Souvent instrumentistes virtuoses à l’origine, certains musiciens choisissent de diriger des orchestres au cours de leur carrière. Qui sont ces figures à la gestuelle maîtrisée, capables de faire bouger les lignes de la musique classique ? Plongée dans l’histoire captivante de ce métier, avec un coup de projecteur sur les chefs et cheffes d’orchestre qui ont déjà marqué la profession d’un geste de baguette magique.
Quel est le rôle d’un chef.fe d’orchestre ? À la fois interprète, artiste et manager, celui ou celle qui assure la direction musicale d’un ensemble musical travaille en plusieurs étapes : il ou elle choisit d’abord une œuvre pour un disque ou un récital, annote la partition d’origine, choisit ses interprètes au sein de son ensemble puis répète, en dirigeant ses musiciens. Nuance, tempo, mesure, volume : muni.e de sa baguette, le ou la chef.fe d’orchestre exécute un étrange ballet pour coordonner les musiciens. C’est son rôle majeur, le plus visible, mais qui vient après un long travail préparatoire.
Ce métier est né au 19e siècle. Longtemps, un musicien de l’orchestre, ou le compositeur lui-même, s’occupait de la direction. Les grands noms du romantisme (Berlioz, Wagner, Mahler) ont tant perfectionné l’écriture symphonique que l’emploi d’un chef d’orchestre est devenu indispensable, et s’est professionnalisé grâce à Hans von Bülow, pionnier et modèle à suivre de la direction orchestrale.
Le 20e siècle et les chefs d’orchestre stars
C’est de Berlin, et notamment par le biais d’enregistrement pour le label local Deutsche Gramophon, que les deux plus grands chefs du 20e siècle vont émerger : l’Allemand Wilhelm Furtwängler (et sa Neuvième de Beethoven enregistrée à Bayreuth dans l’immédiat après-guerre), et l’Autrichien Herbert von Karajan. Ce dernier a la particularité d’avoir dirigé les mêmes œuvres plusieurs fois, se remettant en question à chaque nouvelle campagne d’enregistrement, qu’il s’agisse des symphonies de Beethoven ou du concerto pour violon de Brahms – qu’il a interprété avec les violonistes Anne-Sophie Mutter, Gidon Kremer et Christian Ferras.
Tous deux ont porté l’excellence de la Philharmonie de Berlin à un niveau inouï, en les dirigeant respectivement entre 1922 et 1954, et entre 1955 et 1989.
Les États-Unis – où les formations brillantes abondent – ont élevé certains chefs au rang de stars mondiales : la vivacité de Leonard Bernstein à la tête du Philharmonique de New York (on se souvient de son Gershwin, mais aussi de ses Planètes de Holst dans le genre « explosion auditive »), ou la longévité d’Ormandy à l’orchestre de Philadelphie signent l’importance du Nouveau Monde dans la production classique moderne.
En France, si François Habeneck a beaucoup contribué à la naissance du métier de chef au 19e siècle, les premières « stars » n’émergeront qu’à partir des années 1960, en approfondissant – comme leurs homologues en Allemagne et aux États-Unis – le suivi à long terme des orchestres.
La figure de Pierre Boulez, connu pour son travail sur Bartók et Stravinsky, mais aussi sur des créations contemporaines et des pièces romantiques, symbolisera cet essor.
Les héritiers des grands maîtres
Véritable laboratoire de l’acoustique et des techniques d’enregistrement, la musique symphonique a bénéficié des avancées de ces deux domaines pour parfaire l’offre de concerts et de disques disponibles. À l’avènement du CD dans les années 1980, le genre connaît une abondance étourdissante.
La spécialisation de la direction d’orchestre génère de belles carrières : Jordi Savall se fait le chantre des musiques Renaissance et baroques enregistrées sur instruments d’époque, provoquant de vrais phénomènes comme la magnifique musique du film Tous les matins du monde.
William Christie s’intéresse à ce même répertoire avec ses Arts florissants, et s’avère autant chef d’orchestre que chef de chœur. Marc Minkowski, avec Les Musiciens du Louvre, s’attache lui au 18e siècle dans ses premiers disques, notamment consacrés à Häendel.
