
Leur nouvel album « Playing/Praying » est d’ores et déjà l’une des meilleures livraisons electro de 2025. Un opus gorgé de nappes synthétiques et de rythmes addictifs, taillé pour le dancefloor. Le duo français Kompromat, formé par les artistes Vitalic et Rebeka Warrior, s’est prêté au jeu de notre interview « En rayon ». Et se dévoile avec humour à travers inspirations ciné et littéraires.
AU RAYON CINE AVEC VITALIC
Le premier film que vous avez vu sur grand écran ?
Vitalic : E.T. L’Extraterrestre de Steven Spielberg. Enfant, j’était complètement à fond dans la « ET mania » des années 80. On m’avait offert le livre-disque avec des photos et des extraits sonores tirés du film. Je l’amenais partout avec moi et je demandais à ce qu’on me mette le disque que j’écoutais en regardant les photos pendant des heures.
Le film de votre vie ?
Vitalic : Lost In Translation. J’adore la façon dont Sofia Coppola raconte l’ennui via la rencontre à Tokyo de deux personnes seules et un peu perdues. C’est long, c’est lent… Tout est filmé avec une élégance extrême, la musique est incroyable et la retenue sur l’ensemble du film lui confère encore plus de puissance.
Ce film m’a beaucoup touché parce qu’il raconte aussi la solitude que les musiciens vivent parfois sur la route, et le décalage qui s’installe entre la vie de tournée et la famille ou les amis.
Le film que vous avez le plus vu mais impossible de ne pas le revoir même quand il passe à la TV alors que vous l’avez en DVD ?
Vitalic : Thelma et Louise de Ridley Scott. Un film féministe avant l’heure, qui aborde a la fois les violences sexuelles, mais aussi le sujet de l’emprise dans le couple. Je pense que c’est ce film qui m’a donné le goût pour les longs roadtrips à mon adolescence. Malheureusement, ça finit mal parce qu’on ne les a pas comprises. La dernière scène est mythique.
Un réalisateur de référence ?
Vitalic : Stanley Kubrick pour l’ensemble de son oeuvre. J’ai beaucoup hésité entre Lost In Translation et Orange Mécanique comme le film de ma vie. Mais 2001 l’Odyssée de l’Espace est aussi un film magistral, dont la photographie et les effets spéciaux sont toujours aussi bluffants aujourd’hui.
Le classique que vous faites semblant d’avoir vu mais ce n’est toujours pas fait ?
Vitalic : Autant en Emporte le Vent de Victor Fleming. Je sais que c’est un gros classique, mais ça ne me branche pas du tout de le voir. Trop de musique, trop de mots, trop de décors, trop de couleurs… Ce n’est pas pour moi.
Le film plaisir coupable ?
Vitalic : Fatal de et avec Michaël Youn. C’est notre film fun familial – avec Guillaume et les Garçons à table de Guillaume Gallienne (dans un autre genre). J’adore les descriptions des mondes du rap et de l’electro, qui sont encore plus pertinentes- voire visionnaires- aujourd’hui qu’à l’époque. Une blague toutes les 15 secondes, une vision à la fois décalée et juste du milieu de la musique, et surtout des références qui touchent dans le mille.
Le film parfait pour vous remonter le moral ?
Vitalic : Big Fish de Tim Burton. C’est un film sur le voyage et la recherche de soi, comme beaucoup de films de ma sélection. Il y a beaucoup de poésie dans cette fable qui nous propose de voir les choses du bon côté, de ne pas se laisser aller à la colère et de s’ouvrir au monde.
Une réplique qui vous inspire ?
Vitalic : Dans Le Parrain de Francis Ford Coppola : « Je vais lui faire une offre qu’il ne pourra pas refuser’ ». Culte.
Un acteur/une actrice qui ne vous déçoit jamais et vous inspire ?
Vitalic : Jake Gyllenhaal. C’est un acteur incroyable, avec une présence explosive à l’écran. Je l’ai vu pour la première fois dans Brokeback Mountain et je l’ai trouvé prenant. Il excelle dans tous ses films, quelque soit le genre.
AU RAYON LIVRES AVEC REBEKA WARRIOR
Votre livre de chevet ?
Rebeka Warrior : Le Shôbôgenzô du maître zen japonais Dôgen. Parce que c’est poétique et spirituel à la fois. C’est un monument de la littérature qui constitue l’un des sommets de la pensée japonaise et même de la pensée tout court.
C’est un livre qu’on peut étudier toute la vie, c’est pour ça que c’est sur mon livre de chevet. Le langage du Zen (une branche du Bouddhisme japonais- Ndlr) en général, et la stylistique du Shôbôgenzô en particulier, se caractérisent à la fois par l’extrême concrétude au niveau de la forme et par l’extrême abstraction au niveau du fond.
Le livre qui a le plus changé votre vision de la vie et vous a transformée ?
Rebeka Warrior : Autoportrait d’Édouard Levé. J’ai lu ce livre à sa sortie en 2005 et c’est à ce moment-la que j’ai compris que je devais faire de l’écriture mon métier. J’avais toujours écrit et suivie même des cours de poésie et littérature aux beaux arts, mais ce livre a débloqué quelque chose.
