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La trilogie berlinoise : Bernie, un privé qui vous veut du bien !

04 novembre 2020
Par Gauthier
La trilogie berlinoise : Bernie, un privé qui vous veut du bien !
©DC

Bernie Gunther est un privé, un des meilleurs, si ce n’est le meilleur, de Berlin. Mais il a un petit soucis, c’est qu’il est allérgique aux nazis. Et sous le IIIe Reich, autant dire qu’il fait crise sur crise, surtout lorsque certaines pointures du régime font appel à ses services. Bon an mal an, notre enquêteur va prouver qu’il fait mieux que les policiers appartenant au parti, que sa justice ne tient pas compte des couleurs politiques et qu’il est un véritable poil à gratter pour le régime !

« A ce moment, le maître d’hôtel fit une apparition feutrée, glissant dans la pièce comme une roue en caoutchouc sur un parquet ciré. Exhalant une odeur de transpiration mêlée à une autre odeur épicée, il servit le café, le verre d’eau et le cognac de son patron avec le visage dépourvu d’expression d’un homme qui a décidé de ne plus entendre. Tout en buvant mon café, je me dis que, si j’avais affirmé que ma grand-mère nonagénaire s’était enfuie avec le Führer, il aurait continué à nous servir sans un froncement de sourcils. »

Bernhard Gunther est un inspecteur berlinois. Plus exactement, un enquêteur privé, comme il aime à le rappeler, puisqu’il a été viré de la Kripo (Kriminalpolizei, la police criminelle allemande) en 1934, car attaché à la République de Weimar, il ne voulait pas être encarté au parti national-socialiste. Très indépendant, il a un caractère bien trempé et la langue plutôt bien pendue, ce qui n’est pas toujours un trait apprécié des serviteurs d’un IIIe Reich goûtant peu son humour cynique. Toutefois, s’il exècre les nazis, il ne cherche pas forcément non plus la confrontation avec eux, sa priorité étant de pouvoir subvenir à ses besoins sans (trop) trahir ses idéaux. Ce qui le place dans des situations parfois très inconfortables, car il est reconnu comme un des meilleurs enquêteurs de Berlin, et certains hauts responsables du régime, notamment Heydrich, se servent de lui pour mener diverses enquêtes. Tout au long des différents livres le mettant en scène, le personnage évolue tout comme évoluent les évènements. On voit nettement le traumatisme qu’à été pour lui son service sur le front de l’Est par exemple.

La force des romans de Philip Kerr mettant en scène Bernhard Gunther, c’est d’allier rigueur historique, enquête policière avec de nombreux rebondissements et un héros véritablement truculent. L’auteur, écossais de nationalité, fournit un cadre très documenté dans son œuvre, sur la société allemande de l’époque, les différents évènements historiques, telles les pénuries, mais aussi les nombreuses personnalités plus ou moins connues qu’il fait intervenir, leur donnant un relief qui dépasse l’image qu’elles ont laissé par leurs actes. Pour le côté enquête, on a une ambiance très proche des maîtres du roman noir américain, Raymond Chandler et Dashiell Hammett, avec une écriture très visuelle, dans un monde violent, compliqué, corrompu, où il faut se battre pour survivre. Enfin, le personnage de Bernie, cet ex-flic qui a sa propre vision de la justice, sa propre échelle de valeur, capable du cynisme le plus noir comme de se laisser aveugler par ses sentiments, est d’un charisme inouï. Difficile de ne pas se laisser emporter par cet homme dans la force de l’âge (il a 38 ans en 1936), qui a combattu lors de la Grande Guerre, rendu veuf par la grippe espagnole, passé d’un statut de héros de la police berlinoise à paria politique, mais qui cherche quoiqu’il arrive à démêler le faux du vrai, à suivre ses valeurs, et si par la même occasion, il peut en profiter pour contrarier les nazis, les communistes ou les américains, il ne s’en privera pas !

Le premier roman, La trilogie berlinoise, est en fait le recueil des trois premières enquêtes de Bernie Gunther publiées pour la première fois en 1989 (L’été de cristal), en 1990 (La pâle figure) et 1991 (Un requiem allemand) par Philip Kerr, qui se déroule dans la période trouble de l’Allemagne avant et après la seconde guerre mondiale.

L’été de cristal se passe en 1936, en pleine préparation des Jeux Olympiques. Bernie se voit confier une enquête sur la mort de la fille d’un riche industriel, et du mari de celle-ci dans un incendie, ainsi que de la disparition d’un collier de grande valeur leur appartenant. Une enquête dont va se mêler la Gestapo, au grand dam de l’inspecteur.

La pâle figure se déroule en 1938. Bruno Stahlecker, coéquipier de Gunther, est assassiné lors d’une enquête sur une histoire de chantage. Bernie, quant à lui, est rattaché temporairement à la Kripo en temps que commissaire par Heydrich pour attraper un tueur de jeunes aryennes qui nargue les forces de l’ordre. Une nomination qui est loin de faire son bonheur, ni celui de ses nouveaux collaborateurs et supérieurs, qu’ils soient des nazis convaincus ou seulement opportunistes.

Enfin, Un requiem allemand nous entraine à Vienne, en 1947. Emil Becker, ancien collègue de notre héros pendant la guerre, emprisonné par les alliés, appelle Bernie à la rescousse pour l’innocenter du meurtre d’un officier américain. Dans une après-guerre chaotique, où pointent les frictions entre les deux grands vainqueurs, c’est un privé hanté par son service sur le front de l’Est qui va plonger dans des intrigues des plus fangeuses sur fond de monnayage d’informations.

Si la trilogie berlinoise de Philip Kerr devait être les seuls aventures de Bernie Gunther, l’auteur n’a su résister à l’appel de remettre en selle son délicieux héros quinze ans plus tard, avec Mort entre autre (en 2006), qui se déroule en 1949. Suivent alors de nouveaux tomes à la série à intervalles réguliers. Une douce flamme (2008) voit Gunther fuir en Argentine en 1950. L’Hôtel Adlon (2012) est un préquel nous ramenant en 1934, lorsque Bernie vient d’être viré de la Kripo. Vert-de-gris (2010) nous montre un héros fatigué, être l’enjeu entre américains et soviétiques. Dans Prague Fatale (2011), Bernie retrouve Heinrich en 1942 à Prague pour enquêter sur un huis-clos. Si le rythme change d’une enquête à l’autre, la qualité est toujours au rendez-vous, jamais je ne me lasse et c’est avec impatience que j’attends le Bernie Gunther nouveau pour une nouvelle dégustation !

Article rédigé par
Gauthier
Gauthier
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