Si, à l’aube de la diffusion de sa huitième saison, la série Game of Thrones déchaîne toujours les passions, on ne peut pas dire que les jeux qui en revendiquent l’héritage aient positivement fait parler d’eux. Entre dédain et indifférence, les fans ne voient d’ailleurs pas toujours d’un très bon œil la venue de ces titres assurément opportunistes et rarement glorieux sur le plan ludique. À l’occasion de la sortie de Winter is Coming sur navigateurs web, la question suivante nous a donc paru légitime : existe-t-il une adaptation vidéoludique digne de ce nom ?
En se positionnant sur le créneau de la gratuité et de l’accessibilité avec une sortie calée sur le lancement de la huitième saison de la série, le free-to-play sur navigateur Game of Thrones: Winter is Coming ne cache pas sa volonté de rallier à lui un public de fans. Il ne s’agit pas tant d’inciter les gamers à venir se plonger dans l’univers de l’œuvre de George R. R. Martin que de convaincre les non joueurs de franchir le pas sur un support qu’ils possèdent tous. Moyennant la création d’un compte GTArcade, n’importe qui peut ainsi pousser les portes de cette simulation de royaumes imaginée par le développeur chinois Yoozoo Games.
Quand l’hiver déboule au printemps
Game of Thrones: Winter is Coming nous glisse dans la peau d’un seigneur ou d’une dame de Westeros résolu à s’emparer du Trône de Fer juste après le décès d’Eddard Stark. Puissance et influence sont nos atouts principaux face aux ambitions des autres joueurs que l’on peut défier ou choisir de rejoindre dans l’espoir de s’imposer comme l’un des dirigeants des Sept Couronnes.
Si le jeu a bénéficié d’un lancement mondial le 26 mars 2019, il est encore trop tôt pour évaluer dans quelle mesure le public a suivi, sa proposition se rapprochant très largement de la pléthore de softs de gestion déjà vus sur PC ou smartphones. Entre conquête et développement de royaume, Game of Thrones: Winter is Coming fait certes ce qu’il peut pour diversifier autant que possible ses activités en restant au plus près de la franchise, mais il peine à se détacher de ses modèles. Sommaire et colorée, sa map en 3D parfois surchargée ne nous laisse, durant les premières heures de jeu, que très peu de marge de manœuvre, les quêtes se résumant à de simples « to-do-lists » que l’on complète machinalement à mesure que notre domaine se consolide.
Automatisée et limitée à sa plus simple expression, la stratégie militaire repose essentiellement sur le bon équilibre des unités guerrières ainsi que sur l’activation opportune des capacités des commandants directement issus de la série. Robb Stark, Jon Snow et des dizaines d’autres figures iconiques de Game of Thrones viendront ainsi consolider nos rangs, à condition d’être patients ou d’investir lâchement dans les micro-paiements pour réduire la durée des entraînements et autres productions de ressources.
Si la carte des environnements extérieurs du royaume offre une plus grande liberté d’exploration sur le papier, les quêtes qui y sont associées ne réservent que peu de surprise sur la réussite ou l’échec des expéditions. Défis et sièges de châteaux constitueront tout de même autant d’événements complémentaires à expérimenter pour voir son royaume figurer dans le classement mondial avec les récompenses appropriées à la clé. Le sentiment de passivité reste néanmoins prédominant à mesure que les chapitres défilent et on reste très loin de la grandeur foisonnante de l’intrigue originale.
Une genèse française
En septembre 2011 déjà, le studio français Cyanide avait lui-même opté pour une formule orientée gestion dans le cadre du jeu PC intitulé A Game of Thrones: Genesis et édité par Focus. Il faut dire que l’œuvre romanesque de George R. R. Martin est à ce point tournée vers les manigances du pouvoir qu’il semble tout à fait légitime de mettre en avant ses intrigues politiques dans un jeu de stratégie en temps réel ambitieux.
En dépit de moyens de production limités et de réels soucis de lisibilité, le titre voyait les choses en grand en revisitant les règles du STR pour les appliquer au canevas complexe du Trône de Fer. Les machinations des grandes maisons se traduisaient par des possibilités inédites reposant sur des trahisons, des assassinats ou des subtilisations d’alliances parfois délicates à maîtriser dans le cadre d’un simple jeu. L’utilisateur y était invité à corrompre des émissaires, à provoquer des soulèvements dans les villes tout en concluant des pactes et des accords secrets avec les autres maisons, quitte bien souvent à se salir les mains.
