De la violence, des personnages torturés, des corps et des âmes brutalement malmenés, des effusions de sang et de sentiments complexes, des scénarios réalistes et exigeants… Sombre est l’univers du seinen, manga destiné aux jeunes (et moins jeunes) adultes. Un univers aussi vaste que multiple. En voici, en toute subjectivité, quelques-uns de ses meilleurs représentants.
Akira, Katsuhiro Ôtomo (1990)
Premier morceau choisi : le cultissime Akira, chef d’œuvre post-apo signé Katsuhiro Ôtomo. LE choc qui, au début des années 1990, révèlera le manga en France. 37 ans après le cataclysme de la Troisième Guerre mondiale, Néo-Tokyo n’est qu’une mégalopole ravagée et corrompue, terrain vague et de jeu pour des jeunes livrés à eux-mêmes. Parmi eux, la bande de motards de Kaneda et Tetsuo. Une nuit, filant à vive allure sur leurs montures, ils font la rencontre d’un enfant au visage de vieillard et aux étranges pouvoirs. Sans le savoir, ils viennent de réveiller Akira… Une œuvre à l’ampleur inégalée, bouleversante métaphore du Japon de l’après Seconde Guerre mondiale, celle d’un pays en reconstruction à l’avenir incertain…
Gunnm, Yukito Kishiro (1995)
Autre œuvre fondatrice du manga en France et masterpiece cyberpunk – à laquelle on peut associer le vertigineux Ghost in the Shell de Shirow Masamune –, Gunnm de Yukito Kishiro : l’histoire de Gally, humanoïde amnésique retrouvée « hors-service » à Kuzutetsu, ville-décharge où la lie de l’humanité survit dans la violence, vaste océan d’ordures déversées par les nanties de la cité suspendue de Zalem. Daisuke Ido, docteur en bio-mécanique, offre à la belle cyborg une nouvelle enveloppe corporelle, permettant à Gally de revenir à la vie… et de révéler sa vraie nature. Manga éminemment politique brassant, en vrac, des thèmes aussi complexes que la quête identitaire, le transhumanisme et les nanotechnologies, Gunnm est un incontournable.
Berserk, Kentaro Miura (1996)
Dans Berserk, Kentaro Miura nous invite gentiment à suivre le destin ultra-violent de Guts, guerrier au lourd passé et à l’épée démesurée. Mercenaire maudit et solitaire, il arpente le monde animé par son seul désir de vengeance et de liberté. Aventure, horreur, tragédie et combats infernaux : Berserk est un seinen pur et dur à l’univers dark fantasy plutôt inédit. Religion, infanticide, inceste, viol et autres massacres en tout genre : Kentaro Miura a décidé de ne rien nous épargner, allant même jusqu’à rendre l’horreur magnifique par son dessin d’une rare beauté et d’une précision totalement dingue. Le tout doublé d’une réflexion là encore sans concession quant à la nature humaine. Et si, à tout hasard, la violence inouïe de Berserk vous laisse de marbre, jetez donc un œil du côté de Gantz de Hiroya Oku…
Monster, Naoki Urasawa (2001)
Sachez-le, Naoki Urasawa fait partie des plus grands. À son actif, des seinen tels que Pluto et 20th Century Boys. Avec Monster, Urasawa nous conte la descente aux enfers de Kenzo Tenam, chirurgien brillant de Düsseldorf à l’avenir doré et tout tracé. Mais une nuit, alors qu’on lui enjoint de sauver le maire de la ville, il préfère prendre en charge deux enfants dont les parents ont été retrouvés assassinés. Un choix qui lui fera tout perdre. Et alors que Kenzo sombre dans la solitude et l’alcool, les enfants qu’il a sauvés semblent semer la mort autour d’eux… Un seinen remarquable de par la qualité d’écriture, l’épaisseur des personnages et sa construction dramatique délicieusement intenable !
