Décryptage

La folle histoire de Resident Evil 4, du désastre au chef-d’œuvre

23 mars 2023
Par Vincent Oms
La folle histoire de Resident Evil 4, du désastre au chef-d'œuvre
©Capcom

Reconnu comme un virage dans le jeu d’action moderne, le titre phare de Capcom a connu de nombreux problèmes durant sa création initiale.

Derrière le projet du quatrième volet de Resident Evil, son éditeur, Capcom avait deux besoins majeurs. Tout d’abord, faire évoluer sa licence, qui, au fil de ses trois premiers épisodes, jouait surtout la carte de la surenchère sans révolutionner vraiment sa recette. Le changement de génération de consoles de l’époque, avec l’arrivée des PlayStation 2 et Nintendo Gamecube notamment, devait leur permettre d’assumer ces prétentions.

L’autre impératif était d’assurer le succès commercial de la franchise, avec une grosse pression de la part de ses actionnaires. Un enjeu qui a bouleversé en partie les plans de ce qui a longtemps été pensé comme une exclusivité Gamecube.

Mais, nous allons le voir, c’est surtout dans son processus créatif chaotique que le titre s’est illustré, donnant l’illusion en externe d’une arlésienne en devenir, mettant en doute la réussite potentielle de son résultat final.

Les informations de cet article sont issues pour leur plus grande partie de présentations presses et interviews d’époque, pour d’autres d’éléments venant de sites comme Gamerant. Avant de devenir le remake le plus attendu de 2023, Resident Evil 4 a tout simplement failli ne pas exister !

Des débuts hésitants

Au sein de Capcom, Shinji Mikami fait figure de grand maître à penser. Il est en effet derrière le plus gros succès de l’ère récente de la firme, avec la création du Resident Evil original sur la première PlayStation. Il a ensuite supervisé Resident Evil 2, annulant le projet initial pensé par Hideki Kamiya, aujourd’hui responsable d’un des meilleurs studios de jeux d’action, Platinum Games (Bayonetta, Metal Gear Rising).

Pas rancuniers, les deux hommes se sont malgré tout lancés dans le premier projet d’un Resident Evil 4 sur la toute nouvelle PlayStation 2. En attendant, Capcom occupait le terrain de la PlayStation 2 avec un autre survival horror, initialement pensé comme un Resident Evil durant l’ère Sengoku, Onimusha (janvier 2001). Un titre sur lequel Mikami a été conseiller spécial.

Resident Evil May Cry

Au fil du développement, Kamiya a voulu faire de son personnage inédit, baptisé Tony, un héros badass, aussi fort qu’intelligent, et surtout dégageant une attitude très cool, mais il s’est rapidement rendu compte que les contraintes des anciens volets l’en empêchaient.

Après un voyage en Europe pour des prises de vues d’architecture gothique visant à modéliser des décors en 3D temps réel, il a décidé d’opter pour une caméra mobile permettant de mieux souligner l’action. C’en était trop pour Mikami, qui estimait que le projet s’éloignait complètement de la franchise initiale.

Toutefois, et contrairement au précédent projet de Kamiya, il a terminé son développement, fort d’un nouveau héros et d’une histoire en phase avec celui-ci : Dante et Devil May Cry (qui est sorti en août 2001), s’inspirant librement de La Divine Comédie, étaient nés. Une toute nouvelle saga, qui allait connaître un joli succès… mais qui impliquait un premier retour à la case départ pour Resident Evil 4.

Projet dans le Brouillard

Après avoir été officiellement annoncé comme un titre en développement et exclusif à la Gamecube, Resident Evil 4 se faisait donc discret. En attendant, Capcom proposait en 2002 un remake de Resident Evil premier du nom sur la machine de Nintendo, ainsi qu’un jeu alternatif dans la chronologie, Resident Evil Zero, basé sur un projet Nintendo 64 abandonné. En dépit d’un succès critique, les ventes de cet épisode à part inquiétaient les actionnaires, qui voyaient d’un mauvais œil le retard pris par Bio Hazard 4, de son nom japonais.

C’est donc au Tokyo Game Show 2002 que le titre a fait sa première apparition publique, dans une vidéo mettant en scène pour la première fois Leon S. Kennedy. Mais l’action se déroulait alors dans le manoir Spencer et le héros était aux prises avec une entité brumeuse, qui a valu à cette démo le surnom de « Brouillard ».

