Sam Mendes est de retour avec Empire of Light. Porté par Olivia Colman, le film rend une nouvelle fois hommage au septième art en faisant ici le choix du mélodrame. Une stratégie qui, malgré la beauté du film, peine à transfigurer la magie du cinéma et de la salle obscure. Critique.
Avec Babylon (2023) et The Fabelmans (2023), Damien Chazelle et Steven Spielberg ont respectivement rendu hommage au septième art. À leur manière, ces cinéastes ont raconté l’histoire d’amour qu’ils entretiennent avec le grand écran. Avant eux, Quentin Tarantino s’était essayé à l’exercice avec Once Upon a Time in Hollywood (2019), et les souvenirs du cinéma des années 1970 qu’il convoquait.
Dernier metteur en scène à s’être lancé dans l’exercice, Sam Mendes avec Empire of Light. Le réalisateur britannique remonte le temps jusque dans les années 1980 afin de prendre pour décor le cinéma d’une station balnéaire anglaise. Entre ces murs, Hilary (Olivia Colman), une employée de 50 ans à la santé mentale fragile, va tomber amoureuse de Stephen (Michael Ward), un jeune ouvreur qui n’aspire qu’à quitter cette petite ville de province où chaque journée peut se transformer en épreuve, en raison de sa couleur de peau.
Une fable sociale
Avant d’être un film hommage au cinéma et à sa salle obscure, Empire of Light est avant tout un film social dans lequel les maladies mentales, la dépression, et le racisme – personnifié par la montée en puissance du mouvement skinhead – sont au cœur du scénario. Avec cette histoire d’amour inattendue rappelant des œuvres comme The Reader (2008), Sam Mendes s’aventure une nouvelle fois sur le terrain du drame. Un registre que le réalisateur n’avait pas exploré depuis Les Noces rebelles (2007) et Away we Go (2009).
Après la franchise James Bond (Skyfall et Spectre), puis l’ingénieux plan séquence de 1917 (2019), le réalisateur revient donc à un cinéma intime et important. Il en ressort un long-métrage engagé qui fait écho à notre époque en explorant de grands sujets de société. Le sexisme, l’aliénation sociale, la discrimination, la santé mentale… Sam Mendes a compilé les considérations sociétales modernes et signe un mélodrame (trop) soigné.
Un hommage à la salle obscure en demi-teinte
C’est bien là le problème. Malgré la beauté pudique de son long-métrage et l’importance de ses thématiques, le cinéaste ne parvient pas à nous embarquer profondément dans l’histoire de ses personnages. En dépit de l’interprétation de son actrice principale, la brillante Olivia Colman, le film apparaît trop sage, s’aventurant souvent dans un registre plombant. On est loin du coup de poing maîtrisé de The Son par Florian Zeller – en salles depuis le 1er mars – qui aborde, lui aussi, la question de la dépression.
Ce choix scénaristique prend le pas sur la sacralisation des salles obscures que Sam Mendes tente d’orchestrer dans son film. Si, dans la deuxième partie, on comprend que le réalisateur a voulu honorer le cinéma en tant qu’institution, son hommage reste bien trop épars. Malgré une part autobiographique – le cinéaste a expliqué qu’enfant il trouvait refuge dans les salles afin d’échapper à une réalité marquée par les allers-retours en psychiatrie de sa mère –, Sam Mendes ne parvient pas à nous plonger dans l’intimité et le désarroi de ses personnages.
Avec Empire of Light, on effleure à peine la puissance autobiographique du film et l’impact que la salle a eu sur la carrière du metteur en scène, à la différence de ce que Steven Spielberg a infusé dans The Fabelmans. Il en ressort un sentiment d’inachevé par rapport aux promesses initiales du long-métrage, le metteur en scène multipliant les clichés sur la fonction salvatrice de la salle de cinéma.
Seules quelques séquences parviendront à nous éblouir véritablement. On pense ainsi au passage de flambeau entre Stephen et le projectionniste incarné par Toby Jones, à la discussion touchante entre son personnage et celui d’Olivia Colman, ou encore au plan serré sur le visage de celle-ci émue devant un écran de cinéma qu’elle n’a jamais osé contempler. Ces scènes apportent beaucoup de grâce, personnifiant la magie du cinéma.
Ces séquences sont par ailleurs sublimées par le talent du chef opérateur privilégié de Sam Mendes, Roger Deakins. La patte rétro et vintage de la photographie, tout comme le travail sur les costumes offrent un certain charme à Empire of Light. Sam Mendes peut également compter sur une distribution cinq étoiles dans laquelle Olivia Colman est bluffante de vérité, entre bonheur et tristesse. De son côté, Michael Ward prouve qu’il est l’une des étoiles montantes du cinéma britannique. On apprécie également découvrir Colin Firth en directeur de cinéma vulgaire qui n’hésite pas à profiter de la faiblesse de ses employés, ou encore Toby Jones, véritable coup de cœur de cette distribution, brûlant de sensibilité et sincérité.
Moins décadent que Babylon et moins personnel que Spielberg, Empire of Light est un hommage singulier au septième art. Sam Mendes est parvenu à réinventer une recette que les metteurs en scène s’emploient à exploiter depuis la crise sanitaire en racontant sous forme de fable sociale son histoire d’amour avec la salle obscure. Un choix scénaristique duel qui offre à la fois une œuvre engagée, actuelle et importante, mais qui perd de son originalité en jouant sur des codes ultramélodramatiques. Seules quelques séquences, ainsi que son casting, sauvent ce film tentaculaire qui hésite entre histoire d’amour contrariée, conte social et récit autobiographique partiel. Si la fonction de la salle était un angle d’attaque prometteur, le long-métrage témoigne difficilement de l’aspect salvateur du cinéma et de sa magie.
Empire of Light, de Sam Mendes, avec Olivia Colman, Michael Ward, Toby Jones et Colin Firth, 1h59, en salle le 1er mars.