Décryptage

ClimateTech : la nouvelle bulle sera-t-elle écolo ?

16 mars 2023
Par Florence Santrot
ClimateTech : la nouvelle bulle sera-t-elle écolo ?
©Deemerwha Studio/Shutterstock

Après les licenciements en masse dans la Silicon Valley, la Climate Tech se présente comme le nouvel Eldorado. Est-ce vraiment la solution ?

La ClimateTech (comme la MedTech, l’AgriTech, etc.) désigne l’ensemble des technologies développées pour lutter contre le changement climatique et réduire les émissions de gaz à effet de serre. Elle inclut une grande variété de solutions technologiques qui permettent de réduire notre empreinte carbone, telles que les énergies renouvelables, les systèmes de stockage d’énergie, les véhicules électriques, les technologies de capture et stockage de CO2, la surveillance et la gestion de la qualité de l’air, l’agriculture de précision, la gestion de l’eau, etc.

Aux États-Unis, une nouvelle loi promulguée par le gouvernement de Joe Biden, l’Inflation Reduction Act, prévoit des aides fédérales à hauteur de 369 milliards de dollars pour les projets d’énergie renouvelable sur les dix années à venir. La ClimateTech a donc le vent en poupe et 2023 devrait être une année tremplin pour le secteur. L’an dernier, Alphabet (Google), Meta (Facebook), Stripe, Shopify et McKinsey ont annoncé qu’ils investissaient 1 milliard de dollars dans un fonds visant à décarboner l’atmosphère à l’aide de DAC (direct air capture, ou capture directe du dioxyde de carbone). Bill Gates investit lui aussi massivement dans le domaine. Et ce n’est que le début : selon le Bureau international du travail, au moins 24 millions d’emplois devraient être créés dans le monde dans l’économie verte d’ici 2030.

Les licenciements en masse dans la tech, une aubaine ?

12 000 personnes licenciées chez Google, 10 000 chez Microsoft, 18 000 chez Amazon, 11 000 chez Meta, environ 4 000 chez Twitter… L’hémorragie dans la tech est réelle ces derniers mois. Arrivées au terme d’un cycle d’innovation, confrontées aux difficultés du métavers qui peine à se concrétiser et au succès soudain de ChatGPT, la plupart des Gafam ont décidé de faire le ménage dans leurs projets et d’en profiter pour réduire la voilure. De retour sur le marché du travail, bon nombre de ces employés recherchent des métiers « qui ont du sens » et se tournent vers des startups qui cherchent dans la tech des solutions pour respecter les termes de l’Accord de Paris.

Ainsi, en janvier 2023, la plateforme Climatebase, l’un des principaux sites d’offres d’emploi dans l’environnement, a enregistré plus de 200 000 visiteurs uniques, contre 40 000 en août dernier, a indiqué Jesse Hynes, un des cofondateurs du service. « Cette hausse soudaine est directement liée aux nombreux licenciements qui ont eu lieu dernièrement », a-t-il affirmé au site Barron’s. Climatedraft, Terra.do, Work on Climate et d’autres sites d’offres d’emploi du même type constatent le même engouement pour les emplois verts dans la tech.

« Les licenciements dans les sociétés tech ont éclipsé 100 000 personnes. Une réallocation massive des talents est en cours. Sur les 20 à 30 prochaines années, nous devons transformer notre monde et l’adapter pour le climat et une abondance renouvelée… »

Peter Reinhardt

De la Silicon Valley à la ClimateTech Valley ?

Alex Roetter, ancien chef de l’ingénierie chez Twitter qui a quitté le réseau social en 2016, s’est lui-même tourné depuis quelques années vers la ClimateTech. Il est le directeur exécutif de Moxxie Ventures, un fonds d’investissement qui investit massivement les startups du secteur. En parallèle, il a créé Terraset, un fonds à but non lucratif spécialisé dans les technologies d’élimination du carbone. Dire qu’il est enthousiaste à propos de la ClimateTech est un euphémisme. « Cela va être plus grand qu’Internet », affirme-t-il au site Protocol.

Mais il n’est pas le seul. Peter Reinhardt est lui aussi un ardent supporter de la ClimateTech. Après avoir fondé Segment, société spécialisée dans la relation client, il dirige actuellement Charm Industrial, une startup qui a développé un procédé de séquestration du CO2« Les licenciements dans les sociétés tech ont éclipsé 100 000 personnes. Une réallocation massive des talents est en cours. Sur les 20 à 30 prochaines années, nous devons transformer notre monde et l’adapter pour le climat et une abondance renouvelée… », a-t-il tweeté en novembre 2022.

