Comme chaque fin d’année, la question des bonnes résolutions se pose. On m’a lancé un défi (un peu fou) : faire une détox d’Instagram, YouTube et de toutes plateformes de streaming vidéo, pendant 30 jours. Spoiler alert : c’était dur. Dans ce deuxième épisode, je vous emmène avec moi durant ces quatre semaines de l’enfer.
Aujourd’hui, je me sens comme un petit cobaye qui va subir toute une série de tests. Bon, mon expérience ne va pas révolutionner le monde ni éradiquer le Covid. En revanche, elle va sacrément chambouler mon quotidien. Pour rappel, la rédaction de L’Éclaireur m’a lancé le défi de tenir 30 jours sans réseaux sociaux ni streaming vidéo. Deux mois plus tard, ce qui semblait être une blague devient tout à coup très réel. Me voilà sur la ligne de départ, prête à courir un marathon avec des tongs.
Avant même le lancement de la course, je vois deux petits bonshommes apparaître sur mes épaules. À ma droite, monsieur optimiste lève les pouces en signe d’encouragement. Il est très excité par ce challenge et l’idée qu’il va me faire découvrir de nouvelles choses. À ma gauche, monsieur sérievore croise les bras et boude. Il est très ronchon et n’a qu’une envie : annuler la mission et se réfugier sous les couvertures pour regarder des vidéos toute la journée. L’équipe de France peut aller se rhabiller, je pars avec de sacrés coéquipiers.
From la Belle au bois dormant to Cendrillon
1er novembre. Comme dirait une grande chanteuse : « C’est le jour 1. Celui qu’on retient. » Personnellement, je préférerais l’oublier. Le compte à rebours est lancé, il me reste 29 jours et une poignée d’heures avant de retrouver mes meilleurs amis virtuels. En ce week-end d’Halloween, je ne rêve que d’une chose : regarder toutes les vidéos d’horreur de mes youtubeurs préférés en m’empiffrant de pop corn. Dommage. Ce n’est pas au programme du jour. En revanche, celui de la télé (en direct) est tout aussi effrayant : Les Feux de l’amour, Les Douze Coups de midi ou la messe. Merci, mais non merci.
Dépitée, j’évite le regard de monsieur sérievore (ce serait bête de craquer aussi vite) et demande conseil à monsieur optimiste. Je fais alors le point sur toutes ces petites choses que je remets à plus tard en temps normal pour profiter de deux ou trois épisodes supplémentaires. Billets de train, tâches administratives, rangement, ménage, cuisine… En ce premier jour de défi, j’ai pris un coup de vieux de 30 ans, mais je n’ai jamais été aussi productive.
Mon appartement brille du sol au plafond et tous mes repas sont prêts pour le reste de la semaine – Uber Eats risque de s’inquiéter et lancer un avis de recherche pour me retrouver. Point positif : le manque de distraction me permet d’adopter un mode de vie plus sain et de ne plus procrastiner.
Métro, boulot, dodo
Il me suffit d’une semaine pour voir le résultat. Mon alimentation s’est améliorée, je mange à des heures décentes (bye bye les burgers à 22h30 devant Friends) et je suis moins fatiguée. La tentation de lutter contre le sommeil pour entamer un nouvel épisode ayant disparu, je me couche beaucoup plus tôt.
Très rapidement, une petite routine se met en place : je commence la matinée en checkant le programme TV pour choisir mon film du soir, j’enchaîne sur ma journée de travail, puis je cuisine et je mange devant les informations. Finalement, ce challenge se transforme en « Vis comme un octogénaire pendant 30 jours ». Mais, malgré ce sacré coup de vieux, je dois admettre que ces petits rendez-vous quotidiens me rassurent et cadrent mes journées.
Retour vers le futur
Autre point positif : je sors de ma zone de confort virtuelle. Depuis l’avènement de Netflix, je ne jurais que par les séries et j’en consommais à l’excès. Je me laissais porter par ce que me proposait la plateforme et j’enchaînais les productions sans me poser de questions. Une semaine après le début du challenge, ma consommation a déjà évolué.
Je ne regarde plus que des films, je prends le temps de les sélectionner et de les regarder sans distraction. Le dieu de l’algorithme n’a qu’à bien se tenir : je reprends le contrôle. J’ai aussi profité de cette expérience pour me faire un grand shot de nostalgie et retourner dans un vidéo club.
Quand j’étais petite, je passais des heures à déambuler entre les centaines de DVD (pour finalement prendre toujours les mêmes : À nous quatre, Elle est trop bien et Le Prince d’Égypte). 15 ans plus tard, j’ai de nouveau poussé les portes de ce temple des années 2000. Et l’aventure était géniale. Prendre le temps de scruter chaque rayon, manipuler les boîtiers et les avoir entre les mains, échanger avec des passionnés… Rien à voir avec le zapping interminable et désespéré sur Netflix.
