Après le berceau new-yorkais, deux pays s’imposent comme d’excellents relais à la culture hip-hop : la France et le Royaume-Uni. Car pas de doute : les rappeurs anglais cultivent leur propre style et déploient un univers singulier et passionnant. Décryptage et petite sélection non exhaustive
Mais commençons par le commencement : d’où vient le rap british ? Dès le début des années 1980, l’Angleterre se lance dans la production d’artistes rap. De la première moitié de la décennie, deux noms restent dans l’Histoire : Derek B et Cookie Crew.
A cette époque la grande majorité des rappeurs britanniques est basée à Londres. Bristol, dans le sud-ouest de l’Angleterre, joue également un rôle majeur. Overlord X, Monie Love ou les Wee Papa Girl Rappers portent haut les couleurs du rap britannique à cette période. Mais le rap britannique ne sort pas encore de ses frontières.
Avec le temps, les rappeurs anglais gagnent la reconnaissance internationale et le respect de leurs pairs. Ils font de l’Angleterre le marché hip-hop le plus influent après les États-Unis. Aujourd’hui, les artistes anglais font partie des pionniers du rap en Europe. Silver Bullet, London Posse, Demon Boyz, Hijack, DJ Froggy et Simon Harris rejoignent deviennent des figures respectées. Les décennies suivantes, les jeunes et excellents The Streets, Dizzee Rascal, Stormzy et d’autres prendront le relais.
Mais quelle est la différence entre le rap américain et le rap anglais ?
Plus varié, souvent en fusion avec rock, reggae ou électronique, plus expérimental aussi, le rap britannique a ses propres traditions et son style bien à part. Même si la rupture avec le rap américain n’est pas totale, de nombreux rappeurs grandissent avec les traditions caribéennes comme le reggae, et cela se ressent dans leur musique. Ce rap-là deviendra plus tard jungle/drum & bass.
Dans les années 1990, le Londonien Roots Manuva amène le rap vers de nouveaux horizons. Ce dernier fusionne avec électronique, reggae et rock. Rapidement, des rappeurs utilisent le genre acid-house florissant à leur rap, qui devient alors plus sombre que le rap US. D’autres comme les géniaux Prodigy fusionnent rap avec rock et techno. Certains comme Leftfield emmènent le rap dans les discothèques avec un style beaucoup plus dance. Enfin, il y a Massive Attack à Bristol qui ralentit les rythmes hip-hop et ajoute des éléments jazz pour créer ce qui sera baptisé par un journaliste anglais de « Trip-Hop ».
Fin 90, Herbaliser, Roots Manuva ou New Flesh s’imposent dans le paysage. Le groupe Herbaliser a de profondes racines dans la soul et le jazz américain- Roy Ayers et Ramsey Lewis surtout – et dans le rap new-yorkais des débuts (Grandmixer D.S.T., Sugarhill Gang, Jungle Brothers). Dès 1995, ils participent au succès d’un sous-genre naissant vite baptisé « Breakbeat » : rythmiques saccadées et sons de scratch très techniques sur le mix d’un DJ.
Quelques classiques incontournables du rap britannique
Derek B, Bullet From a Gun (1988). Ce rapper londonien signe un album remarquable et remarqué des deux côtés de la manche. Rare rapper à être remarqué aux Etats-Unis. Le gangsta rap anglais.
Monie Love, Down To Earth (1990). Cette rappeuse londonienne est d’abord remarquée avec l’artiste américaine Queen Latifah. Sa technique vocale assurera le succès des titres It’s a Shame (My Sister) et Monie In The Middle.
Cookie Crew, Pick Up On This (1987-1992). Ce duo féminin de Londres (Debbie Pryce et Susan Banfield) originaire des Caraïbes connaît le succès avec les titres Females (Get On Up), Rok Da House et Got To Keep On, entre autres. Leur rap était teinté de house music et d’electro. Elles ont travaillé avec les plus grands du rap américain de Davy O des Stetsasonic à Davy DMX en passant par Gang Starr et Black Sheep. Cette compilation rend bien compte de leur style.
