Du 25 ou 27 janvier, Disiz a donné trois concerts-événements. On y était pour constater l’énergie d’un artiste qui a fait son chemin hors des étiquettes, et voir la chaleur de L’Amour enflammer Pleyel.
À deux pas des Champs-Élysées, la file s’allonge devant la salle Pleyel. Depuis Amiens où il est né et son premier tube J’pète les plombs sorti en 2000, l’artiste a parcouru du chemin, traversé des univers. Du rappeur au chanteur affirmé et mature de L’Amour (2022), son treizième album, il peut maintenant remplir une grande salle parisienne en trois jours, sans publicité : un message rapide sur Instagram a suffi. Son public, entre 25 et 35 ans, l’attendait comme une occasion rare de participer à la dernière métamorphose de l’artiste.
Car Disiz la peste a horreur des cadres. Pire il en est mort. Après avoir été catalogué « rappeur France Inter » – méprisé par les détracteurs de la culture hip-hop comme par les ersatz français du gangsta rap – il abandonne sa carrière précédente pour devenir Disiz tout court, délaissant le bling bling pour le charme élégant de la sincérité. Disiz ne brise pas les lignes, il les déplace pour s’ouvrir des espaces, s’attachant ainsi durablement un public qui le suit dans le récit de son divorce et de sa reconstruction, point central de son dernier album.
Amour toujours
Après une première partie consacrée au rap amoureux (Rouhna, Luther, Lucasv aux platines) Disiz entre en scène dans un costard qui s’effeuillera peu à peu tout au long du concert. Il reprend d’abord la proposition – et le paradoxe – de l’album : parler d’amour à partir d’un divorce. Sur scène, entouré d’un groupe (batterie, synthé, guitare), Disiz joue d’un escalier qui rappelle les figures infinies de celui de Penrose. Il y chante d’abord de trois quarts, parfois de dos, puis s’adresse au public. La scénographie virtuose fait alors surgir un homme qui parle à son ombre.
Tue l’amour, qui décrit la table du petit-déjeuner à laquelle on s’aperçoit que l’on n’aime plus, ouvre le concert, puis s’enchaînent Sublime, vraie chanson de rupture, et WeekEnd Lover sur les amours clandestines qu’on s’organise, sur les fins de vie et les renaissances.
Derrière lui, un immense carré de lumière fait ciel ; comme la fenêtre sur la pochette de son dernier album. Au gré des couleurs qui l’envahissent, il ouvre des crépuscules ou des aubes, nous fait passer des ruines laissées par une rupture aux matins nouveaux – et libres – qu’on s’y construit malgré tout.
Pour le pire et le meilleur
Car, si la carrière de l’artiste est entièrement définie par ses allers-retours, sa vie personnelle avait tout d’une cohérence forcée. Marié à 20 ans, parce que ce n’était pas possible autrement dans sa famille et son milieu, devenu malgré tout le père heureux de cinq enfants, l’artiste de 44 ans a tout cassé pour tout reconstruire. Son album raconte la douleur d’une vie à réinventer – la culpabilité aussi – et la grandeur de ces instants banals où l’instinct de survie s’anime pour le pire comme pour le meilleur. Pari intime qui serait intimiste si ne transparaissait pas sur scène une vitalité franche, sans concession, une quête de dire son « vrai ».
Après cette première demi-heure époustouflante portée par la belle mélancolie d’une pop esthète, la tristesse se transmue en énergie électrique sur Casino et Rencontre, jusqu’au charmant et naïf
Beaugarçonne. La dernière partie revient à l’intime universel avec la très belle Qu’ils ont de la chance, chantée comme une comptine au milieu de la fosse.
Dernier soir oblige, les longs remerciements et les rappels s’enchaînent – Casino encore. On attendra en vain, hélas, la très érotique Catcheuse en feat avec Yseult. Puis, toutes ses équipes le rejoignent sur scène, sa fille lui prend la main, Disiz salue, s’offre un dernier plaisir et slame sur son public conquis. La preuve qu’affranchi des genres et des cadres, osant le son du moment – électro des années 1980 – comme les références plus pointues, le pouvoir de séduction d’un artiste a beaucoup à voir avec la liberté. À 44 ans, le rappeur-dj-chanteur-crooneur l’a gagnée et reconquise.
Après 1h45 de concert, en traversant le hall de la salle Pleyel dont l’élégance cosy lui allait comme un gant, on se dit qu’on a vu Disiz, à la fois homme mûr et adolescent retrouvé, on a dansé sur son groove et son électro, reçu l’énergie d’un rap digéré et reformulé. On l’a écouté comme on écoute de la très bonne variété, c’est-à-dire un inconnu qui se confie pour nous dire ce qu’on se tait. C’était à la fois profond et léger, authentique même si fabriqué : L’Amour, tout simplement.