Mais est-ce que 20 DVD (dont un sur deux est défaillant) valent vraiment 58 € ? Pas si sûre. Conclusion : ce défi me fait sombrer dans la vieillesse et la pauvreté, mais il me permet aussi d’être plus curieuse, et de regarder des films qui ne m’auraient jamais été proposés sur les plateformes.
À la recherche de l’application perdue
Pour le moment, la parole n’a été donnée qu’à monsieur optimiste. Mais si je détourne le regard de ses pouces pointés vers le ciel et de son air ahuri, je dois avouer que cette première semaine a été difficile. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est mon corps. Quelques jours après avoir supprimé les applications de mon téléphone, mon doigt les cherche toujours.
J’ai encore ce réflexe de déverrouiller mon écran et de vouloir cliquer sur la petite pastille d’Instagram – qui a été remplacée par Vinted ; c’est mon banquier qui va être content. Ce besoin inconscient des réseaux sociaux m’interroge. Je ne pensais pas être accro, mais le geste est si mécanique qu’il en devient angoissant. J’en viens même à ouvrir des applications random (comme la Météo) et à scroller sur Vinted convulsivement, sans raison.
Je décide alors de chercher des réponses auprès de Michaël Stora, psychologue et auteur de Réseaux (a)sociaux : découvrez le côté obscur des algorithmes et Hyperconnexion. Il m’explique que ma réaction n’est pas étonnante, car les réseaux sociaux « agissent un peu comme des doudous. On connaît les personnes qui postent ces publications et elles nous plongent dans un espace rassurant qu’on peut avoir quand on veut, où on veut. Ils permettent de baisser le niveau d’anxiété, comme un anxiolytique, et pallient nos inquiétudes liées à la solitude. »
De sa voix calme et souriante, il termine son exposé en avançant une idée qui m’interpelle : « Ce n’est pas parce que vous êtes seule devant votre écran que vous vous sentez seule. Sans le savoir, vous dégainez votre téléphone 200 fois par jour. Cette forme de compulsion révèle des fragilités en chacun de nous. » En l’espace de quelques secondes, il a complètement effacé mon statut de mamie. Exit la vie de petite vieille : je suis une enfant de 5 ans à qui on a volé son doudou.
Dépendance affective
Sartre avait tort. L’enfer, ce n’est pas les autres, mais leur silence. Le fait de ne plus avoir accès à leur vie virtuelle me donne l’impression de perdre un certain privilège. Je continue de parler à mes proches dans la « vraie vie », mais j’ai envie de connaître les petits détails de leur quotidien. Je me sens hors du temps.
Je ne connais plus l’actualité de la pop culture (difficile quand on travaille dedans), je ne sais plus quelles séries il faut absolument regarder, les derniers événements qui ont fait le buzz… Cette mise à distance avec le reste du monde numérique m’angoisse tellement que j’ai rêvé que j’allais sur Instagram et que je scrollais jusqu’à l’infini tout en culpabilisant.
Des chercheurs ont prouvé que la dépendance physique à la nicotine disparaissait à partir de trois semaines. Mais qu’en est-il avec Insta et compagnie ?
« Le concept d’addiction aux réseaux sociaux n’a pas été reconnu donc je ne peux pas vous donner de chiffre précis, explique le psychologue. En revanche, des études ont prouvé qu’on recevait une petite dose de dopamine à chaque fois qu’on ouvrait notre téléphone. Donc, sans s’en rendre compte, on est surshooté à cette molécule du bonheur. Le lien que vous faites avec la cigarette est intéressant : la nicotine est une addiction physiologique. Mais, à force de recevoir de la dopamine, il se passe un peu la même chose avec les réseaux sociaux. Il faut donc trouver une autre manière de réguler ce circuit-là. » Je dois donc trouver un générique à la dopamine ? C’est officiel : je suis mal barrée.
Le broyeur de cerveau
La deuxième semaine est pire que la première. Monsieur sérievore s’impose dans l’octogone et me pousse à craquer. J’ai envie d’arrêter ce défi. Je travaille beaucoup et j’ai besoin de décompresser devant des vidéos YouTube ou des séries. Je veux poser mon cerveau devant des contenus divertissants pour faire redescendre la pression. J’explique même à une amie que je ressens la nécessité de « m’abrutir » – en fait, j’ai besoin de ce petit singe qui joue des cymbales dans la tête d’Homer.
Sans ce contenu léger, elle (ma tête) tourne à plein régime 24h/24, je réfléchis beaucoup et je n’arrive pas à faire taire les mauvaises pensées. Je me remets en question, je perds confiance en moi en ne me focalisant que sur mes défauts, je pense à tout ce qui me fait peur ou me rend triste, je réfléchis au sens de la vie… Bref, grosse ambiance. L’idée d’écouter l’intégrale de Patrick Sébastien en non-stop pendant trois mois devient même bien plus séduisante que cette détox digitale.
