

Le détour dans l’antre d’Arachne pourrait tout de même donner des sueurs froides à ceux qui craignent de naviguer au plus près des araignées venimeuses à la piqûre mortelle… Même si la panique peut justement aider à franchir cet endroit sordide à toute vitesse.

Comme trop souvent dans les jeux vidéo impliquant des séquences de fuite très scriptées, les « game over » seront légion avant de mémoriser parfaitement l’emplacement des pièges, mais on imaginait mal le titre se priver d’un tel passage obligé.

Gollum ne désespère pas d’apprivoiser la pire des araignées.©Daedalic Entertainment / Nacon

On sait que Gollum avait tissé des liens avec l’araignée géante avant de songer à s’en servir contre les Hobbits pour leur reprendre l’anneau, lui envoyant même régulièrement des Orques en pâture. Mais le jeu montre bien qui est la véritable maîtresse des lieux.

Longue série de tragédies et marquée par la captivité, l’histoire de Gollum telle qu’elle a été extrapolée par Daedalic pourra surprendre les fans de Tolkien. On peut accorder au studio l’audace d’avoir tenté de combler les vides en avançant l’idée que le personnage aurait très bien pu nouer des alliances fragiles avec des individus inédits. Mais même lorsqu’il compte sur autrui, Gollum ne fait jamais confiance et s’attend toujours à être trahi.

©Daedalic Entertainment / Nacon

Difficile de traduire avec la grammaire vidéoludique toute la souffrance d’un être qui reste avant tout une victime. La vision proposée par Daedalic nous donne le sentiment que son histoire véritable fut sans doute bien plus douloureuse que n’a pu l’être celle de quiconque en Terre du Milieu. Gollum incarne celui qui ne peut espérer ni rédemption ni paix intérieure, demeurant cet éternel cauchemar ambulant obnubilé par un trésor maudit.

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