En facilitant l’accès aux contenus culturels, les grandes plateformes de services, dont le fonctionnement repose pour beaucoup sur des algorithmes, ont révolutionné notre manière de regarder des films et des séries, d’écouter de la musique. Pratique, le fonctionnement de ces plateformes a aussi vite fait de nous enfermer dans une bulle uniformisée.
Plus riche, mais plus pauvre. Tel est en quelque sorte le paradoxe des algorithmes au cœur du fonctionnement des plateformes telles que Netflix, Deezer, Spotify, Disney+, Apple TV+ et consorts. Riches de centaines de milliers de films et séries et de millions de chansons, elles ont révolutionné notre rapport à la consommation culturelle. Avec elles, plus besoin de chercher, tout vient à nous, ou presque. Quelques heures d’utilisation suffisent aux algorithmes de ces plateformes pour cerner nos goûts, avec une remarquable précision, il faut bien le dire. De ces calculs informatiques naît la recommandation. Celle-là même qui nous propose, qui nous « pousse » des films, des séries ou de la musique en rapport avec ce que nous aimons à un instant T. Pratique. On aurait bien du mal à se passer de ces suggestions, qui nous évitent de passer des heures à chercher la nouvelle série à regarder dans la soirée.
La corne d’abondance
La profusion de contenu n’est donc pas la seule raison qui retient les abonnés sur les plateformes de streaming audio et vidéo. Certes, un vaste choix, c’est bien, c’est mieux même, mais la qualité du service est indissociable du succès de ces sites. C’est là qu’entrent en piste les fameux algorithmes (voir en fin d’article). Si vous êtes abonnés à Netflix par exemple, il vous est peut-être arrivé de binge-watcher (visionner compulsivement) toutes les saisons d’une série en un week-end. Dès qu’on en finit une, la plateforme nous fait plusieurs suggestions qui ne manquent pas de piquer notre intérêt. En ayant recours aux algorithmes, les plateformes parviennent à nous suggérer toujours plus de contenus susceptibles de nous happer. Une sorte de formule magique pour nous tenir rivés à nos écrans… et à nos abonnements. On nous offre sur un plateau exactement ce que l’on veut voir pour nous donner une bonne raison de rester.
Ad nauseam
Naturellement, cet avantage n’est pas sans inconvénient. D’après une étude du bureau AQOA, jusqu’à 95 % des titres mis en avant sur la page d’accueil des plateformes sont proposés en fonction des habitudes de lecture de l’utilisateur. Or cette ultrapersonnalisation tend à nous enfermer dans un genre de films ou dans un style de musique. En nous proposant uniquement des contenus censés correspondre à nos goûts, les algorithmes rendent invisibles, ou presque, tous les autres. Ce mode opératoire, qualifié de « bulle d’enfermement », est exactement le même que celui employé par les réseaux sociaux, qui nous donnent à voir ce à quoi nous nous sommes souvent intéressés par le passé. S’il s’agit là du principal biais de ces plateformes, ce n’est pas le seul.
En effet, quand bien même on paie un abonnement chaque mois pour accéder aux contenus, ceux-ci ne nous appartiendront jamais. Ils n’appartiennent d’ailleurs, pour la plupart d’entre eux, pas aux plateformes. Les séries et les films font ainsi l’objet d’une bataille acharnée entre les grandes plateformes Netflix, Disney+ et compagnie, qui souhaitent gonfler toujours plus leur catalogue de nouveaux contenus, qu’elles s’offrent parfois à prix d’or… pour un temps donné. Il n’est donc pas rare de voir un contenu phare disparaître d’un service pour apparaître sur un autre.
Varier les plaisirs
Le travail minutieux des algorithmes, l’ergonomie bien pensée des applications qui accompagnent ces services, la qualité incontestable des productions maison des plateformes sont autant de raisons qui ont profondément changé notre façon de consommer les biens culturels. Mais si ces plateformes représentent un progrès incontestable, les utiliser à l’excès, et de façon exclusive, rétrécit, limite nécessairement notre horizon culturel. Se laisser guider par les prescriptions concoctées par des algorithmes, c’est terriblement pratique, confortable. Oui, mais voilà, assez rapidement, on oublie le plaisir de s’aventurer ailleurs, hors des sentiers battus balisés par l’intelligence artificielle de chacune de ces plateformes. Pourtant, sortir de ces sentiers balisés par les algorithmes n’a jamais été aussi simple. Dans le monde « réel », les échanges de conseils et de recommandations se font assez naturellement avec les amis, la famille, les proches ou les collègues. Ou il suffit de pousser la porte d’un magasin Fnac pour toujours trouver un conseiller spécialisé prêt à discuter cinéma, série, musique, etc. avec vous. Sur internet, vous avez là aussi l’embarras du choix, avec des critiques de médias en ligne, ou encore les avis agrégés de millions de passionnés sur des sites de critiques de contenus culturels, tels que SensCritique ou Metacritic.
En laissant tout le pouvoir de recommandation aux plateformes et à leurs algorithmes, on a vite fait de brider sa curiosité naturelle, pire, de délaisser son libre arbitre. On prend aussi le risque de passer à côté d’un film de genre qui aurait pu nous plaire, ou d’une série formidable, mais aussi trop confidentielle pour être détectée par les radars des algorithmes.
Finalement, c’est Neil Hunt, le patron des contenus de Netflix, qui résume le mieux le risque encouru. En 2014, il n’avait pas hésité à annoncer, le plus simplement du monde, que leur but était qu’on ne réfléchisse plus, que les algorithmes allaient s’occuper de tout. Ne serait-ce pas là plutôt le début d’un scénario digne de Black Mirror ?
Un algorithme, c’est quoi ?
Si les algorithmes ne sont pas un concept récent en mathématique - ils existent depuis l’antiquité -, ils ont pris une nouvelle dimension depuis qu’ils sont appliqués à l’informatique. L’avènement d’internet a généré d’énormes quantités de données et les algorithmes ne sont rien d’autre que des programmes informatiques qui permettent d’analyser efficacement ces amas de données. Et plus cette masse d’informations est importante, et plus l’algorithme se révèle efficace. Il est en effet plus pertinent lorsqu’il peut compiler et analyser un grand nombre de cas en vue de déterminer le résultat le plus probable qui soit. Exemple : si plusieurs millions d’utilisateurs ont apprécié le film B après avoir vu le film A, le système en déduira alors que la majorité de ceux qui aiment le film B est susceptible d’apprécier le film A, et le fera ainsi apparaître dans leurs recommandations.