The Prodigy, Fat Of The Land (1997). Ce collectif anglais ne doit pas être confondu avec les rappers américain Prodigy (sans le The). Leurs tubesques Breathe, Mindfields, Smack My Bitch Up et Firestarter assureront l’énorme succès de l’album. Du rap bourré d’électronique et de rock. Le rapper américain Kool Keith (membre des Ultramagnetic MC’s) figure emblématique du rap U.S., participe à l’enregistrement. Un album culte qui explorait de nouveaux territoires.
The Herbaliser, Blow Your Headphones (1997). Signé sur le fameux label Ninja Tune, cet album expérimental et presque entièrement instrumental flirt avec acid-jazz (sous-genre lancé en Angleterre par Gilles Peterson), soul et jazz. Indémodable, il est toujours très actuel. The Blend, New and improved, Mr Chombee Has The Flow en sont la preuve. Des rythmiques terribles !
Leftfield, Rhythm And Stealth (1999). Deuxième opus des Londoniens quatre ans après le premier et très remarqué Leftism. Ici la base est électronique mais le fond est hip-hop. Sur le même album, Afrika Bambaataa (l’un des pionniers du rap U.S.) et Roots Manuva ainsi que la chanteuse soul Nicole Willis. Leftfield abolit les frontières et livre un rap conçu pour les clubs et la danse. Afrika Shox, Swords, Phat Planet, El Cid sont des titres fabuleux.
Roots Manuva, Run Come Save Me (2001). Signé sur le fameux label Big Dadda, cet album avant-gardiste surprend à sa sortie par ses choix de production. Cependant, le public découvre un rapper au flow et au phrasé puissants dignes des plus grands. Rodney Smith (son vrai nom) s’impose comme un leader du rap U.K. pour les quinze années à venir. Un acrobate linguistique fort dans les ambiances sombres qui utilise allégrement les cultures jamaïcaines dans ses compositions. Ital Visions, Witness (1hope), Kicking The Crap, Artical prouvent à quel point Roots Manuva peut être créatif.
The Streets, Original Pirate Material (2002). The Streets alias Mike Skinner a 24 ans lorsque sort son premier album. Le point fort ici réside dans les textes engagés et bourrés d’humour. Musicalement, ambiances jamaïcaines et trompette sur Let’s Push Thing Forward, flow et claviers entêtant sur Turn The Page et groove puissant sur Who Got The Funk ?… Un album varié, intelligent, qui marque le rap anglais en ce début de 21e siècle.
Dizzee Rascal, Showtime (2004). Un album kaléidoscope de genres, de sons avec des rythmiques aussi déstructurées et neuves que sa façon de rapper. Un rap vite baptisé « Grim rap » tant il est différent du reste. Un album pour les initiés très difficile d’accès pour le grand public.
Plan B, Who Needs Action When You Got Words (2006). Ben Drew, vite désigné comme le Eminem anglais, est un poète nouvelle génération. Il fait partie des rappeurs conscients qui dénonce les injustices sociales et politiques. Drogues, violence, et familles sont abordés avec beaucoup d’éloquence verbale et musicale. Un rap dur et agressif donc, qui correspond à son époque.
La nouvelle école
Aujourd’hui, loin du rap des débuts et des sous-genres façon big beat ou drill, une nouvelle génération prend la relève avec un talent indéniable. Leur rap est teinté de R’nB et de musique africaine. Cette génération aime à se mettre en danger en explorant de nouveaux territoires, tel le prodige Slowthai de Northampton.
Le jazz tient aussi une place de choix dans le nouveau rap anglais, comme le montre le collectif londonien Ezra Collective. D’autres donnent priorité au flow et à la voix, revenant ainsi aux fondamentaux du rap (la rappeuse londonienne Little Simz).
Ce rap britannique est toujours riche de diversité 40 ans après ses débuts. Little Simz, Lava La Rue, Ezra Collective, Slowthai, Loyle Carner ou encore Nia Smith sont les noms à suivre. Notez bien !