Sans doute trop ambitieux sur le papier, A Game of Thrones: Genesis poussait le détail très loin en allant jusqu’à prendre en compte la naissance de bâtards que l’on pouvait choisir de reconnaître ou non afin d’asseoir notre prestige. Le joueur devait constamment veiller à préserver un certain équilibre diplomatique pour ne pas compromettre une paix toujours extrêmement précaire. Si le titre ne dénaturait pas l’esprit de l’œuvre originale, le choix d’adapter seulement la genèse de l’histoire de Westeros – à savoir les mille ans ayant précédé le véritable début de l’intrigue des romans – condamnait tout de même son scénario à n’interpeller que les plus fins connaisseurs de la saga. Surtout, le titre perdait en efficacité ludique ce qu’il s’évertuait à défricher sur le plan des possibilités tactiques, et ce malgré l’intégration logique d’un versant multijoueur.
Le jeu de rôle, une idée viable ?
Mais pour Cyanide, la tentation était déjà grande d’explorer aussi la richesse narrative de la saga au travers d’un véritable jeu de rôle. Un projet qui se concrétise dès 2012 avec la sortie de Game of Thrones: The Role Playing Game (ou Game of Thrones : Le Trône de Fer en VF) sur PC, PS3 et Xbox 360. Fans de l’œuvre de Martin bien avant l’engouement généré par la série de HBO, les développeurs de Cyanide choisissent pourtant de livrer un point de vue neuf sur Westeros plutôt que de mettre en images le contenu des romans. L’histoire se déroule ainsi parallèlement à la trame originale, s’accordant le droit de faire intervenir plusieurs figures incontournables de la saga. Réalisé avec le soutien de l’auteur, le RPG Game of Thrones fait graviter son scénario autour de deux protagonistes inédits : Mors Westford, un frère de la Garde de Nuit, et le prêtre rouge Alester Sarwyck.
Son découpage en une quinzaine de missions se plaît ainsi à alterner les points de vue respectifs des deux héros avant que leurs chemins ne se croisent. Le joueur est lui régulièrement amené à jongler entre ses alliés pour progresser, et même à prendre le contrôle d’un chien pour pister certaines cibles en mode furtif. En semi temps réel, les affrontements mettent à contribution la pause active pour nous inciter à user intelligemment des compétences propres à chaque personnage, mais le tout s’avère rapidement poussif et répétitif. Du choix de la classe de départ dépendent tout de même notre arbre de talents et l’équipement utilisable, le côté roleplay ressortant de manière beaucoup plus travaillé que les autres aspects du jeu. À l’instar de Genesis, le caractère archaïque de cette adaptation – sur le fond comme sur la forme – risque fort de rebuter ceux qui souhaiteraient se lancer aujourd’hui dans sa découverte, mais le titre n’en reste pas moins le seul à avoir osé relever le défi de transposer la saga dans une logique de RPG.
Tentatives avortées et outsiders
Annoncé début 2012 par Bigpoint pour une sortie prévue l’année suivante, le MMO Game of Thrones: Seven Kingdom a refait surface en 2016 pour finalement ne plus donner signe de vie. Forcément alléchant sur le papier, ce free-to-play jouable sur navigateur devait tenter de recréer les paysages de Westeros à l’aide du moteur Unity via une perspective à la troisième personne. Mais l’idée de voir les routines du MMORPG s’appliquer à l’univers de Game of Thrones ne semble aujourd’hui pas sur le point de se concrétiser.
Le 3 janvier 2019, l’équipe de Disruptor Beam en charge du jeu social Game of Thrones: Ascent depuis 2013 procède à l’arrêt définitif d’une aventure qui aura tout de même perduré six ans. Jouable via un compte Facebook (puis sur navigateur) et produit sous l’impulsion de HBO, le titre explorait déjà à la fois le côté clair et le côté obscur du jeu de gestion à base de micro-transactions en y incorporant des choix pouvant faire basculer les conversations et influer sur l’évolution du royaume. Il accusait toutefois des lourdeurs décourageantes dans son déroulement et de nombreuses déconvenues techniques en dépit d’un suivi hebdomadaire. Basculant un peu trop ouvertement dans les affres du « pay-to-win », Game of Thrones: Ascent aura globalement déçu les joueurs suite à son lancement pour le moins chaotique. Il n’aura pas non plus résisté à l’arrivée de nouveaux concurrents sur smartphones, et notamment d’un certain Game of Thrones: Conquest.
Développé en 2017 sur iOS et Android, le free-to-play de Turbine n’innove aucunement mais mise sur une accessibilité à toute épreuve et un rythme moins soporifique que celui de Genesis ou Ascent. En plus de faire miroiter la perspective d’élever son propre dragon, Game of Thrones: Conquest nous invite à nous lancer à l’assaut des sièges du pouvoir dans la peau d’un seigneur de Westeros. La formule est déjà vue, mais elle manie suffisamment bien le fan-service pour capter l’attention des amateurs de la série. Le système d’allégeance et le rôle des dragons sont là pour pimenter la donne tandis que les acteurs du show de HBO se glissent à nouveau dans leurs rôles respectifs pour nous prodiguer leurs précieux conseils. Hélas, le titre ne manque pas la moindre occasion de nous rappeler au bon souvenir des achats intégrés, le temps passé sur le jeu pour accroître ses ressources étant encore une fois la clé pour triompher, au détriment de la dimension stratégique.