Je ne pensais pas que le manque aurait des effets aussi importants sur ma santé mentale. En revanche, Michaël Stora ne semble pas si surpris : « On a besoin d’espaces d’évasion et de distraction. Ce serait terrible de penser qu’on se doit d’être confronté sans cesse à soi. Le soir, on n’a pas toujours envie de repenser à tout ce qu’il s’est passé durant notre journée de travail. L’évitement peut se faire à travers la lecture, le sport ou encore les écrans. Chacun baisse son niveau de tension à sa façon. Mais je dois avouer qu’il faut être courageux pour se lancer dans du Zola après des heures de boulot… »
Père Castor, raconte-moi une histoire
Parlons-en, tiens, de Zola. Je préfère me plonger dans L’Amie prodigieuse plutôt que dans le pavé de Germinal, mais j’adore lire. Dans le métro, le week-end ou même le soir : j’ai toujours un livre avec moi. Je pensais que ce mois de détox me permettrait d’exploser le record d’œuvres lues en un mois, mais c’est tout le contraire.
J’en suis incapable et je n’ai jamais aussi peu lu. « Paradoxalement, la lecture exige d’avoir un niveau de tension plus bas que les écrans », analyse le psychologue. Donc si je comprends bien : les vidéos et les réseaux me permettent de faire baisser la pression, pour ensuite avoir la capacité de lire. Monsieur sérievore 1 – monsieur optimiste 0.
Mais il n’a pas dit son dernier mot ; on ne peut plus me raconter des histoires à travers les séries, les vidéos YouTube, ou les livres ? Tant pis, je sors mon super joker : les podcasts. Je n’ai jamais pris le temps d’écouter ce format, mais cette petite cure me permet de mieux le découvrir. Verdict : j’adore. Petit à petit, ces épisodes audio prennent plus de place dans mon quotidien. Un trajet ? Podcast. Besoin de bruit de fond en faisant un puzzle ? Podcast. Petite course matinale ? Podcast.
C’est une révolution. D’autant plus que la plupart des youtubeurs ont migré sur Spotify. Je (re)découvre donc Léna Situations, Anna Rvr ou encore Juliette Katz sous un tout nouveau jour. S’ils me permettent de combler ce besoin de récits, le manque de mon ancienne vie virtuelle reste néanmoins très présent. C’est officiel : je suis une vraie junkie des réseaux sociaux.
Ci-gît mon alter égo virtuel
Selon une étude d’ExpressVPN, « 93 % des jeunes de la génération Z affirment que les réseaux sociaux affectent leur bonheur ». Effectivement, le fait d’être confronté à des vies parfaites en permanence peut nous créer des complexes et des angoisses. En revanche, le fait de ne plus y être confronté du tout peut engendrer un sentiment de solitude très fort. Je me sens isolée alors que je continue à échanger avec mes amis et que je vois des personnes au quotidien.
« On appelle ça le lien faible, avance Michaël Stora. Les internautes postent leur quotidien sur les réseaux sociaux, et on est parfois plus au courant de leur vie que celle de proches qui ne publient jamais. Je pense qu’il y a une régression dans la capacité à être seul. L’addiction aux réseaux sociaux est hyper présente, même de manière insidieuse. On ne se rend pas compte à quel point on est accro, jusqu’à ce qu’on se retrouve sans. »
Le cœur du problème, c’est ce sentiment de FOMO (Fear of missing out, où le fait d’avoir peur de rater des événements). J’avais réussi à le calmer il y a quelques mois, mais ce challenge l’a fait revenir, plus fort que jamais. Je me sens exclue de la vie des autres et j’ai l’impression de passer à côté d’informations et de moments de vie essentiels.
« C’est la dimension diabolique d’Instagram, analyse le psychologue. Même si vous ne postez pas beaucoup, il y a toujours cette quête d’un retour sur investissement (likes, vues…). Quand on en est privé, on réalise à quel point il y a un apport affectif puissant dans cet outil. On a ce sentiment un peu fou de disparition de soi. Il y a une dimension quasi existentielle dans les réseaux sociaux : si on ne partage pas le moment qu’on a vécu, on a l’impression qu’il n’existe pas. Cet enjeu crée une angoisse existentielle puissante : l’idée d’une mort virtuelle. »
La rouetourne va tourner
Je me reconnais parfaitement dans ce que dit Michaël Stora. Depuis le début de ce défi, j’ai l’impression d’être figée alors que le monde continue de bouger autour de moi. C’est comme si j’avais besoin de mon alter égo numérique pour exister pleinement. Cette pensée digne d’un épisode de Black Mirror est bien flippante et remet complètement en question mon rapport au virtuel.
