20 ans après sa toute première diffusion, comment a vieilli « Gossip Girl » ? Quel regard porter sur les aventures tumultueuses de Serena, Blair, Chuck, Dan et Nate ? On vous explique pourquoi, de son impact sur la mode à la relecture critique de certains personnages, cette série emblématique reste aussi culte que problématique.
« XOXO ». Qui aurait cru que près de deux décennies après la première diffusion de Gossip Girl, le murmure des scandales de l’élite de Manhattan résonnerait encore avec une telle acuité ? Lancée en septembre 2007, la série a tiré sa révérence en 2012 au terme de six saisons, laissant derrière elle un héritage complexe, mêlant glamour, perversion et subversion, sans oublier une influence indélébile sur la mode et la pop culture. Alors que les acteurs ont depuis longtemps troqué leurs uniformes pour d’autres rôles, une question demeure : quel est notre regard sur Gossip Girl (diffusée aujourd’hui sur Netflix et HBO Max) aujourd’hui ?
À l’époque de sa diffusion, Gossip Girl a été une véritable onde de choc. Adaptation télé des livres de l’autrice américaine Cecily von Ziegesar, chronique des vies tumultueuses de jeunes gosses de riches new-yorkais, la série a captivé une génération d’adolescent.e.s et de jeunes adultes. Son succès reposait sur un cocktail savamment dosé : des intrigues riches en rebondissements, des personnages archétypaux mais attachants dans leurs imperfections, et une plongée glossy et fantasmée dans les hautes sphères de la société new-yorkaise.
Un héritage toujours palpable
Plus qu’un simple teen drama, Gossip Girl a su capter l’air du temps des années 2000, anticipant l’ère des réseaux sociaux où la réputation se fait et se défait en un clic. La mystérieuse blogueuse, doublée par la voix espiègle de Kristen Bell (Nobody Wants This), était à elle seule une préfiguration de la surveillance numérique et de la culture de l’exposition qui allaient définir les années suivantes.
L’un des impacts les plus durables de Gossip Girl réside incontestablement dans son influence sur la mode. Les styles diamétralement opposés de ses deux héroïnes, Blair (Leighton Meester) et Serena (Blake Lively), ont dicté les tendances bien au-delà des portes de l’Upper East Side.
Le style « preppy » et BCBG de Blair, avec ses serre-têtes iconiques, ses collants colorés et ses robes de créateurs, est devenu une véritable signature. En face, l’allure bohème-chic de Serena, tout en jambes interminables et en pièces de créateurs décontractées, a incarné un autre idéal de la « it-girl ». Aujourd’hui encore, des bribes de cet héritage se retrouvent sur les podiums et dans le prêt-à-porter, preuve de l’œil aiguisé du styliste et costumier de la série, Eric Daman.
Le vernis craquelé de l’Upper East Side
Cependant, revoir Gossip Girl en 2025 amène inévitablement à une lecture plus critique. Les thèmes qui faisaient le sel de la série – la richesse ostentatoire, les relations toxiques, le harcèlement scolaire érigé en art de vivre et la manipulation constante – sont aujourd’hui perçus à travers un prisme différent. De même, le classisme flagrant, la glorification d’un mode de vie inaccessible et souvent superficiel soulèvent des questions pertinentes dans une société de plus en plus attentive aux inégalités.
Regarder cette série avec une sensibilité post #MeToo est également une expérience très dérangeante. Derrière le faste et les robes de créateurs se cache une culture profondément toxique, dont les aspects les plus sombres, autrefois romancés, apparaissent désormais dans toute leur crudité. Les intrigues, qui semblaient n’être que des drames adolescents exacerbés, révèlent une misogynie systémique et la glorification de dynamiques abusives.