Plus original, bien qu’étonnamment minimaliste, le jeu Reigns: Game of Thrones de Nerial s’incruste sur PC et smartphones fin 2018 et sort des sentiers battus en autorisant pour la première fois le joueur à monter sur le trône de fer dans la peau de l’une des figures marquantes de la série. Générant une infinité de scénarios se combinant aléatoirement à l’aide de cartes très stylisées, le titre fonctionne à partir de choix binaires dont les conséquences peuvent à tout moment provoquer la fin prématurée de l’aventure. Le concept, qui trouve son origine dans le jeu Reigns de 2016, a été suffisamment plébiscité par les joueurs pour être transposé tel quel dans l’univers de Game of Thrones, avec en prime les musiques de la série composées par Ramin Djawadi.
En balayant chaque carte vers la droite ou vers la gauche, notre personnage résout les problèmes du royaume de manière plus ou moins radicale, ce qui engendre d’autres situations avec le risque permanent de connaître une fin funeste. Heureusement, la rapidité des parties incite à recommencer plusieurs fois pour expérimenter de nouveaux choix, le but étant de tenir le plus longtemps possible en prenant les bonnes décisions pour valider un maximum d’objectifs secondaires. À terme, neuf protagonistes deviennent accessibles à condition de retourner chaque situation dans tous les sens pour percer les secrets du jeu. Si la dimension aléatoire des scénarios et le manque de clarté des objectifs font que l’on tâtonne beaucoup, les retours auprès des joueurs se sont avérés globalement positifs et prouvent qu’il est possible d’explorer des voies plus inattendues en matière d’adaptations de séries.
L’aventure épisodique
Fondé en 2004 par d’anciens employés de LucasArts, le studio Telltale Games fait le pari de moderniser le jeu d’aventure « point & click » en démocratisant le format épisodique au travers d’une multitude de softs basés sur les grandes licences du moment. Si l’adaptation de The Walking Dead reste sa plus grande réussite, Telltale n’aura pas manqué d’appliquer sa recette magique à bien d’autres franchises à succès : Retour vers le Futur, Jurassic Park, Minecraft, Batman, The Wolf Among Us ou Les Gardiens de la Galaxie entreront ainsi tour à tour dans la danse.
Il n’était donc pas question que le show de HBO passe entre les mailles du filet. De 2014 à 2015, le développeur proposera pas moins de six épisodes de son Game of Thrones: A Telltale Games Series sur PC, consoles et smartphones. Les jeux s’appuieront logiquement sur une intrigue inédite se déroulant en parallèle de la trame de la série. Le scénario y suivra les parcours respectifs des descendants de la maison Forrester, chacun étant envoyé vers l’un des lieux pivots de l’intrigue de la saga aux quatre coins des continents de Westeros et d’Essos.
Si la formule joue toujours autant la carte de la facilité, avec un déroulement reposant uniquement sur des choix et des QTE (Quick Time Event), le fait de suivre un groupe de protagonistes plagiant maladroitement les figures iconiques de la saga positionne le soft très en deçà des ambitions attendues par les fans. Bien qu’ils bénéficient des voix des acteurs originaux, les personnages connus n’interviennent qu’à de trop rares moments et le jeu accuse d’importantes baisses de rythme avec de nombreux passages à vide, des conversations assommantes et des scènes d’action « réflexe » peu convaincantes.
Malgré cela, l’envie de connaître le fin mot des histoires qui se déroulent simultanément et le sort des multiples individus qui passent entre nos mains incite à rester jusqu’au bout, l’exercice n’étant finalement pas si désagréable dès lors qu’on en connaît les contours ludiques. Au point que l’on regretterait presque l’abandon de la seconde saison suite à la fermeture du studio fin 2018…
Chronologie des jeux Game of Thrones disponibles
2011 – A Game of Thrones: Genesis / Cyanide, Focus (STR sur PC)
2012 – Game of Thrones : Le Trône de Fer / Cyanide, Focus (RPG sur PC, PS3, 360)
2013 – Game of Thrones: Ascent / Disruptor Beam (gestion sur Facebook et navigateur, fermé en 2019)
2014 à 2015 – Game of Thrones: A Telltale Games Series (6 épisodes) / Telltale Games (aventure sur PC, Mac, PS3, 360, PS4, Xbox One, iOS, Android)
2017 – Game of Thrones: Conquest / Turbine, Warner Bros. Interactive (STR sur iOS et Android)
2018 – Reigns: Game of Thrones / Nerial, Devolver Digital (gestion sur PC, iOS et Android)
2019 – Game of Thrones: Winter is Coming / Yoozoo (navigateur)