Je décide alors de faire un petit bilan, à mi-parcours de ce mois de l’enfer. Point positif : mon appartement est toujours impeccable et j’ai adopté un mode de vie plus sain. Point négatif : je me sens seule, je suis tendue en permanence, et je n’ai jamais eu aussi peu d’idées d’articles. En réalité, les réseaux sociaux et les séries boostent ma créativité et sont des mines d’or à sujets. Conclusion : monsieur optimiste commence à envisager de prendre sa retraite.
Mais comme l’a dit un jour un grand philosophe : « La rouetourne va tourner ». Et elle l’a fait. Je ne saurais expliquer pourquoi, mais le sentiment de manque est plus diffus et je retrouve l’envie de faire tout un tas de choses durant cette troisième semaine. Je dévore à nouveau des livres, j’écoute des dizaines de podcasts, je passe des heures à regarder les passants en leur inventant des vies… Je profite aussi (vraiment) de ma famille lors d’un week-end. Je regarde les mêmes programmes qu’eux sans m’échapper dans mes propres vidéos, j’apprécie chaque petit moment, j’abandonne mon téléphone pour des virées à moto, des jeux de société ou pour jouer avec les chiens… Bref, les Ingalls seraient très fiers de moi.
Hello darkness my old friend
Je reviens de ce week-end avec la tête pleine de projets. Je veux profiter à 100 % du monde réel. Cependant, le retour dans mon petit appartement me fait réaliser que cette cure est bien plus difficile à vivre en étant seule.
Ce challenge est long et je le vois comme une punition. Mais j’essaie de voir le positif : l’effet FOMO disparaît progressivement, je parviens à trouver des pépites cinématographiques et à rattraper des classiques entre trois téléfilms de TF1 et deux émissions de téléachat sur M6, et une amie me fournit en DVD, ce qui me permet d’échanger avec elle et de voir ses œuvres préférées.
Malgré tout, je compte les jours avant la libération. À la quatrième semaine, j’ai hâte de retrouver ma vie d’avant. Paradoxalement, j’ai aussi peur de retrouver les réseaux sociaux – vous ne l’aviez pas vu venir ce plot twist. « Le post-confinement a engendré de nombreuses phobies sociales », me confie Michaël Stora.
De la même manière, j’ai peur de ce trop-plein d’informations, de me rendre compte que le monde a complètement changé en un mois (ce n’est pas comme si un multimilliardaire pouvait racheter un des plus gros réseau social et censurer des journalistes en seulement quelques semaines), de retomber dans mes addictions et dans cette boulimie de vidéos.
Quand la réalité dépasse Black Mirror
Petit à petit, la ligne d’arrivée se rapproche. Je n’aurais jamais pensé pouvoir terminer ce défi sans tricher. Mais je vous le jure, Votre Honneur, je n’ai pas péché. Quatre semaines après avoir appuyé sur Reset, je réalise que cette cure n’était pas uniquement négative. Elle m’a aidé à réaliser que mon rapport au numérique et aux réseaux sociaux n’était pas sain, malgré ce que je pensais.
Petit un : je suis une victime des algorithmes. Avant ce challenge, je me laissais porter par les recommandations des plateformes, sans réfléchir à ce que voulais vraiment regarder. Cette détox m’a permis de m’ouvrir à des genres nouveaux et découvrir des films que je n’avais jamais osé voir.
Petit deux : même si je pensais le contraire, je suis réellement accro aux réseaux sociaux. Je ne passe que 30 minutes par jour sur Instagram, mais elles sont essentielles. J’ai besoin de suivre le quotidien virtuel de mes amis pour me sentir encore plus proche d’eux (et ça, c’est inquiétant). Petit trois : mon cerveau a besoin de s’abrutir devant des vidéos légères pour ne pas surchauffer. Instagram, YouTube et Netflix ont un réel impact sur ma santé mentale (et ça, c’est encore plus inquiétant).
J-1 avant l’impact
Demain, je retrouverai ma vie virtuelle. J’ai hâte de rattraper toutes les séries qui se sont accumulées sur ma liste des « œuvres à absolument regarder », mais j’ai peur d’oublier toutes les leçons tirées durant ce mois de détox. Comment se passera ce retour au monde numérique ? Ma consommation va-t-elle évoluer ? Est-ce que je vais prendre de nouvelles habitudes ? Ou craquer et replonger dès le premier jour ? La phobie sociale dont parlait Michael Stora va-t-elle se manifester ? Ai-je vraiment raté autant d’informations ? Le monde d’Instagram a-t-il réellement changé en quatre semaines ? Toutes les réponses dans le prochain épisode.