Décryptage

Pourquoi Ari Aster nous met autant mal à l’aise ?

16 juillet 2025
Par Mathieu M.
Pourquoi Ari Aster nous met autant mal à l'aise ?
©A24 Film

Il y a un avant et un après Ari Aster. En trois films choc, le cinéaste a su imposer sa griffe : une horreur psychologique ultra-maîtrisée qui ausculte nos angoisses contemporaines. Alors qu’ »Eddington » sort ce 16 juillet 2025 avec Joaquin Phoenix et Pedro Pascal à l’affiche, retour sur l’œuvre d’un auteur déjà incontournable.

Oubliez le jump scare. Chez Ari Aster, la peur est un poison lent. Depuis le coup de maître Hérédité en 2018, son seul nom est devenu une promesse : celle d’une expérience sensorielle et nerveuse, aussi chirurgicale dans sa forme que viscérale dans son propos. Son cinéma ne raconte pas des histoires d’horreur, il cartographie le territoire de nos effondrements intimes, là où la famille, le couple ou l’esprit se décomposent sous nos yeux. Une cinématographie de la chute libre.

La famille, premier théâtre du chaos

L’obsession fondatrice d’Ari Aster est là : la cellule familiale comme un huis clos où les névroses et les secrets finissent par dévorer les murs. Dans Hérédité, il ne filme pas une maison hantée, mais le deuil lui-même comme une entité spectrale. La perte d’une grand-mère secrète, puis d’une enfant, fissure l’équilibre précaire de la famille Graham. Le film, qui commence comme un drame psychologique d’une intensité rare, glisse avec une logique implacable vers l’occulte.

 

La maison de poupée, que le personnage de Toni Collette construit avec une minutie obsessionnelle, est la métaphore parfaite de son cinéma : un monde sous contrôle, où les personnages sont les jouets d’un destin tragique qui les dépasse. La performance habitée de Collette, oscillant entre chagrin et fureur, ancre ce cauchemar dans une vérité affective terrifiante. C’est l’autopsie d’une implosion.

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Une grammaire de l’angoisse

Pour orchestrer ce chaos, Aster déploie une maîtrise qui confine à l’obsession. Chaque plan est une composition millimétrée, chaque symétrie est une menace, chaque travelling, un lent resserrement de l’étau. Dans Hérédité, il sculpte les ténèbres, tandis que dans l’excellent Midsommar (2019), il accomplit l’inverse : il déplace l’obscurité oppressante d’Hérédité sous le soleil écrasant d’un solstice d’été en Suède.

Souvent décrit comme un film de rupture sous acide, l’horreur naît ici d’une clarté aveuglante et de rituels païens où la douleur individuelle est absorbée par une extase collective terrifiante. C’est une œuvre sur la fin d’un couple (porté par une Florence Pugh impériale et un Jack Reynor dépassé par les événements) où le malaise grandit dans la beauté des paysages et le sourire des bourreaux.

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Cette rigueur formelle, qui le place dans la lignée d’un Stanley Kubrick, n’est pas un simple exercice de style. Aster, comme Kubrick, n’est pas fidèle à un genre mais s’en sert comme matrice pour dire autre chose.

Chez les deux cinéastes, les émotions sont violentes… mais toujours filtrées par une mise à distance troublante, presque clinique. On se sent à la fois happé et tenu à l’écart. Et c’est justement ce malaise froid, cette étrangeté persistante qui signe leur style.

Comme le réalisateur de Shining, Aster sait qu’une moquette géométrique ou un champ de fleurs trop parfait peut être plus angoissant qu’un monstre. Son cinéma est celui de l’inconfort. Un cinéma qui pose sur ses personnages un regard d’entomologiste, nous rendant témoins plutôt que participants de leur supplice.

L’odyssée d’une psyché en ruine

Avec Beau is Afraid (2023), Aster pousse sa logique jusqu’à l’absurde, et peut-être jusqu’au génie. Il ne s’agit plus de filmer la chute d’une famille, mais de plonger corps et âme dans une psyché déjà en pièces.

Durant trois heures, on suit un Joaquin Phoenix toujours aussi génial dans une odyssée picaresque et freudienne, un trip kafkaïen où chaque rencontre est une nouvelle humiliation, chaque lieu, un nouveau piège de l’esprit.

Le récit explose en fragments, comme si la narration elle-même perdait pied, contaminée par l’anxiété de son protagoniste. C’est un film-monde, un film-cerveau, déroutant, parfois épuisant, mais totalement cohérent avec son obsession centrale : cartographier le dérèglement mental.

La figure de la mère toxique (glaçante Patti LuPone), omniprésente et castratrice, devient la clé de voûte de ce labyrinthe. Le rire peut survenir au cœur de l’horreur, l’absurde surgir du drame. Beau is Afraid, en ce sens, est sans doute ce qu’Aster a fait de plus kubrickien : un récit démesuré, obsessionnel, mentalement éprouvant, où le vertige vient moins du spectaculaire que de la dissolution du réel. L’expérience est radicale.

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Eddington, le malaise change de décor

Alors, que peut-il explorer après avoir dynamité la famille et l’esprit ? La société elle-même. Annoncé comme un néo-western sombre sur fond de pandémie, Eddington promet une nouvelle mue. Le décor change, mais les thèmes restent.

En situant son intrigue au Nouveau-Mexique, Aster s’offre une nouvelle arène pour explorer la paranoïa, la solitude et l’effondrement des structures. Ce virage ne fait que renforcer la parenté avec ces grands auteurs qui, comme Kubrick, refusaient de se répéter, préférant dérouter à chaque film.

Le casting cinq étoiles (Joaquin Phoenix, Pedro Pascal, Emma Stone) suggère une œuvre d’une ambition folle, où les vastes paysages du western pourraient bien devenir aussi étouffants que les intérieurs de ses premiers films. Le monde comme piège, l’univers hostile, le destin inéluctable : ces obsessions sont toujours là, elles changent simplement d’échelle.

On ne sort pas indemne d’un film d’Ari Aster, tout au plus en sort-on différent. C’est la marque des grands auteurs. Et en attendant le choc Eddington, une chose est sûre : suivre la trajectoire d’Ari Aster est l’une des aventures les plus stimulantes que le cinéma contemporain puisse nous offrir.

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Article rédigé par
Mathieu M.
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