Critique

Avec Emprise, Mylène Farmer libère un nouveau personnage

28 novembre 2022
Par Lisa Muratore
La couverture du nouvel album de Mylène Farmer.
La couverture du nouvel album de Mylène Farmer. ©Sony Music Entertainment

Mylène Farmer a toujours été une artiste caméléon. La chanteuse aux 30 millions d’albums vendus a su se réinventer au fil de sa carrière en créant de nouveaux personnages de scène. Avec Emprise, son douzième album studio, elle propose de nouvelles sonorités, une renaissance réussie et libératrice.

Mylène Farmer est de retour depuis le 25 novembre 2022 avec son douzième album, Emprise. Cela faisait quatre ans, depuis la parution de Désobéissance (2018), que ses fans attendaient le comeback de cette artiste singulière. À contre-courant des évolutions musicales, Mylène Farmer n’est pas une chanteuse comme les autres. Cette originalité, elle l’acquiert très rapidement, d’abord avec le single qui la révèle, Maman a tort, en 1984, une chanson aux allures de comptine qui raconte l’internement en hôpital psychiatrique d’une jeune fille.

Ce titre lui permet de rencontrer celui qui deviendra plus tard son proche collaborateur, Laurent Boutonnat. À ses côtés, Mylène Farmer, de son vrai nom Gautier, va construire une carrière à succès et une image parfois scandaleuse, mais toujours en évolution.

Emprise : un symbole de réinvention

C’est ce que l’on peut voir dans son dernier opus. Avec cette nouvelle création, la chanteuse réinvente son univers musical, mais aussi visuel. Si elle s’était déjà aventurée vers des sonorités pop-électro avec son septième album, Point de suture (2008), Mylène Farmer va plus loin avec Emprise. Pour l’occasion, elle s’est entourée de Woodkid, qui a notamment signé sept morceaux, dont À tout jamais, dévoilé il y a quelques mois. La chanteuse y développe la thématique de l’emprise, une « notion qui la met dans une colère noire », et les blessures qui en résultent, dans un clip futuriste, où elle apparaît presque sous une forme extraterrestre.

Cette nouvelle identité visuelle, on la retrouve également dans Rayon vert, en duo avec AaRON, le clip ayant été diffusé quelques jours seulement avant la parution de l’album. C’est la première fois que ces deux artistes collaborent avec Mylène Farmer, à la différence de Moby, que la chanteuse retrouve après leur duo Slipping Away de 2006. Le chanteur signe ici deux chansons, Rallumer les étoiles, ainsi qu’Une bouteille à la mer, des morceaux fidèles à l’univers musical de l’artiste à qui l’on doit Lift me Up (2005), aux sonorités électro, pop, et aux paroles mélancoliques.

Mylène Farmer a aussi travaillé à nouveau avec Darius Keeler et Danny Griffiths – deux membres du collectif Archive, qui avaient réalisé trois titres de l’album Bleu Noir (2010) – sur le titre Do You Know Who I Am. Cette chanson apparaît comme la plus expérimentale de l’album, Mylène Farmer s’essayant au slam sur des sonorités électroniques sombres et sobres.

Mylène Farmer revient donc avec un album aux sonorités inédites dans sa carrière, plus symphonique, entre graves sombres et aigus perçants. Un virage important pour celle qui a débuté en faisant de la variété française, bien que les textes réunissent encore une fois les nombreuses références artistiques dont elle s’est toujours inspirée. Elle explore aussi les thématiques récurrentes de son univers comme le sexe, la mort, l’amour ou la religion.

Une artiste à succès qui ose

Ces sujets ont fondé la patte scandaleuse que l’on associe à Mylène Farmer dès son premier album, en 1986, Cendres de Lune, dont est tiré le morceau culte Libertine. Appuyée par un clip inspiré du film Barry Lyndon (1975), dans lequel elle apparaît nue, la chanson contribue à l’éclosion de sa popularité, avant une véritable consécration.

À la fin des années 1980, elle commence à construire un personnage. De Sans contrefaçon (1987) à Désenchantée (1991), en passant par Pourvu qu’elles soient douces (1988), elle multiplie les tubes dans l’Hexagone ainsi qu’à l’international, et enchaîne les concerts. En 1989, elle donne d’ailleurs sa première tournée, un show à l’américaine, une formule jusqu’alors peu utilisée par les artistes français, dans un décor représentant un cimetière géant.

Au fil de ses tournées, Mylène Farmer impose une véritable marque de fabrique. Leur scénographie impressionne de par leur imposante infrastructure intransportable. On se rappelle du Mylenium Tour et de la statut d’Isis de neuf mètres en 2000, ou encore en 2005 de sa série de concerts à Bercy organisés autour d’un rideau d’eau, d’un caisson de verre, et de deux scènes, dont une centrale en forme de croix de Malte reliées par une passerelle amovible, rien que ça.

Mylène, l’emblème

Bien qu’elle se soit faite discrète dans les médias, à partir des 1991, à la suite d’un épisode traumatisant durant lequel l’un de ses fans a tué le réceptionniste de Polydor – ce dernier ne voulant pas lui donner l’adresse de l’artiste –, Mylène Farmer est une véritable show-girl. Que ce soit lors de la sortie de ses albums ou la tenue de ses concerts, l’artiste d’origine canadienne catalyse une véritable passion autour de ses textes et de ses représentations, une passion que certains transforment en véritable culte.

Par ailleurs, cette obsession a participé à en faire un symbole d’émancipation féministe, mais aussi l’une des représentantes principales de la communauté LGBTQIA+. Véritable emblème queer, Mylène Farmer s’est très tôt affichée comme tel à travers ses engagements humanitaires, notamment celui contre le sida, mais aussi et surtout dans des paroles qui font mouche et un style androgyne, basé sur l’ambiguïté sexuelle de ses personnages.

Ce look, elle va finalement le laisser derrière elle à partir de 1995, cette même année signant le retour de la chanteuse après un exil californien. Elle revient avec Anamorphosée, un album aux sonorités rock et électriques. Elle arbore par ailleurs une image lumineuse et féminine un changement de style risqué, mais qui saura autant convaincre son public que la critique. Suivront ensuite, Innamoramento (1999), Point de suture (2008), Bleu Noir (2010) et, plus récemment, Interstellaires (2015) et Désobéissance (2018). Ce dernier est d’ailleurs considéré à ce jour comme le meilleur album de Mylène Farmer.

Au fil tous ces opus, Mylène Farmer a exploré plusieurs styles musicaux. La variété française, le rock, la pop et l’électro lui ont permis d’imposer sa virtuosité, mais aussi une variété de personnages. Elle se réinvente à chaque album, tant musicalement que visuellement. Elle s’est métamorphosée au gré des créations, entretenant cependant une ambiguïté sexuelle et de genre, que certains ont pu qualifier d’outrancières.

Cependant, derrière cette image scandaleuse se cache avant tout une artiste qui assume sa liberté et prône celle des autres. La preuve encore aujourd’hui avec son douzième album. Grâce à ses partenaires et à de nouvelles sonorités, Mylène Farmer donne un nouvel élan à sa carrière et dévoile une facette inédite de sa personnalité, plus intime. Elle incarne un nouveau personnage, aussi étrange que curieux. Un personnage plein d’espoir, qui renaît – en référence à la couverture de l’album –, finalement délivré de l’emprise.

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Article rédigé par
Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste