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Comment Apple est-il sorti de 2022 sans licenciements majeurs ?

26 février 2023
Par Benjamin Logerot
Dans son gigantesque campus américain, Apple compte des milliers d'employés dont les avantages sont limités.
Dans son gigantesque campus américain, Apple compte des milliers d'employés dont les avantages sont limités. ©Droneandy/Shutterstock

Alors que l’année 2022 et le début de 2023 ont été marqués par des licenciements massifs dans la tech, une entreprise sort du lot. Apple n’a en effet procédé à aucun licenciement de cette ampleur. Pourquoi ?

Alors que les géants que l’on pensait intouchables et capables d’atteindre des sommets insoupçonnés, comme Google ou Microsoft, se sont retrouvés dans l’obligation de se séparer de dizaines de milliers de salariés en un an, qu’y a-t-il de si spécial chez Apple pour que l’entreprise dirigée par Tim Cook ait pu être épargnée par ce phénomène exceptionnel ? Une petite part de chance, et, surtout, une organisation bien rodée.

Avec la fin du Covid, un “monde d’après” différent

L’année 2022 a marqué la fin des mesures sanitaires contre le Covid-19 dans une grande partie du monde. Hélas pour les entreprises ayant investi massivement dans un « monde d’après » qu’elles n’imaginaient pas comme celui-ci, l’année fut aussi celle de la récession économique. Un bouleversement majeur a entraîné cette situation économique globale : l’invasion de l’Ukraine par la Russie et les nombreuses sanctions prises à l’encontre du pays dirigé par Vladimir Poutine.

Le mois de mai 2022 a commencé à voir un nombre important de licenciements dans le secteur de la tech, avec entre 12 000 et 20 000 salariés licenciés dans le monde. La tendance ne s’est quasiment pas calmée depuis, explosant même à partir du mois de novembre, qui a vu plus de 50 000 licenciements, notamment aux États-Unis dans des entreprises comme Meta ou Twitter. En 2022, plus de 200 000 salariés ont été licenciés. 2023 a débuté encore plus fort, avec entre 84 000 et 100 000 licenciements sur le seul mois de janvier selon les sites layoffs.fyi et trueup.io.

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En rouge, le nombre d’employés de la tech licenciés par trimestre depuis le début du Covid-19. ©layoffs.fyi

Parmi les entreprises les plus touchées, Google, avec 12 000 licenciements, et Meta et ses 11 000 salariés sans emploi. Mais un acteur majeur est absent de ce triste tableau : Apple.

Apple embauche moins

Pendant la crise du Covid-19, et même un peu avant, nombreuses sont les grandes entreprises de la tech à avoir développé des projets de grande envergure. Pour réussir leur développement, il fallait s’étendre. C’est pourquoi les Gafam et même de plus « petites » entreprises (comme Salesforce) ont vu leurs effectifs exploser en très peu de temps. Amazon a par exemple tout simplement doublé ses effectifs dans le monde entre 2019 et 2022. Microsoft, de son côté, a recruté 53 % de salariés en plus, Alphabet a vu son nombre d’employés augmenter de 57 % et Meta de 94 % sur la même période, selon les informations du Wall Street Journal.

Apple n’a pas procédé de la même façon. L’entreprise de Cupertino a en effet embauché beaucoup moins vite et beaucoup moins fort que ses concurrents pendant le Covid. L’entreprise compte aujourd’hui 164 000 salariés dans le monde, dont 64 000 environ dans les 500 magasins de la marque. C’est une augmentation des effectifs de 20 % « seulement » entre 2019 et 2022.

Les géants de la tech ont donc énormément recruté sur une courte période, mais n’ont pas réussi à capitaliser sur leurs projets. L’un des meilleurs exemples en date se trouve chez Meta. L’entreprise de Mark Zuckerberg a perdu, rien que sur l’année 2022, quelque 13 milliards de dollars dans Reality Labs, sa division en charge du développement du métavers. Pourtant, le patron du géant croit encore en son projet, affirmant qu’il deviendra rentable d’ici quelques années. Mais entre-temps, et avec une croissance bien moindre, des coupes d’effectifs sont nécessaires.

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Le grand projet de métavers de Meta a, sur l’année 2022, fait perdre 13 milliards de dollars à l’entreprise. ©Meta

Du côté d’Alphabet (Google) le PDG Sundar Pichai déclarait auprès de ses salariés, lors des licenciements, que l’entreprise avait vécu une période spectaculaire de croissance ces deux dernières années. « Pour accompagner et alimenter cette croissance, nous avons embauché pour une réalité économique différente que celle que nous connaissons aujourd’hui. » Qu’il n’y ait pas méprise : Alphabet a vécu une très bonne année 2022 en termes de chiffre d’affaires. Mais la croissance de l’entreprise a considérablement ralenti, inquiétant les investisseurs, habitués à ces deux dernières années exceptionnelles. Un schéma qui se répète chez de nombreux autres acteurs.

Une organisation différente

Le Wall Street Journal avance une autre raison qui expliquerait la bonne santé de l’entreprise. La marque est déjà réputée pour fonctionner en flux tendu selon la tendance du « Running Lean ». C’est-à-dire qu’elle souhaite faire le mieux avec le moins possible, en limitant le gaspillage et en prenant son temps; tout en multipliant les itérations sur tous ses projets, aussi incertains soient-ils, comme le casque de réalité mixte ou l’arlésienne qu’est l’Apple Car. Le journal américain souligne également que les secteurs de business sur lesquels se concentre le géant n’ont été qu’assez peu touchés par cette récession, en comparaison avec des entreprises comptant sur la publicité ou la vente en ligne. Oui, même si les livraisons sont moins élevées, Apple tire toujours de gigantesques profits de ses iPhone et autres appareils connectés.

D’autre part, Apple limite plus fortement les avantages auprès de ses employés. Cela ne semble pas excessif dit comme ça. Mais, par exemple, en ne rendant pas la cantine de son gigantesque campus de Cupertino gratuite, comme peuvent le faire d’autres géants, Apple économise des sommes importantes. Enfin, il est intéressant de souligner que la marque dispose dans ses locaux de sa propre clinique médicale réservée aux employés depuis 2018.

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Le campus californien d’Apple ne propose pas de cantine gratuite à ses employés mais dispose d’une clinique médicale qui leur est dédiée. ©Apple

Ainsi, l’entreprise met en place un cercle qu’elle veut vertueux. Les employés n’ont plus à se faire ausculter chez un médecin à l’autre bout de la ville pendant les heures de travail. Les maladies sont prévenues en amont et les absences se font donc plus rares, ou plus courtes. Le géant économise donc un temps humain considérable.

C’est la somme de ces éléments qui entraînent finalement chez Apple cette sensation de robustesse et d’être intouchable. La dernière fois qu’Apple a eu recours à des licenciements massifs, c’était en 1997, lorsque Steve Jobs est revenu à la tête de l’entreprise alors en difficulté. 4 100 personnes ont perdu leur travail cette année. Cité par le WSJ, Tom Forte, analyste dans la banque d’investissement D. A. Davidson & Co., explique cependant que la firme pourrait très bien réduire ses effectifs cette année, mais, là encore, en procédant différemment. L’entreprise se mettrait à ne plus remplacer les départs.

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