L’Éclaireur a pu assister à l’avant-première de ce court-métrage qui aborde le problème du manque de femmes dans ce secteur, et a échangé avec les personnes à l’origine de ce projet.
Les femmes sont sous-représentées dans le secteur de la tech, que ce soit dans les métiers ou dans les formations. Les entreprises elles-mêmes ont conscience de ce problème, le PDG d’Apple ayant récemment affirmé qu’il n’y a aucune bonne excuse pour ce manque de femmes dans ce domaine. De même, Meta, qui va lancer son académie du metaverse à Marseille début décembre et ailleurs en France, s’est fixé pour objectif d’avoir 30 % de femmes dans la première promo.
Ce problème est au cœur du court-métrage Maybe Next Time. Rencontre avec la réalisatrice et coscénariste Clara Leclerc-Petrášová, l’acteur et coscénariste Mattéo La Capria, et la productrice Valérie La Capria.
De quoi parle Maybe Next Time ?
Mattéo La Capria : C’est une comédie satirique sur la rencontre entre deux personnages que tout oppose : Émilien – que j’interprète – un jeune directeur marketing un peu imbu de lui-même, avec des idées un peu sexistes sur les bords, mais attachant et dynamique, et, en face de lui, Ludivine (interprétée par Jeanne Arènes) une femme qui se bat pour être là où elle est, hyper talentueuse et forte dans son travail, mais qui sait beaucoup moins se mettre en valeur. Elle a certaines idées un petit peu “old school” sur manière de présenter les choses. Les deux vont se retrouver pour faire une campagne de pub sous la direction de leur PDG (interprété par Bernard Le Coq). La comédie part de là.
Clara Leclerc-Petrášová : C’est une comédie engagée sur la place des femmes dans la tech, mais le film aborde aussi la problématique plus globale de la place de la femme dans le monde économique. Ludivine y est l’une des rares femmes de l’entreprise, elle est notamment seule au COMEX. C’est malheureusement encore le cas de certaines femmes en France, même si cela va évidemment changer avec la loi Rixain.
D’où vient cette initiative ?
C. L.-P. : Elle vient d’un appel à projets qui avait pour but de proposer des fictions pour donner envie aux jeunes femmes de se lancer dans des métiers des sciences et des technologies. Valérie nous en avait parlé l’année dernière et, en 2022, je me suis dit que c’était vraiment le moment. J’ai ressenti le besoin de faire un film engagé sur la question de la place des femmes dans le monde économique. J’ai donc proposé à Mattéo d’écrire quelque chose ensemble et nous avons commencé par réfléchir au sujet en général pour ensuite choisir un secteur particulier.
Mon intérêt pour la question de la mixité dans la tech nous a mené vers ce secteur dans l’écriture du scénario. J’ai été un peu confrontée à la problématique des femmes dans la tech par le passé en organisant des clubs de dirigeantes. En 2021, l’un d’eux a été organisé à la Silicon Valley et énormément de dirigeantes ont partagé leurs difficultés au quotidien, ce qui m’avait beaucoup frappée. Après avoir parlé de ça à Mattéo, qui a trouvé ce thème très intéressant, j’ai réalisé des interviews avec des dirigeantes, car je voulais vraiment avoir beaucoup d’empreinte avec le réel.
Nous avons aussi été soutenus par des partenaires et des sponsors pour ce projet, dont des associations comme Femmes ingénieures ou Les Décodeuses, des écoles d’ingénieurs telles que l’Institut Mines-Télécom ou 3Il Ingénieurs, et des entreprises comme VO2 Group ou Legrand.
Qu’avez-vous tiré des témoignages avec les dirigeantes dans la tech ?
C. L.-P. : Ils ont été très utiles pour le film. J’ai interviewé 40 dirigeantes, ce qui m’a permis de vraiment comprendre le secteur de la tech et d’avoir beaucoup d’anecdotes. Ces rencontres ont aussi donné le ton nécessairement un peu grinçant du film. Il y a eu beaucoup de témoignages, de vécus différents, mais le ressenti de la gêne, les remarques pas toujours fines ont été quelque chose de commun, un fil rouge intéressant à exploiter. Ces interviews ont aussi été extrêmement utiles dans le sens où elles m’ont permis d’enrichir mes connaissances : c’est lors de l’une d’elles qu’une dirigeante m’a parlé d’Hedy Lamar (actrice et inventrice), que je ne connaissais pas.
Mattéo, vous avez co-écrit le scénario et vous jouez aussi dans le film. De quoi vous êtes-vous inspiré ?
M. L. C. : Après avoir trouvé l’idée de ces deux personnages que tout oppose, ça s’est décidé assez vite que je jouerai le rôle du jeune directeur marketing. Pour être honnête, ce n’est pas un monde que je connais parfaitement. J’étais fan de la série Silicon Valley, qui a été mon inspiration principale dans l’écriture du film et du personnage. Je me suis vraiment servi de mes références en termes de films ou de séries, et d’humour, mais c’est Clara qui a amené ses connaissances sur le secteur et sur les jeunes diplômés d’école de commerce un peu requins. Ça a aussi été facile de jouer ce rôle, car c’est délectant de jouer un personnage aussi haut en couleur et aussi “petit con”.
Pourquoi avoir choisi le ton de l’humour ?
M. L. C. : Le ton de l’humour s’est tout de suite imposé avec les deux personnages qui se balancent des idées et créent ensemble de fausses publicités. Et puis, les meilleures comédies ont toutes un fond fort à défendre. C’est, à mon sens, ce qui fait la base du meilleur humour. La Grande Vadrouille parle du nazisme, les films de Judd Apatow touchent toujours à des sujets de société très forts… L’un va avec l’autre, on ne peut pas faire de comédie sans sujet de société.
C. L.-P. : Quand on s’est lancés dans le projet, l’idée de faire un film un peu humoristique et accessible est née assez rapidement. Mais, plus le projet a été nourri, notamment avec les entretiens, plus il y a eu de choses concrètes et plus c’est devenu indispensable en fait. La comédie est vraiment devenue le moyen d’avoir un fond politique tout en le rendant accessible au plus grand nombre. L’humour, avec des traits qui sont bien sûr grossis, nous a vraiment permis de parler des contradictions existantes dans beaucoup d’entreprises, des biais cognitifs, des stéréotypes. Ça nous a semblé être le seul moyen d’aborder ces choses-là sans culpabiliser, sans que les gens se sentent mal, mais en faisant quand même passer le message de manière la plus efficace qu’il soit.
Vous prévoyez de présenter ce film lors de festivals et dans les écoles. Pourquoi ?
Valérie La Capria : Dans le film, les traits sont grossis. On peut cependant envisager qu’il reste des comportements qui éloignent les femmes des métiers de la tech, qui sont quand même très masculins. Et c’est aussi vrai dans d’autres métiers ou pour accéder à des postes de direction. Or, pour arriver à faire changer ces biais cognitifs, il faut permettre aux jeunes – filles et garçons – très tôt de pouvoir exprimer leurs craintes par rapport à ça, d’échanger entre eux. La sensibilisation, l’éducation à la parité, à l’acceptation et à la reconnaissance que les femmes peuvent tout à fait exercer des métiers jusqu’alors tenus par des hommes ou occuper des postes de direction doit se faire tôt. Si on commence à en parler après le lycée, c’est déjà trop tard. Ça peut donc avoir un intérêt d’aller le présenter à des publics assez jeunes, à partir du collège.