Que ce soit à travers le travestissement de personnages masculins ou une plongée dans l’univers folklorique de la nuit, la performance drag a toujours été liée au cinéma. Sa représentation a d’ailleurs évolué sur grand écran passant d’un argument comique à témoin d’une puissance scénaristique. Décryptage.
Ce mercredi 9 novembre est sorti dans les salles obscures françaises, Trois nuits par semaine. Signé Florent Gouëlou, le long-métrage est une plongée inédite dans le milieu drag-queen. Emporté par le personnage de Pablo Pouly, Baptiste, on découvre l’univers de la nuit, les codes de la préparation, sous forme d’humour, de drame et de romance. Trois nuits par semaine est l’une des rares fictions françaises à montrer aussi fidèlement – et tendrement – la performance drag.
Cette culture a souvent été au cœur de documentaires et d’émissions de télévision. On pense à Drag Race (2009), née aux États-Unis sous l’impulsion de RuPaul, et à son exportation récente sur les ondes du service public français grâce à Nicky Doll. L’art du drag – car il s’agit bien d’un art – semble gagner en visibilité, bien qu’il existe depuis longtemps. Il a par ailleurs inspiré d’autres formes de divertissement, à commencer par le cinéma. Le lien entre le 7e art et le travestissement de personnages masculins en femme existe indéniablement et depuis longtemps. Son utilisation a évolué au fil du temps selon les traditions, les ressorts scénaristiques, ou encore l’intention créative. Explications.
Un art inspiré par le travestissement au cinéma
On pourrait situer l’origine du travestissement durant la Grèce Antique. À cette époque, seuls les hommes étaient autorisés à se donner en spectacle, les femmes étant interdites de scène. Ainsi, pour pallier le manque d’interprètes féminines, les comédiens se déguisaient en femme.
On retrouve également des traces de ce subterfuge dans l’œuvre de Marivaux, notamment dans la pièce Le Père prudent et équitable (1712), dans laquelle Crispin, le valet de Cléandre, se glisse dans le costume d’une femme afin de prétendre au mariage avec un chevalier. Plus tard, le cinéma s’empare à son tour de cette méthode burlesque. L’art du drag ou du travestissement – bien que ces deux notions divergent – se mêlent à celui du cinéma.
Au XXe siècle, ce ressort scénaristique est repris dans plusieurs œuvres. À commencer par Certains l’aiment chaud (1959) avec Marilyn Monroe, dans lequel Tony Curtis et Jack Lemmon se font passer pour deux musiciennes d’un orchestre exclusivement féminin. Si la prestation scénique pourrait permettre de rapprocher le film réalisé par Billy Wilder de l’art du drag, la tromperie des deux hommes va en tout cas inspirer des films comme Tootsie (1982) avec Dustin Hoffman et Mrs Doubtfire (1993) avec Robin Williams. Par ailleurs, l’art du travestissement au cinéma n’est pas un ressort exclusivement réservé au grand écran anglosaxon. En France, on peut également citer le personnage de Christian Clavier dans Le Père Noël est une ordure (1982), Chouchou (2003) avec Gad Elmaleh, mais aussi La Cage aux folles (1978).
Le drag au cinéma
Bien qu’il soit important de distinguer travestissement et drag, l’arrivée de cet art au cinéma est donc d’abord passée par ce genre de représentation. Si les acteurs ne performent pas en tant que drag-queen, le travestissement fait partie d’une prestation, d’un rôle à jouer. Face à cette distorsion caricaturale de la représentation, plusieurs cinéastes vont s’organiser. Ils vont alors décider de présenter les drag-shows, les drag-queens et leur univers à travers la fiction.
On peut ainsi citer le Rocky Horror Picture Show (1975) de Jim Sharman, Priscilla folle du désert (1994) de Stephan Elliott, Personne n’est parfaite (2000) de Joel Schumacher, ou plus récemment Port Authority (2019) de Danielle Lessovitz. Côté documentaire, on pense à I am Divine (2013), Paris is Burning (1990), ainsi que Mother’s (2019).
Toutes ces propositions artistiques permettent de démocratiser l’art du drag sur grand écran et dans la société. Par ailleurs, l’évolution de cette représentation – qui passe d’un « simple » travestissement à un véritable objet culturel pluridisciplinaire – entraîne également un changement vis-à-vis des ressorts scénaristiques employés.
Le drag, un art scénaristique
Au début, le travestissement de personnages masculins s’apparente en effet à un ressort humoristique et burlesque. En se déguisant en femmes, ces hommes cherchent à provoquer le rire chez les spectateurs, à travers des quiproquos de situation dus au genre. Ici, on ne dépasse pas l’idée du déguisement : la politique, l’identité de genre ou la sexualité n’interviennent en aucun cas, pas plus que la performance artistique. Dans les années 1970, la représentation du travestissement se place soit du côté de la psychiatrisation, du trouble de l’identité, soit de la recherche et de l’acceptation de soi.
D’inquiétante ou risible, la figure de la drag-queen devient, dans les années 1990-2000, sympathique et profonde. Aujourd’hui, sa elle interroge plusieurs thématiques, que ce soit la sexualité, le genre ou la représentation de la communauté LGBTQ+, tout en prônant un message d’amour et d’acceptation.
On le voit notamment dans Trois nuits par semaine. Le film parvient à nous entraîner dans le quotidien d’une drag-queen, entre liberté et puissance. Il déconstruit également les clichés de cet art, en montrant notamment que les femmes aussi peuvent s’essayer au drag, tout comme le cinéma les a longtemps filmées en train de se transformer en homme.
Il ne faut pas non plus oublier qu’à travers tout cela, le drag c’est aussi plonger dans un univers où la performance, le plaisir de la scène et du divertissement sont primordiaux. C’est notamment pour cette raison que cet art se confond parfaitement avec le cinéma. Si, il y a plusieurs décennies, il était associé au mécanisme gratuit de l’humour à travers le genre, son évolution permet aujourd’hui de montrer une galerie de personnages complexes, divers et intenses.
La représentation de plus en plus accrue de cette communauté artistique permet également d’aborder des thématiques profondes et actuelles. Le drag n’est pas uniquement un artifice de mise en scène, c’est aussi – surtout –, une manière inédite de plonger dans un nouvel univers, de porter un message et de raconter une histoire dénuée de clichés.