
Si la boule à facettes et les talons compensés restent les symboles (un peu clichés) de la révolution disco, à l’honneur de l’expo géniale à la Philharmonie de Paris, l’annonce d’un concert parisien de la légendaire Diana Ross à l’été 2025 nous invite à nous pencher sur cette bascule qu’opéra la chanteuse au mitant des seventies. De la soul au disco, il n’y a qu’un pas. Et quel pas…
C’est un événement. Absente des scènes françaises depuis presque 20 ans, la chanteuse Diana Ross rempile à 80 printemps pour une série de concerts en Europe et notamment à l’Accord Arena de Paris. Impossible de ne pas rapprocher cette suprême venue avec l’ambitieuse exposition de la Philharmonie de Paris consacrée au disco (Disco, I’m Coming Out– jusqu’au 17 août 2025) qui célèbre et décortique en profondeur un genre musical trop souvent réduit à quelques stéréotypes surannés et la bande-son du film à succès La fièvre du samedi soir.
Si la carrière de Diana Ross démarre à la toute fin des années 50 avec The Primettes, un groupe vocal féminin qui sera rebaptisé The Supremes dès leur signature avec la mythique Motown, comment est-elle devenue autant associée au disco ?
Exfiltrée volontairement des Supremes en 1970 dont elle avait de toute façon pris « naturellement » le lead (avec l’appui de son mari Berry Gordy, boss de Motown), Diana Ross délaissa la soul ciselée et calibrée par la célèbre maison de disque du Michigan pour d’autres vibrations. Fin de la récré et peut-être même de l’âge d’or de Detroit.
Hormis quelques titres très réussis où le talent de cette autre lady Diana s’exprime pleinement, les albums parus entre 1970 et 1974 débordent d’arrangements grandiloquents à la limite du trop plein. Un calibrage finalement très pop et des textes (beaucoup trop) sages.
Le tournant Love Hangover
Alors est-ce que ce sont des ventes décevantes- en même temps difficile de maintenir les scores stratosphériques des tubes sixties avec les Supremes- ou la volonté de redonner du lustre à une chanteuse qui a déjà une belle carriere derriere elle ? Diana Ross publie en 1976 un album, Diana Ross, qui renoue avec les grooves qui l’ont façonnée (soul et gospel en tête), et va même aller un peu plus loin.
Au milieu de ce LP, un ovni : la chanson Love Hangover. Les huit minutes explicites et le tourbillon disco calibré pour la piste sont d’une ingéniosité sans pareil. C’est cru, c’est brut, c’est chaud et inattendu. Et enfin, le truc hallucinant pour ce titre devenu un véritable hymne, c’est que Diana Ross ne chante pas vraiment mais chuchote, souffle, respire, rigole, expire, soupire, se régale, ordonne. Si de la soul au disco, il n’y a peut-être qu’un pas, du dancefloor à la chambre à coucher aussi à priori.
Signe d’une société de plus en plus libérée, reflet d’une époque et d’une demande de nouvelles sensations musicales par le grand public ?Toujours est-il qu’en 1976, Love Hangover marque un moment de bascule pour cette grande dame de la musique populaire américaine.
La suite, vous la connaissez sûrement. En 1977 (1978 en France) sort LE film (La fièvre du samedi soir) et c’est le raz de marée mondial qui d’ailleurs fait en partie l’impasse sur l’aspect « lutte et émancipations » des minorités intimement liés au mouvement disco. Tout au plus le scénario évoque une forme de revanche sociale par la danse.
Cette découverte du disco par le grand public annihile donc en partie la volonté émancipatrice à l’origine du mouvement. Les grandes maisons de disques l’ont bien compris : pour vendre beaucoup, on lisse… Et pas seulement le brushing de Travolta.
Pour Diana Ross et ses producteurs, il est encore temps de publier quelques albums truffés de ces grooves en vogue du moment (disco/funk/boogie) et prendre sa part du gateau. Et elle s’en sort parfois très bien à l’image de ce Baby It’s Me de 1977 qui, au détour de quelques titres servis à grand renfort de funk bien aiguisé, tranche dans ce trop plein de variété/pop/soul sans grand interêt dans laquelle s’embourbe Diana Ross.
Le coming out de Diana
Mais comme nous l’explique Belkacem Mezziane, conférencier-journaliste érudit, spécialiste des musiques afro-américaines et auteur de l’indispensable DISCO, 100 Hits de 1972 à nos jours, tout ne s’est pas fait de façon si fluide avant que qu’on érige Diana en princesse disco.
« A la fin de la décennie 70, Nile Rodgers et Bernard Edwards, les boss de Chic, sont approchés par Motown afin de prendre en main la suite des aventures musicales de Diana Ross. La rencontre entre la reine de la pop-soul réincarnée en disco diva se passe à merveille et les producteurs ne laissent rien au hasard, souhaitant cerner au plus près la personalité de Ross pour faire un album autobiographique », relate Belkacem Mezziane.
« Inspiré justement par les clubs interlopes où résonnent ce disco « original », Niles Rodgers imagine et conceptualise un truc fou. Et si Diana Ross faisait son « coming out », suggérant ainsi le retour de la diva sur le devant de la scène. Le concept séduit Diana Ross, le titre Coming Out est enregistré dans la pure tradition Chic-ienne. Mais c’est le DJ Franckie Crocker, grand ami de Diana Ross qui va la mettre en garde.
L’interprétation « gay friendly » du titre qu’en fera le public va sûrement ruiner sa carriere. Diana Ross demandent des éclaircissements à Rodgers et Edwards qui lui mentent copieusement en soutenant qu’il n ‘y a pas de double sens caché. Motown suit l’avis de Crocker et refuse l’album. S’en suit un procès que la Chic Organisation gagne et l’album sort avec un mix qui ne plaît pas du tout à Niles Rodgers et Bernard Edwards mais qui deviendra malgré tout le plus gros succès de la carriere de Diana Ross. »
I’m Coming Out se classe N°1 du top vente et deviendra comme on pouvait s’y attendre, un hymne gay.
Carton ultime dans la foulée avec Upside Down tiré du même album, Diana. Et là aussi, succès mondial. Paru en 1980 et devenu ce genre de disque intergénérationnel quasi indétrônable depuis sa sortie il y a 45 ans, Diana reste à ce jour l’album totem de cette disco diva absolue.
Heureux hasard, l’album ressort dans une belle édition en exclu pour la Fnac et dans son mixage d’origine signé Rodgers/Edwards. Chic.