Des ordinateurs « vivants », car utilisant des cellules biologiques pour fonctionner. On dirait de la science-fiction et c’est pourtant bel et bien une réalité. Explications.
Aujourd’hui, les ordinateurs tels que nous les connaissons sont composés de métaux et minerais comme l’aluminium, le cuivre, le fer, le plomb, le silicium, le nickel, etc. Mais il n’est pas forcément nécessaire d’avoir recours à des puces électroniques pour faire fonctionner sa machine.
Un peu à la façon de notre cerveau, les ordinateurs peuvent aussi utiliser des cellules vivantes pour accomplir toutes leurs tâches. Avec un avantage majeur : à la différence d’un ordinateur conventionnel qui fonctionne en binaire, un neurone peut, lui, adopter des milliers d’états différents. Et donc potentiellement stocker beaucoup plus d’informations.
Il faut remonter à 2012 pour voir apparaître le tout premier « ordinateur biologique » ou bio-ordinateur. Née des travaux du Scripps Research Institute en Californie et du Technion-Israel Institute of Technology, cette machine était constituée de biomolécules capables de déchiffrer des images chiffrées sur des puces à ADN. En 2016, c’est au tour d’un projet européen, Abacus, de donner naissance à un superordinateur biologique. Il fonctionnait, lui, grâce à l’adénosine triphosphate (ATP), la substance qui fournit de l’énergie aux cellules du corps humain.
Qu’est-ce qu’un ordinateur biologique ?
Ce type de machine utilise des molécules biologiques, comme l’ADN ou les protéines, pour stocker et traiter des données. Ces cellules sont ensuite interconnectées à des circuits électroniques.
Contrairement aux ordinateurs traditionnels – qui utilisent des circuits électroniques à base de silicium pour traiter les données –, les ordinateurs biologiques fonctionnent donc grâce à des réactions chimiques. Et un des principaux avantages est que ces cellules vivantes sont, comme tout autre organisme vivant, capables de s’adapter et de se développer de manière autonome.
Du moins en théorie. La mise en pratique se révèle extrêmement complexe. Parvenir à programmer des organismes vivants de manière à utiliser leur machinerie cellulaire pour résoudre des problèmes est une gageure. Mais la recherche avance. En 2016, des scientifiques de l’Université de Lund (Suède) ont utilisé la nanotechnologie pour créer un ordinateur biologique capable de résoudre certains problèmes mathématiques beaucoup plus rapidement et de manière plus économe en énergie que les ordinateurs électriques conventionnels.
Bon marché, écologique, ultrapuissant…
« Le fait que les molécules soient très bon marché et que nous ayons maintenant démontré la puissance de calcul de ces machines me porte à croire que les bio-ordinateurs ont les prérequis pour une utilisation pratique d’ici dix ans », déclarait en 2016 Heiner Linke, directeur de NanoLun à l’université de Suède. Pour lui, ce type de machine pourrait même venir concurrencer les ordinateurs quantiques – aux capacités de calcul extrêmement puissantes – sur certains types d’exercices.
En juin 2022, une équipe de l’université technologique de Dresde a publié les résultats de ses recherches dans la revue ACS Nanoscience Au. Till Korten et son équipe ont mis au point une puce moléculaire en verre. « Notre concept repose sur des microtubules qui “entassent” les kinésines [des protéines motrices, ndlr] dans les canaux de la puce. Comme ils se déplacent tous en même temps, de nombreux calculs peuvent être effectués simultanément », affirme le chercheur. Et les auteurs de l’étude précisent que leur bio-ordinateur consomme 10 000 fois moins d’énergie qu’un ordinateur lambda.
« Un “moteur biologique” nécessite moins de 1 % de l’énergie nécessaire à un transistor électronique pour remplir sa fonction. En outre, l’utilisation des protéines ou de l’ADN est potentiellement bien meilleur marché que la fabrication de coûteuses puces électroniques. »
Heiner LinkeNanoLun, Suède
En effet, le bio-ordinateur est une solution bien plus écologique que les machines actuelles. Heiner Linke estime, lui, qu’un « moteur biologique » nécessite moins de 1 % de l’énergie nécessaire à un transistor électronique pour remplir sa fonction. En outre, l’utilisation des protéines ou de l’ADN est potentiellement bien meilleur marché que la fabrication de coûteuses puces électroniques. En effet, une fois qu’une cellule biologique a été programmée, il est extrêmement rentable d’en cultiver des milliards d’autres. Car il ne faut plus compter que le coût des solutions nutritives et le temps d’un technicien de laboratoire.
Les défis qui attendent l’ordinateur biologique
Si des bio-ordinateurs voient le jour dans différents laboratoires scientifiques à travers le monde, on reste encore bien loin d’une production de masse. Il est vrai que le changement de paradigme nécessite un véritable ajustement. Ces machines biologiques sont appelées également « wetware computers » ou « ordinateurs humides », car, pour utiliser des organismes vivants, il faut mettre en place un système de maintenance tout particulier, une sorte de « bain chimique » nourricier. Alimentation, hydratation et environnement adéquat (notamment au niveau de la température) viennent donc remplacer le simple fait d’appuyer sur un bouton pour alimenter une machine en électricité.
L’utilisation de ces nouveaux types d’ordinateurs pourra être envisagée dans des environnements considérés comme extrêmes pour du matériel informatique classique (dans les tréfonds de l’océan, dans des conditions très froides ou très chaudes, etc.). En sélectionnant des cellules vivantes adaptées, ce type de barrière pourrait disparaître.
L’interfaçage entre les organismes vivants et les circuits électroniques reste aussi encore aujourd’hui très complexe à réaliser et vient parfois saper la puissance et la vitesse de calcul des ordinateurs biologiques. On peut donc se demander si ce type de machines organiques est une alternative viable aux appareils à base de silicium. Certes des prototypes existent et sont fonctionnels, mais il faudra probablement attendre encore de nombreuses années avant de voir un bio-ordinateur utilisé dans le cadre d’applications pratiques. Reste que le potentiel semble énorme.
Surtout, l’utilisation de ces nouveaux types d’ordinateurs pourra être envisagée dans des environnements considérés comme extrêmes pour du matériel informatique classique (dans les tréfonds de l’océan, dans des conditions très froides ou très chaudes, etc.). En sélectionnant des cellules vivantes adaptées, ce type de barrière pourrait disparaître.
De même, les scientifiques travaillent à la mise au point de micro-ordinateurs biologiques. Des modules ayant de grandes capacités de calcul, mais aux dimensions tellement réduites qu’ils pourraient être inoculés dans le corps humain.
Comme les nano-robots (ou associés à eux), ils pourraient servir de capteurs intelligents pour un suivi de santé optimal ou encore commander la réparation de tissus ou organes de l’intérieur pour éviter une opération. Mais il faudra sans doute encore quelques décennies avant de voir des applications concrètes. D’ici là, il n’est pas interdit de rêver…