Le cas Chuck Bass, l’antihéros toxique
Au centre de cette réévaluation se trouve inévitablement Chuck Bass. Présenté comme le « bad boy » torturé dont la rédemption passe par l’amour, son personnage est en réalité l’incarnation d’une masculinité prédatrice. Dès le premier épisode, le ton est donné : il tente d’agresser sexuellement Serena, puis Jenny Humphrey, dans des scènes qui ne laissent aucune place à l’ambiguïté. Ces actes, qui constituent des tentatives de viol, sont pourtant rapidement balayés sous le tapis, traités comme de simples erreurs de jeunesse d’un garçon en manque d’amour paternel.
Sa relation avec Blair Waldorf, érigée en couple mythique par toute une génération, est un catalogue de violences psychologiques et de manipulations perverses. Le sommet de l’horreur est atteint lorsque, pour récupérer son hôtel, Chuck échange Blair comme un vulgaire bien matériel, la « vendant » à son propre oncle, Jack (épisode 17 de la saison 3).
Que Blair y consente ne fait qu’accentuer le problème, illustrant la manière dont les personnages féminins intègrent et justifient la violence masculine. Chuck est un prédateur dont les actions sont non seulement tolérées mais aussi pardonnées par son entourage, qui participe à une culture du silence et de l’excuse particulièrement troublante. Sa violence physique envers Blair (il la blesse en frappant une vitre juste à côté d’elle – épisode 20 de la saison 4) est une autre transgression minimisée au nom de la « passion ».
Cerise sur le gâteau : l’interprète de Chuck, Ed Westwick, a été accusé par trois femmes d’agression sexuelle ou de viol en 2017 – aucune poursuite ne sera finalement engagée contre l’acteur britannique.

La femme-objet comme une monnaie d’échange
Au-delà du personnage de Chuck, c’est toute la structure narrative de Gossip Girl qui repose sur l’objectification des femmes. Elles sont des trophées, des pions dans les jeux de pouvoir des hommes, ou des réputations à salir pour le plaisir. Serena van der Woodsen est constamment et publiquement humiliée pour sa sexualité. Loin d’être célébrée comme une jeune femme libre, elle est la cible de rumeurs qui la qualifient de « fille facile », une étiquette qui la poursuit et la définit aux yeux des autres.
Les personnages féminins ne valent souvent que par leur association aux hommes. Leur statut social, leur pouvoir et même leur sécurité dépendent de leur petit ami ou de leur mari. Les intrigues tournent de manière obsessionnelle autour du contrôle des femmes : qui sort avec qui, qui a couché avec qui, et comment utiliser cette information pour détruire une rivale. La fameuse « dot » que Blair doit apporter à son mariage princier avec Louis Grimaldi est un autre exemple flagrant de cette vision archaïque où la femme est une transaction.
L’échec du reboot, un révélateur ?
En dépit de cette relecture problématique, la tentative de raviver la flamme avec un reboot en 2021 a, paradoxalement, renforcé le statut culte de la série originale. En cherchant à s’adapter aux sensibilités contemporaines avec un casting plus diversifié et une approche se voulant plus « consciente », ce Gossip Girl 2.0 diffusé sur Warner TV n’aura pas réussi à capturer l’essence subversive et délicieusement amorale qui faisait le « charme » de son aînée.
Revoir Gossip Girl aujourd’hui, c’est prendre conscience de la dangerosité de la « romantisation » de ces comportements. La série a normalisé des dynamiques abusives en les enrobant de glamour et de dialogues percutants. Si elle reste un plaisir coupable pour beaucoup, il est désormais impossible d’ignorer le message insidieux qu’elle a longtemps véhiculé : dans le monde scintillant de l’élite, la violence et la misogynie ne sont pas seulement acceptables, elles font partie du jeu.
Malgré tout, si Gossip Girl a vieilli sur certains aspects, son influence reste indéniable. Elle demeure une capsule temporelle fascinante d’une époque pré-Instagram, un témoignage de l’évolution de nos mœurs et de notre rapport à la célébrité, à la richesse et à la technologie. Plus qu’une simple série pour adolescents, Gossip Girl s’est imposée comme un phénomène culturel. Mais on regardera ce guilty pleasure ultime d’un oeil vigilant.