Entretien

Franck Thilliez : “Les films d’horreur me terrorisaient, mais je ne pouvais pas m’empêcher de les regarder”

26 octobre 2022
Par Agathe Renac
Franck Thilliez : “Les films d’horreur me terrorisaient, mais je ne pouvais pas m’empêcher de les regarder”
©Audrey Dufer

Adepte du genre horrifique, Franck Thilliez adore se faire peur. Cette émotion le fascine, l’inspire et le terrifie. Monstres cachés sous le lit, perte de mémoire, expériences paranormales… L’écrivain nous a confié ses plus grosses frayeurs.

En ce mois d’Halloween, le maître de l’horreur est partout. On le retrouve sur les écrans, avec l’adaptation sérielle de son best-seller Syndrome E, et dans nos librairies, avec sa BD horrifique La Brigade des cauchemars. L’écrivain, à l’origine d’une vingtaine de romans, sait comment nous effrayer. Il joue avec nos peurs les plus profondes et nous embarque dans des mondes mystérieux et obscurs. Traumatisé par ses histoires, L’Éclaireur a décidé d’inverser la tendance et de confronter l’auteur à ses propres angoisses.

L’ambiance de vos livres est toujours très sombre. Qu’est-ce qui vous attire dans cet univers ?

L’horreur est un genre qui m’a marqué quand j’étais plus jeune, notamment durant mon adolescence. À cet âge, on a envie de se confronter au frisson. Je pense que ça fait partie des étapes de la vie. On veut se faire peur et montrer aux copains qu’on est plus fort qu’eux. Les œuvres horrifiques me terrorisaient, mais je ne pouvais pas m’empêcher de les lire ou de les regarder. Il y avait une sorte d’attrait-répulsion, et cette fascination a influencé ma carrière. Contrairement à de nombreux auteurs, je n’ai pas toujours voulu écrire. Pour moi, l’écriture est un moyen de reproduire ce que j’ai pu ressentir en étant adolescent. L’émotion de la peur est formidable et je voulais réussir à la procurer à mon tour aux lecteurs.

« Je faisais beaucoup de cauchemars avant d’écrire (…), mais ils sont partis quand quand j’ai commencé à inventer des histoires. »

Franck Thilliez

Comment expliquez-vous cette fascination ? Pourquoi aimons-nous autant regarder des films d’horreur ?

Il y a plusieurs raisons. La première remonte aux origines : c’est l’émotion du danger, celle qui a assuré notre survie jusqu’à aujourd’hui. Sans elle, on n’existerait pas. On l’a au fond de nous et on a besoin de l’entraîner. Ensuite, la peur suscitée par les œuvres horrifiques peut être contrôlée. On la déclenche et on l’arrête quand on le souhaite. Elle fait agir tout un tas d’hormones et de montées d’adrénaline ; c’est comme un manège à sensations. Il y a un côté très excitant. Enfin, il y a l’aspect transgressif : cette émotion est liée à l’interdit. Ces films et ces livres nous permettent d’aller dans des environnements qui nous sont interdits dans la vraie vie, sans pour autant nous mettre en danger.

Vos histoires contiennent beaucoup de violence psychologique et physique. Je suppose que les phases de recherche et d’écriture sont intenses et vous plongent dans une atmosphère particulière. Faites-vous plus de cauchemars durant cette période ?

J’en faisais beaucoup avant d’écrire – sûrement à cause des films d’horreur que je regardais –, mais quand j’ai commencé à inventer des histoires, les mauvais rêves sont partis. Je pense qu’il y a un côté cathartique : j’évacue les pensées sombres par l’écriture. Quand je fais des recherches, je tombe sur des faits divers qui m’écœurent et me mettent en colère. Le fait de les transmettre à mes lecteurs me soulage, car je me dis qu’ils vont partager mes sentiments.

« J’avais très peur du noir et du monstre caché sous mon lit quand j’étais petit. »

Franck Thilliez

C’est assez rare, mais un “transfert” peut survenir durant la phase d’écriture. Dans ce cas de figure, l’écrivain se met à la place de ses personnages et se demande comment il réagirait à leur place. Par exemple, j’ai des enfants, et certaines histoires de disparition m’effraient. Mais, dans 90 % des cas, je parviens à conserver une distance entre ce que je suis et ce que j’écris. De la même manière, un médecin légiste pratique des autopsies toute la journée de façon technique et médicale, mais de temps en temps, il peut trouver des ressemblances entre la victime et l’un de ses proches.

De quoi aviez-vous peur quand vous étiez petit ?

J’avais très peur du noir et du monstre caché sous mon lit. Je vérifiais toujours sous mon matelas avant de me coucher. Parfois, je regardais plusieurs fois, juste pour être sûr. J’avais peur qu’un loup-garou attende que je dorme pour sortir. La chambre est censée être un environnement rassurant, mais c’était finalement le lieu dans lequel j’étais le plus effrayé.

