Premier des super-héros érigé en icône pop et parangon de vertu, Superman accuse aujourd’hui le coup de ses 85 ans. Figure trop lisse, trop patriote, éclipsée par des anti-héros plus complexes… Sa bonté passerait presque pour une faiblesse. Alors que le réalisateur James Gunn relance les aventures de l’Homme d’acier au cinéma ce 9 juillet 2025, autopsie d’un mythe au bord de la crise d’identité.
La mèche parfaite, la mâchoire carrée, le slip rouge sur collant bleu (aujourd’hui disparu, mais comment l’oublier ?) et ce « S » sur le torse qui n’en est pas un (mais le blason de la Maison des El qui signifie « espoir » sur Krypton). Depuis que le film de Richard Donner en 1978 et l’incarnation inoubliable du regretté Christopher Reeve ont fait de lui un symbole mondial, l’Homme d’acier apparaît comme la définition même du super-héros. Un phare d’espoir quasi divin.
Mais dans un monde devenu plus nuancé, plus sombre, ce scout volant au grand cœur n’aurait-il pas pris un sérieux coup de vieux, au point de finir à la naphtaline des mythes désuets ?
Le boy-scout face aux bad boys
Le premier défi de Superman est concurrentiel. Pendant que lui prônait une morale immaculée, l’écurie Marvel donnait naissance à des héros faillibles : du Spider-Man de Sam Raimi incapable de payer son loyer, aux X-Men de Bryan Singer et Brett Ratner, traqués pour leur différence, sans oublier le Tony Stark/Iron Man campé par Robert Downey Jr., génie arrogant noyant ses traumatismes dans le sarcasme : l’ascension de ces héros torturés a redéfini les attentes du public. Nous ne voulons plus la perfection, nous voulons des fêlures.
Face à eux, le Superman adulte paraît monolithique. Son casier moral est vierge, ses dilemmes sont externes (comment arrêter le Général Zod ?) plutôt qu’internes (comment vivre avec ses démons ?). Une difficulté que la série Smallville avait habilement contournée en se concentrant sur les années de formation. En montrant un Clark Kent adolescent, pétri de doutes, elle retardait le face-à-face inévitable avec sa perfection d’adulte.
À l’inverse, la tentative de Zack Snyder de lui insuffler une gravité tourmentée dans Man of Steel (avec Henry Cavill en Superman) a divisé. En voulant le complexifier, le film a trahi l’essence même de l’icône – son optimisme et sa nature lumineuse – choquant une partie de la fanbase en lui faisant commettre l’irréparable.
Pour un super-héros bâti sur un code moral intangible (ne jamais tuer), l’élimination de Zod fut perçue par certains comme une hérésie. Superman n’est pas fait pour l’ombre : un concept magnifique, certes, mais peut-être trop « premier degré » pour une époque qui préfère désormais chérir l’ironie d’un Deadpool.
De la bannière étoilée à l’ombre du Protecteur
Plus problématique : l’association historique de Superman avec le patriotisme américain. Son fameux « Truth, Justice and the American Way » résonne étrangement aujourd’hui. Un anachronisme dont la culture pop a su se délecter, donnant naissance à une galerie de Superman maléfiques : du tyran du jeu vidéo Injustice au pré-ado terrifiant du film Brightburn.
Mais aucune œuvre n’a poussé la déconstruction aussi loin que le comics aujourd’hui adapté en série The Boys. Son personnage-phare, le Protecteur (« Homelander » en VO), est un miroir déformant et effrayant de Superman. Mêmes pouvoirs, même sourire Colgate. Sauf que, derrière la façade, se cache un sociopathe narcissique, un produit marketing dont la seule boussole morale est son insondable besoin d’être aimé. En le voyant envelopper sa toute-puissance d’un discours nationaliste décomplexé, difficile de ne pas y voir le reflet pernicieux d’une certaine rhétorique politique contemporaine, façon « Make America Great Again ».
Porté par la performance glaçante d’Antony Starr, le Protecteur n’est plus une parodie : c’est un poison qui a corrompu l’icône. Il a rendu la perfection suspecte, la bonté naïve et la foi en Superman tout simplement ringarde.
La bonté radicale, l’ultime pari ?
Alors, condamné à la désuétude, l’Homme d’acier ? Pas si sûr. C’est le défi de James Gunn (Les Gardiens de la galaxie, The Suicide Squad) dont le film qui sort ce 9 juillet 2025 verra David Corenswet enfiler la cape, Rachel Brosnahan incarner Lois Lane et l’excellent Nicholas Hoult prêter ses traits à Lex Luthor. Son objectif est clair : revenir à l’essence du personnage. Fini l’« origin story » !
Comme le rapporte le site US Slashfilm, le film explorera un héros déjà installé qui « représente la vérité, la justice… et la gentillesse dans un monde qui la considère comme démodée ». Inspiré notamment par le comics fondateur All-Star Superman de Grant Morrison et les films de Richard Donner, Gunn décrit son héros comme un « grand dadais », un « gars de la ferme du Kansas qui est très idéaliste ». Surtout, il a identifié la véritable clé du personnage, loin de la kryptonite : « Sa plus grande faiblesse est qu’il ne tuera jamais personne. Il ne veut faire de mal à aucune âme vivante. »
Loin de la figure torturée proposée par Snyder, il promet donc un retour aux sources. Un héros dont la force n’est pas de soulever des montagnes, mais de faire preuve d’une gentillesse radicale. Le voilà, le véritable défi : comment rester bon dans un monde cynique ? Et comment faire de cette bonté un moteur de dramaturgie puissant et moderne ? Ce n’est pas un retour en arrière, mais un acte de foi. Un pari pas si ringard, finalement. Celui de nous reconnecter à la plus simple des utopies et de nous rappeler pourquoi, un jour de 1978, Christopher Reeve nous a fait croire qu’un homme pouvait voler.