Née au milieu des années 2010 sous l’influence de sa reine des reines, la québecoise rupi kaur (4,5 millions d’abonné·e·s), l’Instapoésie continue de fleurir sur nos feeds, remettant au goût du jour un genre littéraire encore élitiste et méconnu. Lumière sur un phénomène qui fait du bien.
Pour Carina Pereira de Book Riot, l’Instapoésie « ne prétend pas être plus que ce qu’elle est : de courtes phrases qui se suivent pour évoquer une émotion ». Pereira identifie quatre éléments caractérisant l’Instapoésie : elle traite de problématiques de justice sociale ; elle dispose d’un fort pouvoir d’identification du lecteur aux sentiments évoqués par le poète ; est accessible et gratuite ; inclusive et aisément compréhensible.
Écrite avant tout pour être partagée en ligne, cette forme poétique instantanée s’affranchit en effet des diktats de la poésie classique. C’est cette simplicité qui fait son succès – une simplicité que ceux qui se targuent d’être de « vrais » poètes s’empressent de critiquer voire de tourner en dérision, à l’instar d’Andrew Lloyd, qui raconte son succès inattendu en tant que « pire poète d’Internet ».
N’oublions pas cependant, comme le rappelle Carina Pereira, que ce sont majoritairement des femmes qui lisent et écrivent des poèmes sur Instagram, ce qui pourrait expliquer la tendance générale à ne pas les prendre au sérieux – tendance qui s’inscrit dans une longue histoire d’invisibilisation des poétesses.
Finalement, peu importent les qualités littéraires que l’on prêtera ou non à ce genre poétique contemporain. Ce qui compte, c’est ce qu’il provoque en nous. Ce sont les émotions que l’on ressent à la lecture d’un court poème glissé sur notre feed entre les tutos make-up et l’actualité.
Ce qui fait la puissance de l’Instapoésie, c’est sa capacité à nous faire vibrer de concert avec des milliers d’inconnus ; à se sentir un peu moins seul face à la vie. La poésie sur Instagram compte parmi les rares espaces à nous faire réellement du bien sur un réseau social connu pour son impact négatif sur la santé mentale des ses utilisateurs. Pour sa quatrième parution, rupi kaur inverse les rôles : pas de recueil de poésie cette fois-ci, mais une invitation à « trouver vos propres mots », explique-t-elle sur Instagram : « healing through words est une collection d’exercices choisis pour vous encourager à explorer le trauma, la perte, les peines de cœur, l’amour et la guérison par l’écriture ».
Seul 1 % de la population lit régulièrement de la poésie, genre littéraire qui représente avec le théâtre 0,2 à 0,4 % du marché du livre, selon L’Express. Genre élitiste par excellence, la poésie retrouve pourtant un second souffle grâce à sa popularisation croissante sur les réseaux sociaux. Au Québec, le dernier rapport de ventes de livres montre un bond spectaculaire de 43,2 % en poésie, les livres des poètes d’Instagram représentant près de la moitié des ventes. Instagram vient révolutionner – et marchandiser – la poésie, faisant d’une poignée de poètes des stars et de leurs recueils des best-sellers.
L’écrivaine Floriane Joseph raconte par exemple s’être remise à lire et écrire de la poésie grâce au travail de rupi kaur : « Je crois que ce monde a plus que jamais besoin de poèmes, de poèmes sans prétention, qui fassent partie de nos vies, pour dire nos colères et nos chagrins, nos peurs et nos amours. Des poèmes à emporter avec soi les matins d’hiver, quand on attend le métro. »