La baie de San Francisco est donc en train de devenir un « hotspot » de la ClimateTech, tout comme Tel Aviv (Israël), Berlin (Allemagne), Bengaluru (Inde), Shanghai ou encore Beijing en Chine.

La ClimateTech va-t-elle sauver la planète ?

Face aux nombreux projets qui émergent, emmenés par les techno-optimistes de la Silicon Valley, il est légitime de s’interroger sur le réel impact de ces innovations pour lutter contre le réchauffement climatique. Et sur l’intérêt d’injecter autant de milliards dans des startups dont l’impact se fera, in fine, marginal. Laissant croire qu’on peut persister dans nos modes de vie sans réellement changer de paradigme et qu’il n’est pas nécessaire d’aller vers davantage de sobriété.

Ici, les avis divergent. Mark Jacobson, professeur à Stanford et directeur du programme Atmosphère/Énergie, n’hésite pas à mettre les pieds dans le plat dans un entretien enregistré dans le cadre du podcast Tech Tonic, initié par le Financial Times : « Je pense que le plus gros problème auquel nous sommes confrontés est que nous avons trop de propositions […] qui poussent à la poursuite des combustibles fossiles, sous prétexte de faire quelque chose de bien. Et c’est du greenwashing. […] Le captage du carbone, sous toutes ses formes, est du greenwashing. La captation directe de l’air, c’est du greenwashing. L’hydrogène bleu, c’est du greenwashing. Ces trois éléments sont tous conçus pour maintenir l’industrie des combustibles fossiles en activité, et ils sont promus par cette même industrie parce qu’ils la maintiennent en vie et lui permettent de polluer davantage […]. Toutes ces technologies, les biocarburants, la bioénergie… sont des technologies de greenwashing. […] Tout cela nuit à nos efforts pour résoudre vraiment le problème. »

« L’avenir appartient aussi à ce qu’on appelle la low-tech, c’est-à-dire une nouvelle manière d’appréhender la technologie et de miser davantage sur des objets au fonctionnement simple, aisément réparables et recyclables. On retrouve là une des expressions favorites dans la Silicon Valley, le principe K.I.S.S. : “Keep it simple, stupid”. »

Un avis partagé par Charles Harvey, professeur en ingénierie environnementale au Massachusetts Institute of Technology, qui dénonce lui aussi les solutions technologiques de captage du carbone : « C’est une mauvaise idée de choisir un outil qui coûte cher et a très peu d’effet sur le dioxyde de carbone atmosphérique, même s’il le réduit. Parce que si vous aviez utilisé les ressources pour un outil différent, comme la construction d’éoliennes, de panneaux solaires et de stockage d’énergie, vous auriez retiré beaucoup plus de carbone de l’atmosphère », a-t-il expliqué à CNET.com.

Améliorer des technologies qui ont déjà fait leurs preuves

Plutôt que s’intéresser à de la géoingénierie aux effets limités ou hasardeux, mais au développement très coûteux, pourquoi ne pas se concentrer sur des technologies qui ont déjà fait leurs preuves, comme l’énergie solaire, éolienne ou hydroélectrique, suggère Mark Jacobson. Cela ne signifie pas que l’innovation technologique n’est pas nécessaire. Ne serait-ce que pour améliorer le rendement des panneaux photovoltaïques, par exemple. L’AgriTech et la FoodTech sont aussi deux secteurs qui ont grandement à gagner de ces innovations. 

Néanmoins, il ne faut pas perdre de vue les ordres de grandeur : la compensation ou les efforts déployés pour réduire une pollution ne seront jamais aussi efficaces que le fait de ne pas polluer de prime abord. C’est pourquoi l’avenir appartient aussi à ce qu’on appelle la low-tech, c’est-à-dire une nouvelle manière d’appréhender la technologie et de miser davantage sur des objets au fonctionnement simple, aisément réparables et recyclables. On retrouve là une des expressions favorites de la Silicon Valley, le principe K.I.S.S. : « Keep it simple, stupid ». Comme dans bien des domaines, en matière de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, la complexité est superflue.

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