Je trouve son style absolument parfait. Une suite de phrases lapidaires à la suite les unes des autres et qui finissent par décrire parfaitement l’auteur. « J’essuie la table avant et après avoir mangé. Je ne me souviens pas avoir été puni par mes parents. J’ai appris seul à dactylographier. J’ai appris seul ce que je sais des ordinateurs. Je joue n’importe quoi au piano avec plaisir tant que personne n’écoute. Je ne dis pas ‘Quitte ou double’, ‘Chiche’ ou ‘Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras’. »
Le livre qui vous a fait le plus rire ?
Rebeka Warrior : La vie devant soi de Romain Gary. Romain Gary est un auteur que j’adore. Il me fait rire autant que pleurer. La vie devant soi, c’est vraiment les deux. Une histoire horrible mais racontée avec tant d’ironie et de tendresse. Déjà, ça se passe dans le quartier de Belleville, à Paris. C’est là où je vis et là où je mourrais. Et puis ça parle d’une pension sans famille pour les gosses qui sont nés de travers, d’un gamin arabe et d’une pute juive.
Gary a obtenu le prix Goncourt une deuxième fois (c’est une exception !) avec ce livre car il le publie sous le nom d’Emile Ajar. J’aime bien cette anecdote qui est aussi une belle feinte administrative.
Le livre que vous offrez le plus à vos proches ?
Rebeka Warrior : Tous les livres de Laura Vazquez. Au-delà d’être mon écrivaine contemporaine préférée, Laura Vazquez est aussi une personne et une poétesse étonnante. J’adore son style d’écriture direct et minimal et son audace. Elle a publié de nombreux recueils de poésie, des romans et des pièces de théâtre.
Il y a aussi un caractère mystique dans son écriture qui me touche particulièrement. J’aime aussi beaucoup quand elle lit ces ouvrages. Je suis très portée sur les livres audio et la poésie lue. Une citation d’elle : « Des bêtes vivent sur nos visages. Comme elles sont minuscules, on ne peut pas les voir. Chaque jour, sur nos visages, il se passe des drames, il se passe des guerres, des catastrophes. Les bêtes se tuent sur nos visages, elles se trahissent, elles se supplient. Des bêtes se réunissent en cercle autour du nez, elles exécutent une autre bête. On ne sait pas ce qui se passe. »
Le livre pour se la raconter ?
Rebeka Warrior : César de Alexandre Dumas. J’ai mis César car c’est un livre ultra-pénible. Ce n’est pas vraiment pour me la péter, mais il est vrai que je lis un max de trucs pénibles. Genre « Il était une fois nos ancêtres » ou « 24 heures dans l’Egypte ancienne » ou « Néron, vie et mort d’un empereur romain ».
Je ne sais pas si je retiens vraiment les faits historiques, les dates… Je ne pense même pas ! Je les lis car c’est chiant et soporifique. J’adore ça. Je me projette beaucoup aussi. C’est un voyage.
Le livre qui vous a donné envie de lire ?
Rebeka Warrior : Simone de Beauvoir, Mireille Havet et Anaïs Nin. Ce sont les femmes qui m’ont fait aimer la littérature. Et par le biais le plus intime : leurs journaux. Elles se racontent sur quasi toute une vie pour certaines et ça me touche et me bouleverse. J’ai l’impression de les avoir connues et je suis sûre de les avoir aimées.
Voici par exemple une citation de de Beauvoir que j’adore : « On a forgé de moi deux images. Je suis une folle, une demi-folle, une excentrique. On attendait une excentrique ; on a été déçu de trouver une femme habillée comme tout le monde. J’ai les mœurs les plus dissolues ; une communiste racontait, en 45, qu’à Rouen, dans ma jeunesse, on m’avait vue danser nue sur des tonneaux ; j’ai pratiqué tous les vices avec assiduité, ma vie est un carnaval… »
Le livre que tout le monde adore mais, vous, vous êtes passée à côté ?
Rebeka Warrior : La Bible. Franchement, j’adore les ouvrages religieux pénibles et obscurs, mais celui-là, je n’y arrive toujours pas. C’est un peu dur à dire mais je trouve qu’il y a trop d’approximations. Parfois, j’en viens à penser que ce sont des mensonges et puis, je me raisonne.
Le royaume d’Emmanuel Carrère va peut-être me permettre d’y revenir, il m’a vraiment aidée à éclaircir plusieurs points. Je ne pense pas qu’on puisse lire la Bible sans être préparé.e. C’est comme écouter du Bach quand on n’a jamais écouté de musique classique. Pour moi, ce ne sont pas des œuvres instinctives.
L’auteur dont il faut dévorer toute l’œuvre ?
Rebeka Warrior : Le penseur chinois Tchouang Tseu et son oeuvre, le Zhuangzi. C’est un ouvrage écrit en prose et d’une qualité littéraire redoutable. C’est l’ouvrage majeur du Taoïsme. C’est d’une beauté qui illumine directement. Une citation ? « L’homme parfait est sans moi, l’homme inspiré est sans œuvre, l’homme saint ne laisse pas de nom. »
Appréciez-vous beaucoup un genre ? Si oui, quels sont les 3 œuvres à conseiller à quelqu’un qui ne s’y connaît pas ?
Rebeka Warrior : Oui, j’adore les livres sur la philo et la religion. Je conseillerais les ouvrages suivants :
La pratique du zen de Taisen Deshimaru
Pensée pour moi-même de Marc Aurèle
Les entretiens de Kongzi
Ce sont des livres majeurs et totalement accessibles. Ils donnent des conseils de vie et aident à rendre sage, voire même heureux.