Machos Alfa, La Petite Fille sous la neige, Élite, La Casa de Papel… Les séries espagnoles pullulent, notamment sur Netflix, qui les diffuse et les produit. La plateforme au N rouge a même agrandi à la fin de l’année dernière son studio près de Madrid, désormais le plus grand complexe de tournage européen. Sous le soleil du pays ibérique, l’avenir du petit écran s’annonce radieux.
Dix plateaux de tournage répartis sur un espace de 22 000 mètres carrés pour 12 mètres de haut, un studio de postproduction, un système de montage à distance implanté dans un cloud mondial… C’est un hub de la production audiovisuelle européenne, implanté dans la Ciudad de la Tele de Tres Cantos, au nord de Madrid, que s’est offert Netflix en 2019.
Trois ans plus tard, l’installation se voit dotée de cinq studios de tournage supplémentaires, permettant à la plateforme au N rouge de doubler sa capacité de production en Espagne. Et de faire du site de Tres Cantos le plus grand studio de l’Union européenne. Bilan de l’année dernière : plus de 30 films et séries, parmi lesquels la très populaire Élite.
Des histoires « Hechas en España », fabriquées en Espagne
La capacité de production espagnole est donc en pleine ascension, alors qu’il y a encore peu de temps, le pays n’était pas vraiment connu pour la qualité de ses séries. En atteste Carlo Fasino, chargé de programmation au Festival Séries Mania de Lille et spécialiste des séries hispanophones : « Historiquement, l’Espagne diffusait beaucoup de feuilletons grand public, il n’existait pas de grande variété dans les productions », explique-t-il. Jusqu’aux années 2000, où les créations ibériques deviennent plus qualitatives et ambitieuses, poussées par des moyens de plus en plus importants.
Les productions se démarquent alors des séries anglo-saxonnes. « En Espagne, la culture des polars et des séries policières n’est pas très développée, reconnaît Carlo Fasino. L’histoire des séries espagnoles étant plus récente, les représentations sont plus contemporaines et authentiques. La façon d’écrire est très différente, dynamique, marquée par une proximité avec la réalité qui détonne par rapport au reste du paysage audiovisuel. Mais on reconnaît aussi une part de fantaisie à ces séries, quel que soit leur genre. »
Ce qui attire un large public, des séries comme Élite ou La Casa de Papel étant plébiscitées par les adolescents comme par les adultes. La saison 3 de La Casa de Papel a même été visionnée par plus de 34 millions de foyers en seulement une semaine.
« Ce qui plaît, c’est que ces séries mettent en scène des anti-héros, ou plutôt des personnages qui ne vont pas forcément réussir leur coup. C’est quelque chose d’assez excitant, parce que, encore une fois, proche du réel », explique le sériephile.
Ce potentiel narratif qualitatif aidant, l’adaptation du secteur a été rapide et efficace. « L’Espagne a su capter assez rapidement ce grand tournant de l’industrie audiovisuelle. Les barrières entre la télévision et le cinéma se sont effondrées et ont permis un boom extrêmement rapide de ces séries nationales », affirme Carlo Fasino.
Des capacités de production soutenues par une politique fiscale attractive
Cette transition a aussi eu lieu grâce à une « forte augmentation des investissements européens dans l’audiovisuel, avant tout bénéfique pour l’Espagne et lui permettant des tournages rapides et à moindre coût », mais aussi à la faveur du soutien du gouvernement espagnol.
Le ministre de la Culture, Miquel Iceta, déclarait au micro de France Culture, en décembre 2022, essayer « d’encourager la présence de grandes plateformes et de grandes boites de production dans [son] pays ». Dans cette optique, la fiscalité nationale est adaptée : les producteurs internationaux peuvent déduire de leurs impôts 30 % de leurs dépenses.
Outre le soutien de son gouvernement et sa fiscalité très attractive, l’Espagne ne part pas de zéro. « Ce qui a poussé les soutiens européens et nationaux, ce sont les nombreuses plateformes de production qui existaient déjà, comme HBO, Paramount+, Viacom CBS, mais aussi des acteurs locaux comme Movistar Plus », précise Carlo Fasino.
Autre avantage : le talent et la compétence des équipes espagnoles. « Il y a vraiment une main-d’œuvre extrêmement qualitative dans le cinéma et la télévision du pays », confirme le spécialiste.
Le soft power espagnol, un atout de séduction
Cette main-d’œuvre a gagné en compétence grâce à de grosses productions, comme celle de Game of Thrones, dont des scènes ont été tournées en Andalousie, à l’Alcazar et aux arènes de Séville, au pont romain de Cordoue, à Osuna, en Navarre ou encore en Catalogne. Une richesse géographique et architecturale qui attire de nombreux tournages internationaux, de The Crown à Black Mirror, en passant par Doctor Who et The Witcher.
« C’est un pays dont le soft power est important depuis toujours, et au-delà de l’audiovisuel. L’Espagne a exporté beaucoup de littérature et d’art plastique, ce qui fait qu’on l’a tout de suite considérée comme un partenaire potentiel pour le cinéma et la télévision », développe Carlo Fasino.
Ce soft power est propulsé par l’espagnol, l’une des langues les plus parlées au monde, ce qui donne aux séries hispanophones une résonance internationale considérable. Selon Carlo Fasino : « Le marché hispanophone est massif. En plus de l’Amérique latine, il existe un public occidental relativement familier avec la langue. »
Pas étonnant, donc, que l’Espagne ait multiplié les candidatures au Festival Séries Mania cette année. « On veut revendiquer la richesse des propositions du pays, s’enthousiasme le spécialiste. Ce qui fait que l’on a placé quatre séries espagnoles en sélection officielle… C’est la première fois que cela arrive ! C’est le pays le plus représenté cette année. »
Parmi ces sélections, Mentiras Pasajeras, comédie produite par les frères Almodóvar, icônes du cinéma espagnol. La frontière entre le grand et le petit écran est brisée, et ces grands talents du septième art ne ressentent aucune honte à s’essayer au format sériel, contrairement à leurs confrères et consœurs français. Et c’est, selon Carlo Fasino, probablement ce qui manque à notre pays pour suivre le modèle de son voisin pyrénéen.
« Les auteurs de cinéma français sont un peu frileux à l’idée de se mettre à l’exercice de la série, à l’écriture sur le long terme. Il existe aussi une ancienne garde, à la fois chez les critiques et chez le public, qui voit encore les productions sous un paradigme “art supérieur”, “art inférieur”, regrette-t-il. Le jour où cela passera, nous aurons plus de facilité à obtenir des succès internationaux. »
En attendant, l’Espagne poursuit sa route vers le succès. Cette année, des millions de personnes attendent Berlín, le spin-off de La Casa de Papel, et la saison 7 d’Élite.