Le roman Syndrome E de Franck Thilliez a été adapté en série.©TF1

Entre le complexe psychiatrique dans Puzzle, le gouffre dans Vertige ou encore la chambre insonorisée d’un psychopathe dans Labyrinthes, vos histoires se déroulent dans des lieux sacrément effrayants. Dans lequel oseriez-vous passer la nuit d’Halloween ?

Le gouffre pourrait me provoquer une vraie frayeur, car j’ai le vertige. Mais je pense que l’endroit qui me terroriserait le plus, ce serait la forêt, la nuit. Il m’est déjà arrivé de me balader et de revenir un peu trop tard. Quand il commence à faire sombre et que je suis toujours coincé entre les arbres, je panique. C’est absolument terrorisant, car l’imaginaire commence à fonctionner : il fait noir, il y a des bruits, on se dit qu’un psychopathe est peut-être en train de rôder…

Labyrinthe, La Mémoire fantôme… Vos personnages perdent souvent la mémoire. C’est quelque chose qui vous fait peur ?

La perte de mémoire, la maladie, la mort… Toutes ces choses me font peur et j’y suis confronté tous les jours quand je fais des recherches pour mes livres. La mort est l’essence même du polar. On flirte avec des sujets très sombres. Parmi eux, la question de la mémoire m’interpelle particulièrement. Je la creuse dans tous les sens. Peut-on continuer à exister en tant que personne si nous la perdons ? La vie a-t-elle un but si nous n’avons plus conscience de notre passé et de notre propre existence ? L’idée que tout ça fonctionne mal ne peut que m’effrayer. On perd une partie de nous-mêmes, comme dans Memento. C’est invivable.

Vous étiez ingénieur informaticien et vous avez un esprit scientifique. Croyez-vous néanmoins à ce monde invisible, qui serait fait d’énergies et d’esprits ?

Je pense qu’il existe tout un tas de choses qu’on ne connaît pas encore. Il m’arrive de flirter avec ces sujets dans mes romans, car j’ai tendance à y croire. Je crois en l’existence d’un monde invisible, mais j’ai aussi un esprit scientifique qui me pousse à demander des preuves concrètes.

Des choses très troublantes se sont déroulées chez moi, comme des jouets qui s’allument seuls, la nuit. J’ai pensé à la possibilité d’une pile mal placée ou d’un bouton qui se serait déclenché tout seul, mais je n’ai eu aucune explication.

Quand je vais dans une cave obscure, je me dis que des ombres ou des esprits peuvent y roder, mais ça ne m’effraie pas vraiment. Je pense que certaines personnes sont capables de les entendre, car elles ont des sens plus développés. Il y a, certes, des charlatans parmi les voyants et les guérisseurs, mais je suis persuadé que les autres sont sincères.

Il y a d’ailleurs un regain d’intérêt pour l’ésotérisme ces dernières années, notamment sur les réseaux sociaux. Comment expliquez-vous ce phénomène ?

Ces pratiques nous permettent de sortir de notre monde pour explorer des univers plus rassurants ou effrayants – on a tous essayé de faire une séance de Ouija quand on était ado. On évolue dans un monde difficile et c’est rassurant de comprendre ce qu’il y a après la mort. Quand on va voir des médiums ou qu’on fait des jeux de tarot, on ne cherche pas à se faire peur, au contraire. On essaie de se rassurer en espérant que le domaine de l’invisible est doux et bienveillant.

Il y a aussi le goût de l’inconnu. Notre monde est de plus en plus normé et les sciences ont envahi nos vies. On a envie de mystères, de choses qu’on ne peut pas contrôler. Le but, c’est d’échapper à notre quotidien.

« Parfois, la réalité est pire que la fiction. »

Franck Thilliez

Vous parliez de jouets qui s’allument tout seul… Avez-vous déjà vécu des expériences étranges ou assisté à des phénomènes paranormaux ?

Effectivement, quand l’un de mes enfants était tout petit, son jouet s’est mis en route tout seul durant la nuit. Quand je suis arrivé à côté de son berceau, il regardait au-dessus de lui, comme s’il voyait quelque chose que je ne percevais pas. Ça m’a fait vraiment peur. J’ai toujours habité dans des maisons un peu anciennes et il y a des bruits bizarres la nuit, comme le plancher qui grince. Il y a des explications rationnelles (la tuyauterie, le hasard, le demi-sommeil…), mais ça peut être effrayant.

Qu’est-ce qui vous fait le plus peur : le monde visible, ou invisible ?

Le monde visible, car c’est celui qu’on voit et qui existe “vraiment”. Chaque jour a son lot d’horreurs. On invente des histoires en pensant qu’elles ne se réaliseront jamais dans le monde réel, mais parfois, ça arrive, et la réalité devient pire que la fiction. Le film Halloween a terrorisé des générations, mais ces personnes ont vraiment existé. Donc, pour répondre à votre question : le monde visible est clairement le pire, car on y est confronté au quotidien.

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Article rédigé par
Agathe Renac
Agathe Renac
Journaliste