Depuis son apparition fracassante avec « Jolie Garce » en 2016, Shay s’est imposée comme une figure cardinale du paysage musical. En mêlant esthétique singulière, attitude tranchante et écriture acérée, la chanteuse a bâti un univers où glamour et intensité se répondent. Zoom sur l’artiste belge qui a redéfini les codes du rap francophone.
La réduire à une question de « rap féminin », ce serait passer à côté de l’essentiel. Artiste belge à l’aura magnétique, Shay a méticuleusement bâti une œuvre dense, où la musique est indissociable d’une iconographie souveraine et d’un narratif puissant. Loin des archétypes, l’art de la chanteuse de 33 ans se déploie dans un triptyque alliant verbe tranchant, domination visuelle et introspection. Une maîtrise artistique totale qui l’impose comme l’une des figures de proue de la scène rap francophone. Décryptage de sa discographie à l’allure de manifeste.
La « Jolie Garce »
La carrière de Shay débute par une prise de pouvoir sémantique. Avec son album Jolie Garce, l’artiste belge, sœur de Le Motif, ne se contente pas de rapper : elle forge sa personnalité scénique.
Repérée par Booba, Shay – de son vrai nom née Vanessa Lesnicki – s’approprie l’insulte et la transforme en étendard. Son verbe est cru, ses punchlines semblables à des uppercuts et son propos se veut performatif. Une posture provocatrice et calculée qui lui permet de s’imposer frontalement au sein d’une scène rap alors largement dominée par les figures masculines.
En s’inscrivant dans une lignée afro-féministe puissante, Shay utilise l’hyper-sexualisation et l’arrogance comme leviers d’affirmation. La rappeuse inverse le male gaze, elle n’est pas l’objet, c’est elle qui fixe les règles. Elle ne demande pas la permission, elle prend le contrôle. Elle n’est pas une énième chanteuse, elle s’installe d’emblée comme l’une des nouvelles reines de la scène francophone.
L’esthétique comme arme
Autre pilier de son art : sa maîtrise visuelle. Égérie de la griffe Burberry et première artiste noire francophone à faire la couverture de Vogue Japon (août 2020), Shay a compris que dans le rap contemporain, l’image est aussi le message.

Couverture Vogue Japon août 2020 ©Vogue Japon
Admirative des pièces de Riccardo Tisci, son esthétique, millimétrée, réinvente l’archétype de la rappeuse. À la croisée du glamour et d’une froideur futuriste, Shay s’affirme sur le terrain du luxe et du pouvoir. À l’instar d’un SCH – avec qui elle était juge dans les deux premières saisons de Nouvelle École – dans le versant masculin, elle opère une bascule vers le rap-couture, où le vêtement n’est plus un marqueur social, mais un instrument de mythologie.
Comme elle le confiait à Konbini, chaque pièce l’aide à s’exprimer. Elle ne suit pas les tendances, mais les impose.
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À l’image de son interprète, ses clips, eux aussi, sont de véritables propositions artistiques. Agissant en prolongement de ses textes, et forts d’une grammaire visuelle révolutionnaire, ces derniers brisent les clichés. En travaillant avec des réalisateurs de premier plan – en témoigne ses nombreuses collaborations avec Guillaume Doubet (récompensé aux Victoires de la Musique) – la rappeuse bruxelloise assoit son ambition cinématographique sur la scène musicale.
Un univers singulier
Si Jolie Garce était l’armure, Antidote (2019) est la confirmation de la souveraineté de Shay. Loin d’être une simple pause introspective, cet album consolide sa persona. Shay y déploie une esthétique de domination, une opulence visuelle et des paroles qui la distinguent d’une énième chanteuse aux narratifs amoureux. La rappeuse n’a besoin de personne, elle fait de son indépendance sa principale force et de son aplomb une signature.
Enfin, avec son fascinant Pourvu qu’il pleuve (2024), Shay lève le voile. L’assurance est toujours là, mais elle se pare d’une sensualité plus subtile. Sorti sous Jolie Garce Records – son propre label – l’album installe l’introspection comme axe central. Shay y dissèque ses fragilités, ses doutes et ses contradictions. L’artiste laisse place à la femme et les textes deviennent cathartiques, révélant la complexité qui se niche derrière l’icône.
En somme, Shay a durablement refaçonné les standards et les ambitions du rap francophone. En artiste accomplie, la chanteuse ne réclame pas le trône : elle redéfinit la royauté.