L’histoire de la pop regorge d’albums qui n’ont pas eu à passer par un studio d’enregistrement professionnel pour exister et connaître un franc succès. En voici dix, et en bonus, un petit focus sur la bedroom pop, le courant hype de la musique homemade !
Odelay de Beck
Passant de la pop au folk en un claquement de doigts, Beck débute la composition d’Odelay en 1994, avec trois chansons acoustiques faites à la maison. Il déménage ensuite chez ses producteurs, les Dust Brothers, qui l’installent dans une petite chambre, où va naître la majorité de l’album. Pour l’anecdote, l’usage de samples sur l’un des plus célèbres opus du songwriter américain vient d’une contrainte technique : la version de Pro Tools (logiciel d’enregistrement encore balbutiant à l’époque) était si lente que Beck a écouté des quantités de disques pendant le temps de chargement !
Blood Sugar Sex Magic, des Red Hot Chili Peppers
Aller en studio fait parfois peur aux musiciens, qui ont l’impression de mettre en boîte leurs titres dans un espace froid et impersonnel. Rick Rubin a remédié au problème en installant tout le nécessaire directement dans un manoir, The Mansion. C’est là qu’il fit venir les Red Hot Chili Peppers en 1989, pour l’enregistrement de Blood Sugar Sex Magic, le chef-d’œuvre de la fusion rock/funk/rap, dont sont extraits Give it Away et Under the Bridge, notamment. Par la suite, le lieu devint un espace reconnu de la musique, mais aussi un endroit flippant : Slipknot et The Mars Volta ont rapporté avoir vécu des expériences paranormales dans cette maison… peut-être hantée !
The Basement Tapes, de Bob Dylan & The Band
La fermeture actuelle des salles de concerts n’est pas le seul motif au retour à la maison des musiciens. En 1966, Bob Dylan effectue sa convalescence dans la petite ville de Woodstock, après un méchant accident de moto. Il rend visite aux musiciens de The Band dans leur résidence à la campagne. C’est là que sont mis en boîte quelques titres qui paraîtront neuf ans plus tard sous le nom de The Basement Tapes. Sans doute le meilleur disque des seventies pour Dylan, et aussi la preuve qu’un peu de verdure fait parfois du bien à la créativité !
Toboggan, de Jean-Louis Murat
On sait Jean-Louis Murat éloigné du stress et du show-biz parisiens. Depuis son fief (l’Auvergne), il livre régulièrement des disques roots, qui font penser à Springsteen parfois (qui lui a enregistré Nebraska à la maison). Toboggan, par exemple, en 2013, l’un de ses derniers doubles albums, explore les tréfonds de l’âme à coup de murder ballads captées en maison-studio. Dépaysement garanti !
Lorada, de Johnny Hallyday
710 mètres carrés, une piscine, un style d’hacienda et une situation impeccable à Ramatuelle… Lorada, la maison que fit construire Johnny Hallyday dans la région de Saint-Tropez, a tout du domaine de rêve. L’artiste éternel y enregistra aussi une partie de l’album du même nom dans les années 1990. Un disque personnel, Lorada étant la contraction de Laura et David, le prénom des deux premiers enfants du rockeur !
Carrie & Lowell, de Sufjan Stevens
Voulant évoquer la perte de sa mère, Sufjan Stevens s’embarque pendant des mois dans l’écriture de ce qui deviendra Carrie & Lowell, chef-d’œuvre des années 2010 ! Certaines des prises du disque sont vraiment brutes : l’auteur-compositeur américain les a directement enregistrées sur son iPhone depuis une chambre d’hôtel où il a longtemps séjourné pendant la genèse de cet album superbe.
McCartney, de Paul McCartney
Magiciens des studios, les Beatles ont squatté pendant dix ans une partie d’Abbey Road pour créer leurs chansons. Une pratique que Paul McCartney a voulu abandonner lors de la séparation du groupe. Son premier album solo, il l’a réalisé entièrement seul, jouant de tous les instruments et s’occupant de l’enregistrement. Et inventé par là même l’esthétique lo-fi (ou « low fidelity » en opposition à la hi-fi) qui a fait florès depuis.
Exile on Main St., de The Rolling Stones
Auréolés d’un succès planétaire, les Rolling Stones se retrouvent complètement sur la paille à la suite de pressions fiscales et d’un manager en délicatesse avec l’honnêteté à la fin des années 1960. Ils choisissent donc la France pour échapper au fisc anglais, et, ne trouvant pas de studio, louent une maison dans le Sud pour réaliser Exile on Main Street. Un album où les bruits de fête et de verres qui s’entrechoquent sont tous authentiques. Et qui reste l’un des chefs-d’œuvre du rock fédérateur enregistré en milieu confiné.
Ok Computer, de Radiohead
Nul n’aurait parié qu’un disque aussi spatial aurait pu être enregistré dans pareil cadre. Et pourtant Ok Computer, l’opus qui a transformé Radiohead et probablement l’histoire de la pop, est le fruit d’un voyage volontaire des membres du groupe dans un manoir de Bath, où ils étaient coupés du monde. Avec un agenda entièrement dévolu à la musique, les Radiohead et leur producteur Nigel Rodrich ont profité de cette oasis pour faire le pont entre britpop, rock progressif et électro planante.
Wasting Light, des Foo Fighters
Le retour aux sources peut parfois être synonyme de grand succès. C’est en tout cas ce qu’on constate à l’écoute de Wasting Light, le septième disque des Foo Fighters, leur premier à avoir atteint la première place des charts américains. Le leader du groupe Dave Grohl a souhaité l’enregistrer dans son garage, en Californie, et a recruté le producteur Butch Vig, déjà à l’œuvre sur Nevermind de Nirvana, dont Grohl était le batteur. L’essence de la formation yankee et son énergie brute de décoffrage ont ainsi trouvé un écrin parfait sans avoir à pousser les murs.
Bedroom Pop : une tendance nette !
Cuco, Temporex, beabadoobee, Banes World, Clairo… Sans oublier The Big Thief ou Soccer Mommy… Depuis quatre à cinq ans, toute une partie de la pop indépendante semble née pour travailler dans sa chambre à coucher, envoyant des morceaux intimistes et catchy sur Internet à des milliers de fans autour du monde. Cette « Bedroom Pop », faite dans de petits espaces, recèle de trésors insoupçonnés. Dans une période où l’on n’a pas envie de ranger sa chambre, leur musique est vitale !