Vagabond, Takehiko Inoue (2001)
Adaptation manga de l’immense classique du récit initiatique Musashi d’Eiji Yoshikawa, Vagabond de Takehiko Inoue raconte le destin de Miyamoto Musashi, de son vrai nom Shinmen Takezo, rônin errant sur les routes à la rechercher des meilleures fines lames du pays. Son but, devenir le plus grand samouraï de l’archipel. Avec son scénario et ses personnages à la psychologie complexe, son dessin soigné, Vagabond est une formidable épopée au cœur du Japon féodal des maîtres guerriers, un passionnant roman d’apprentissage, entre combats et conquêtes, quête d’amour et de sagesse…
Quartier lointain, Jiro Taniguchi (2006)
Un peu de douceur dans ce monde de brutes. En 2006, les deux tomes du Quartier lointain du très regretté Jiro Taniguchi (Le Sommet des dieux, L’Homme qui marche…) se voyaient réunis pour constituer un bouleversant one-shot. Le récit tout en poésie d’un homme littéralement projeté dans son enfance, ce jour où, sans l’avoir compris, il vit son père partir. Un retour en arrière inespéré : l’occasion pour l’enfant qu’il était, son expérience d’adulte en plus, de (mieux) comprendre ses parents et leur histoire. Un chef-d’œuvre de l’intime à l’émotion saisissante. Aussi rare que précieux.
Hideout, Masasumi Kakizaki (2011)
Parce que l’univers du seinen regorge de one-shots cultes, en voici un autre. Avec Hideout, retour à l’horreur pure et dure. Vous serez saisi dès les premières pages, sans possibilité de vous échapper : sous une pluie torrentielle, dans l’ombre d’une épaisse forêt, Seiichi Kirishima court après sa femme, bien décidé… à la tuer. Une traque qui les mènera jusqu’à une grotte… le début d’une terrible et inexorable descente aux enfers, au plus profond des abîmes, où le mal n’est pas forcément là où on le croit. Avec Hideout, Masasumi Kakizaki signe un huis clos angoissant et une plongée oppressante dans les tréfonds les plus sombres de la nature humaine. À lire sans respirer.
L’Attaque des Titans, Hajime Isayama (2013)
Une Terre aux mains de Titans carnassiers de 50 mètres de haut venus de je-ne-sais-où, le reliquat d’une humanité aux abois vivant recroquevillée derrière les hauts-murs d’une cité fortifiée au risque de se faire sauvagement croquer dans le monde extérieur. Mais lorsque, profitant d’une brèche, un Titan surgit dans l’enceinte de la ville, le début de la fin semble inéluctable… Shonen au Japon, L’Attaque des Titans est devenu un seinen en France. Une question de point de vue ou de tolérance à la violence. Une chose est sûre, elle est indiscutable et omniprésente ! Violence graphique que figurent les coups de crayons torturés d’Hajime Isayama mais aussi thématique à travers cette vision dystopique de notre insignifiante et fragile existence sur Terre. Violent, donc, et brillant !
One Punch Man, ONE & Yûsuke Murata (2016)
Là encore, shonen au Japon mais seinen chez nous… One Punch Man, c’est d’abord ce mystérieux, ONE, mangaka autodidacte à la véritable identité inconnue mais au talent incontestable. Associé à l’illustrateur Yûsuke Murata, ces deux-là ont donné naissance à l’un des mangas les plus réjouissants. L’histoire de Saitama, jeune homme désœuvré et sans avenir. Lassé de ronger son frein, il décide de se prendre en main et de devenir… super-héros ! Mais à trop s’entraîner, Saitama devient tout simplement trop fort pour ses adversaires. Et voilà que, désespéré, il sent l’ennui le guetter à nouveau… Une quête existentielle drôlement intelligent à travers laquelle ONE s’amuse, et nous avec, à casser les codes.
Fire Punch, Tatsuki Fujimoto (2017)
Tatsuki Fujimoto est décidément de toutes nos sélections. Déjà cité dans notre Top 10 des meilleurs shonen pour son Chainsaw Man à la limite du seinen, le mangaka continue de jouer avec le feu avec son percutant Fire Punch, shonen up de chez up, dont la sauvagerie nous amène plutôt à le classer ici en seinen. Sur une Terre post-apocalyptique aux vastes paysages enneigés, ravagés par la famine et le chaos, Agni et sa sœur Luna s’efforcent de sauver leur village de la famine grâce à leur pouvoir de régénération. Jusqu’au jour où Agni ne peut préserver les siens de la mort, massacrés par les flammes. Après avoir mûri sa souffrance huit ans durant, Agni se lance alors dans une sinistre et impitoyable quête de vengeance.
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