La révérence de l’irrévérence : Bertrand Blier en dix films

Si j’étais un espion

Fils d’un des plus célèbres acteurs de l’après-guerre, Bertrand Blier s’est destiné très jeune au septième art. À 21 ans, au début des années 1960, il est déjà sur les plateaux, comme assistant-réalisateur. Après un premier film comme réalisateur, le « documentaire » sur la jeunesse Hitler, connais pas, il réalise un long-métrage de fiction en 1967, Si j’étais un espion. Il y dirige naturellement son père, qui interprète le rôle d’un médecin se rendant compte qu’un de ses patients est pourchassé par des agents secrets. Plutôt qu’un film d’espionnage, ce long-métrage se veut réaliste et interroge, d’un point de vue moral, notre rapport à la liberté… S’il est un échec commercial, il préfigure l’un des sujets de prédilection du cinéma de son auteur.

Les Valseuses

Le film par qui le scandale Blier arrive. En cherchant à faire de deux marginaux (incarnés par Patrick Dewaere et Gérard Depardieu) les héros d’un récit picaresque contemporain, le cinéaste frappait un grand coup. Outre son casting générationnel, complété par des seconds rôles féminins inoubliables (Miou-Miou, bien sûr, mais aussi Jeanne Moreau, Brigitte Fossey et Isabelle Huppert), Les Valseuses vaut surtout pour son irrévérence. La libération sexuelle, alors en pleine expansion en Occident, est au cœur de ce portrait de deux petites frappes que l’art de Blier rend touchantes, voire poétiques. Succès clivant en salle, ce témoignage sociologique sur les années 1970 reste emblématique de la singularité de son auteur.

Calmos

Toujours plus loin, plus cynique, plus fou : Bertrand Blier enchaîne, après Les Valseuses, sur un mode anticonformiste. Dans Calmos, il s’en prend au féminisme, et de la manière la plus radicale qui soit, mettant en scène une guerre des sexes déclenchée par deux quadras déprimés (Jean-Pierre Marielle et Jean Rochefort). Si Blier lui-même a reconnu avoir trop insisté sur la misogynie des protagonistes aux dépens de ce qu’il pensait être le thème du film (la lâcheté masculine), cette œuvre provocante à souhait tient encore la route grâce à des dialogues savoureux et des personnages truculents, véritables marques de fabrique de cet iconoclaste du cinéma français.

Beau-Père

Les tabous ne font pas peur à Bertrand Blier, et Beau-Père incarne cette témérité. Tout l’art du réalisateur consiste à ne pas juger ses personnages à l’aune de la morale, mais bien à étudier les comportements humains. Narrant l’existence un peu pathétique d’un musicien, qui accueille chez lui la fille adolescente de son ex-compagne, le récit n’a rien d’un démarquage de Lolita : Dewaere, en beau-père cherchant à résister à la tentation et en multipliant les actes immatures, incarne parfaitement le sujet du film, à savoir le passage à l’âge adulte, qu’il soit précoce ou (trop) tardif.

La Femme de mon pote

Avec la complicité de Gérard Brach (scénariste pour Marco Ferreri et Jean-Jacques Annaud), Bertrand Blier monte, avec La Femme de mon pote, un dilemme moral comme il les aime. Deux amis (Coluche, Thierry Lhermitte) sont confrontés à la même femme (Isabelle Huppert), qui passe d’une paire de bras à une autre, et c’est tout un monde qui s’écroule. Vaudeville tourné à la neige, ce film raconte les turpitudes de l’amitié et de l’amour, et confirme le goût de Blier pour les triangles sentimentaux, constante de son œuvre.

Notre histoire

Le cinéma est-il un art vraiment sérieux ? Avec Notre histoire, ou la rencontre, dans un train, entre un garagiste alcoolique (Alain Delon) et une jeune femme divorcée (Nathalie Baye), Bertrand Blier s’attaque à la vraisemblance du septième art. Sorte de roman à l’eau de rose revisité par Bertolt Brecht, ce mélodrame surréaliste s’auto-sabote de séquence en séquence, même si son tandem central réussit à nous faire adhérer à cette proposition cinématographique sans précédent. Pour la petite histoire, Alain Delon reçut pour ce film son unique César du meilleur acteur.

Buffet froid

Avec ses décors architecturaux superbement exploités (notamment le quartier de la Défense), son aréopage d’acteurs charismatiques (Depardieu, Jean Carmet, Bernard Blier) et son scénario surréaliste, Buffet froid pousse à son maximum la virtuosité du cinéaste disparu. Équivalent cinématographique de Magritte et de Ionesco, ce faux polar post-moderne a gardé intact son potentiel de sidération, que ce soit par ses images ou ses dialogues profondément absurdes.

Tenue de soirée

Politiquement incorrect est un euphémisme pour désigner l’idéologie à l’œuvre dans Tenue de soirée. Narrant la rencontre entre un couple paumé (Miou-Miou, Michel Blanc) et un cambrioleur fantasque et homosexuel (Gérard Depardieu). Ce récit « en triangle » abonde en morceaux de bravoure, les trois acteurs s’en donnant à cœur joie. Comédie de mœurs autant que drame sociologique, ce « putain de film », grossier mais jamais vulgaire, réussit à évoquer un thème alors tabou sans aucune condescendance.

Trop belle pour toi

Récompensé d’un Grand Prix au Festival de Cannes 1989 et de cinq César, Trop belle pour toi est l’aboutissement de la « logique » Blier, ici rendue accessible à tous les publics. Le cinéaste y conte l’infidélité d’un concessionnaire automobile (Gérard Depardieu), marié à une sylphide (Carole Bouquet) et pourtant tombé fou amoureux d’une femme « ordinaire » (Josiane Balasko). Renversant tous les codes du mélo, Blier s’amuse des situations classiques pour offrir l’un de ses films les plus délicats sur la question sentimentale.

Le Bruit des glaçons

Racontant la décrépitude à petit feu d’un auteur alcoolique (Jean Dujardin) rongé par un cancer soudainement personnifié (Albert Dupontel), Le Bruit des glaçons condense les thèmes fétiches du réalisateur – l’angoisse, la solitude, la boisson, l’amour perdu, la dépression, la mort – en un seul film. Avec une nouvelle génération d’acteurs au diapason, le regretté cinéaste retrouvait, en 2011, la fraîcheur et la verve de son cinéma des années 1970-1980, et prouvait que le poids des années ne l’avait jamais ringardisé.