Leon devait y être lui-même infecté par le virus, lui conférant des pouvoirs, et le jeu s’appuyait sur quelques passages en FPS. Mais les limitations techniques et un scénario tragique pour le héros ont fait passer à la trappe cette version et son entité brumeuse.

Un crochet pas assez accrocheur

Durant l’E3 2003, Capcom montrait une toute nouvelle version avec un projet baptisé L’Homme au crochet en raison de l’arme de son antagoniste majeur. Terrifiante, la vidéo jouait sur des aspects surnaturels qui n’étaient pas sans rappeler l’ambiance de Silent Hill (qui prépare aussi son prochain retour).

Cette proximité avec le titre de Konami a été pointée du doigt en interne, l’éditeur trouvant le résultat trop éloigné de l’approche initiale de la saga, basée sur une peur primaire plus que suggérée. Lorsque l’on revoit les poupées qui marchent dans la vidéo, on se dit que ce n’est pas plus mal pour certains phobiques de ces petites horreurs.

La lampe torche était alors un élément essentiel, faisant fuir certaines créatures. Pourtant, cette démo introduisait, déjà, des mécaniques qui feraient bien leur apparition dans le jeu final, tels que les Quick Time Event (appuyer sur une touche au bon moment pour effectuer une action rapide), la visée laser et surtout la caméra fixée derrière l’épaule du héros.

Une dernière version pour la route

Il y a une dizaine d’années, le scénariste de Resident Evil 3, Yasushisa Kawamura, révélait avoir travaillé sur un antépénultième projet basé en grande partie sur une scène du film Lost Souls (2000).

Cette version devait être plus effrayante, prenant place à la fois dans le manoir Spencer et un laboratoire. Leon retrouvait alors une jeune fille échappée de cet endroit, et devait se frayer un chemin aidé par un chien mutant, véritable arme biologique.

De très nombreux changements donc, tant côté gameplay que réalisation, qui rendaient le développement trop coûteux et trop long. Mikami a mis fin à cette dernière tentative, reprenant lui-même en main le destin de Resident Evil 4.

Et enfin, la lumière

Il n’aura fallu que trois semaines à Mikami pour rédiger l’intégralité du script de la version finale de Resident Evil 4. Aidé par son producteur, Hiroyuki Kobayashi, en charge de certains boss et créatures, il a fait le tri entre les bonnes et les mauvaises idées précédentes, non sans mal.

En effet, ce développement à rallonge a créé beaucoup de tensions chez les développeurs. Certains membres des équipes ne comprenaient pas cette nouvelle direction plus orientée vers l’action, d’autres l’applaudissaient, lassés de rejouer au même jeu à chaque nouvelle itération. Avant de convaincre le grand public, Mikami a donc dû rallier ses équipes à sa vision.

Quelques mois avant la sortie de la version définitive, des journalistes du monde entier, dont nous étions, étaient conviés dans les locaux de Capcom pour s’essayer aux débuts du jeu tant attendu. La tension se montrait alors palpable chez les développeurs, pourtant rompus à cet exercice de communication classique. Les nombreuses questions et les demandes de retours positifs comme négatifs sur chaque aspect montraient une fébrilité certaine.

Une presse unanime

Pourtant, rares ont été les journalistes à ne pas succomber au charme immédiat de cette petite révolution. Sans doute moins effrayant, ce quatrième volet dynamitait littéralement les jeux d’action, avec son angle de vue repris par tant de futures productions, épatait par son dynamisme et jouait plus sur les notions de surnombre ou de puissance des boss pour faire monter la tension.

Un succès critique et commercial monstre a été au rendez-vous, bien aidé par la rupture du contrat d’exclusivité avec Nintendo et la sortie du jeu sur PlayStation 2 seulement quelques mois plus tard. Mikami en personne s’en est excusé par la suite, de façon toute japonaise, même si c’est probablement le soulagement qui l’a emporté après un marathon qu’on imagine épuisant. Sans cette issue heureuse, vous ne pourriez pas profiter de son remake flamboyant aujourd’hui.

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Article rédigé par
Vincent Oms
Vincent Oms
Journaliste
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