À l’Orchestre de Paris, puis dans le monde entier, Daniel Barenboïm se distingue par son obsession pour Mozart et sa relecture des opéras de Wagner. Seiji Ozawa, élève de Karajan, marquera le théâtre lyrique de sa direction créative en Amérique et à l’Opéra de Paris dans les années 1980.
Signe des temps, la mondialisation ouvre les pupitres des plus grands orchestres à des chefs d’orchestre globe-trotters, comme l’Italien Claudio Abbado ou le Britannique Simon Rattle, tous deux titulaires de la Philharmonie de Berlin après des carrières à travers le monde.
Les femmes au pupitre
Longtemps, les femmes n’auront pas pu accéder du tout au métier, les rares contre-exemples (Caroline Nichols, Jane Evrard, Alma Rosé) étant cantonnés à la direction d’orchestre dit « de femmes ». Comme le relayait la revue Diapason en février 2018, seules 32 femmes dirigaient alors un orchestre, sur 744 formations actives.
Heureusement, la féminisation du métier – encore insuffisante – permet à de plus en plus de cheffes de montrer l’étendue de leur immense talent. Parmi les pionnières, Marin Alsop, qui est devenue en 2007 la première femme à exercer la fonction de directrice musicale du prestigieux Orchestre Symphonique de Baltimore.
En 2019, l’Américaine Karina Canellakis, repérée par Simon Rattle, marque l’histoire en devenant la première femme nommée cheffe d’orchestre principale invitée du prestigieux Philharmonique de Londres. Une nomination symbolique dans un milieu encore largement dominé par les hommes, qui souligne son ascension fulgurante sur la scène internationale.
La même année, la cheffe d’orchestre brésilienne et israélienne Debora Waldman est nommée directrice musicale de l’Orchestre national Avignon-Provence. Une nomination historique : elle rejoint le cercle très fermé des femmes cheffes d’orchestre à la tête d’un ensemble permanent en France, aux côtés de Susanna Mälkki (Ensemble Intercontemporain) et Graziella Contratto (Orchestre des Pays de Savoie).
On pense aussi à Emmanuelle Haïm dans le baroque, ou Laurence Equilbey, aussi douée pour les chœurs que les orchestres instrumentaux, ou encore Claire Gibault, qui a cofondé le concours La Maestra, exclusivement dédié aux cheffes, en partenariat avec la Philharmonie de Paris. On retrouve aussi des cheffes médiatiques, qui décloisent le répertoire classique, comme la Pantinoise Zahia Ziouani, qui a créé son propre orchestre à l’âge de 20 ans et dont le parcours exceptionnel a inspiré le film Divertimento.
Une nouvelle génération
Aujourd’hui, la nouvelle génération de chefs d’orchestre se partage entre les deux tendances nées avec les années 1980 : les ensembles spécialisés et les chefs globe-trotters. L’actualité de la musique ancienne et baroque, sur instruments d’époque, avec chœur ou non, est régulièrement émaillée des créations érudites et inventives de l’Ensemble Pygmalion (de Raphaël Pichon), des Les Talens Lyriques (Christophe Rousset), du Concert Spirituel (Hervé Niquet) de l’Ensemble Correspondances (Sébastien Daucé) ou du Concert de la Loge de Julien Chauvin – ce dernier s’inscrivant dans un répertoire élargi au classique, voire au romantisme.
Aujourd’hui, les grands chefs d’orchestre des meilleurs ensembles ont tous connu des carrières internationales avant leurs implantations à des postes de titulaires, et sont régulièrement invités dans d’autres philharmonies.
L’école russe (Vladimir Jurowski, Kirill Petrenko, Valery Gergiev), scandinave (Klaus Mäkelä, Osmo Vänskä), sud-américaine (Gustavo Dudamel, Carlos Kalmar) ou balte (Andris Nelsons, Neeme Järvi) fournit à la musique orchestrale une diversité d’origine symbolique de son universalité.
À lire aussi
