Depuis son succès sur TikTok en 2020-2021, la rappeuse américaine Doechii est devenue incontournable. Sa récente victoire aux Grammy Awards et sa mixtape « Alligator Bites Never Heal », disponible en vinyle en mars, confirment le statut de cette icône. Portrait d’une artiste inventive et engagée.
« I’m the New Hip-Hop Madonna, I’m the Trap Grace Jones » (« Je suis la nouvelle Madonna du hip-hop, la Grace Jones de la trap ») : sur son single Nissan Altima, sorti en août 2024, Doechii affirmait sans fard son ambition d’être la popstar des musiques urbaines, en se référant à deux reines.
L’affirmation plastronnée dans un morceau empli d’egotrip s’est avérée performative : sa troisième mixtape, l’incroyable Alligator Bites Never Heal, a reçu le Grammy Award du meilleur album rap de 2025. Seules deux autres artistes féminines (Lauryn Hill et Cardi B) avaient été récompensées dans cette catégorie précédemment. Un triomphe en forme de revanche pour Jaylah Ji’mya Hickmon, dont le parcours personnel n’a pas été un long fleuve tranquille.
L’avatar Doechii
En 2009, alors âgée de 11 ans, la jeune Jaylah est en lutte. Native de Tampa en Floride, la préadolescente ultra-sportive (gymnaste, danseuse et footballeuse) fait face à des harceleurs. Pour ne pas se résoudre à subir, elle invente donc le personnage de Doechii, au départ dans son journal intime, qu’elle va peu à peu façonner dans ses expériences artistiques diverses.
C’est finalement à 16 ans qu’elle choisit, entre claquettes, chant choral et cheerleading, le rap comme son principal moyen d’expression. Nous sommes alors en 2014, et le hip-hop féminin est tiraillé entre deux mouvements : d’un côté Nicki Minaj (bientôt suivie par des artistes comme Cardi B ou Megan Thee Stallion) déploie une attitude outrageusement hypersexuelle, tandis que des voix plus underground comme celle de Princess Nokia (que Doechii croisera sur la scène du festival lesbien The Dinah en 2023) refont du rap un véhicule social et sociétal. Et c’est peut-être grâce à cette deuxième direction qui va nourrir ses premiers textes, qu’elle apparaît sur SoundCloud sous le pseudonyme Iamdoechii.
« Yucky Blucky Fruitcake« , ce morceau qui la raconte
« Je dois beaucoup à Hayley Williams et à son groupe Paramore : ils m’ont introduit à la musique rock et ont enrichi mon style personnel », déclarait la jeune artiste l’an dernier. Inscrite à une école d’art après le lycée, Jaylah devenue Doechii écoute beaucoup la formation pop-punk et saura s’en souvenir : en 2020, elle cite leur chanson The Only Exception dans son titre Yucky Blucky Fruitcake, qui devient un hit sur la plateforme TikTok.
Le titre, autobiographique, ne fait pas mystère de certains traits de sa personnalité. Addictions, problèmes relationnels et rapport aux normes de genre sont évoqués dans ce morceau fondamental qui obéit peu aux habitudes des trends TikTok. Repérée par Top Dawg Entertainment après ce succès, la jeune femme signe rapidement un contrat avec ce label qui a découvert Kendrick Lamar et SZA.
Une voix, une plume, un corps
Dès lors, la voix de Doechii commence à se déployer dans de nombreux featurings sur les disques de stars de la pop (Katy Perry), du R’n B (Janelle Monáe, Banks, Ravyn Lenae) et du rap (Tyler The Creator). Alternant pur rap et phases chantées, elle réussit à se glisser dans différents univers grâce à une aptitude certaine à varier les flows.
Dans son écriture, la jeune femme revient aux sources du rap, avec un vrai sens de l’engagement, de l’egotrip et de l’écriture thématique. Et c’est en particulier en parlant d’elle, artiste bisexuelle afro-américaine repentie de l’alcool et de la drogue, qu’elle dresse un portrait universel de la société actuelle, et évoque en rimes homophobie, racisme et classisme.
De plus en plus médiatisée, Doechii fait non seulement valoir ses dons vocaux et lyricaux, mais aussi ses talents en matière de chorégraphie. Par le biais de ses danses, l’artiste peut définitivement se réclamer de Grace Jones et de Madonna, figures éternelles de la musique incarnée.
On découvrira ses multiples talents sur la scène du festival Rock en Seine où Doechii devrait mettre tout le monde d’accord.
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