Peu d’artistes peuvent se targuer d’avoir écrit pour Édith Piaf, été repris et adulé par Bob Dylan, et de représenter aujourd’hui la chanson française dans le monde entier. Auteur, compositeur, interprète, acteur, Charles Aznavour aurait eu 100 ans en 2024. En attendant de découvrir sa vie au cinéma, retour sur dix œuvres, chansons et films, fondatrices dans un parcours exemplaire.
Les Deux Guitares
Charles Aznavour raconte un siècle d’Histoire, petite et grande, à travers sa vie et son œuvre. En 1960, en adaptant en français le standard tzigane Les Deux Guitares (paru sur l’album du même nom), il revient en fait aux sources. En effet, son père, Micha Aznavourian, interprétait l’air original, en russe, dans le restaurant qu’il tenait à Paris, et où il accueillait notamment des exilés européens. Véritable enfant de la diaspora arménienne, son fils Charles sera toute sa vie l’une des voix mondiales de ce peuple persécuté au début du XXe siècle, et dont l’écho se trouvera dans des titres répartis tout au long de sa discographie.
La Bohème
La nostalgie, la poisse, le pathos, sont des éléments fondamentaux de l’œuvre de Charles Aznavour. En 1965, il revient sur ses années de vache maigre, de manière métaphorique, avec La Bohème, tube international autour de la vie d’un artiste à la manque dans un Montmartre fantasmé. Comme dans Je m’voyais déjà, l’authenticité de la chanson provient des souvenirs personnels de son auteur et interprète, qui chante là l’exaltation des plaisirs simples face au manque de confort matériel, un thème illustrant bien ses débuts dans le milieu créatif, au mitan des années 1940, et ses premiers emplois, dont le duo Roche & Aznavour, qui arpentait les music-halls d’après-guerre, ou son titre noir et toxique pour George Ulmer, J’ai bu.
Plus bleu que tes yeux
Comme nombre de ses collègues de la chanson française des années 1940-1950, c’est en écrivant pour d’autres qu’Aznavour se fait un nom, en cette époque où les titres passent de main en main (ou plutôt de voix en voix, au gré des modes). Une légende d’alors, Édith Piaf, lui laisse sa chance : Charles Aznavour créera quelques chansons pour l’interprète de La Vie en rose, dont Plus bleu que tes yeux, chanson d’amour absolu, une marque de fabrique de celui qui deviendra rapidement, une fois accepté comme chanteur par la critique, un authentique auteur-compositeur-interprète.
Emmenez-moi (live)
Avec son air orchestral mâtiné d’instruments folkloriques, ses paroles évoquant les voyages, sa scansion si particulière, Emmenez-moi appartient à la catégorie des chansons vraiment emblématiques d’Aznavour. Son rythme s’apprécie d’autant plus lors des grands récitals menés par Aznavour, qui effectuait chaque année ou presque, sa rentrée scénique à l’automne, sur les plus grandes scènes de Paris et d’ailleurs. Pour retrouver le frisson de pareils concerts, la compilation 100 ans 100 chansons offre un florilège des interprétations live les plus mythiques de cette bête de scène née.
For Me, Formidable
Avec ses paroles en franglais en forme de déclaration d’amour, For Me, Formidable a marqué son époque et incarne aussi une vraie dimension internationale d’Aznavour, qui aura chanté dans bien des langues tout au long de sa carrière. Cent ans après la naissance de son compositeur, la chanson a connu une deuxième vie lors de l’ouverture des Jeux olympiques de Paris cet été, avec une interprétation, en forme de clin d’œil, par Aya Nakamura en duo avec la Garde républicaine.
Comme ils disent
Chanteur installé, dont la période la plus faste se situe entre le milieu des années 1950 et la fin des années 1960, Charles Aznavour a su prendre des risques à plusieurs moments de sa carrière. En 1972, il livre, outre un titre mélangeant pop et chanson plus classique, Les Plaisirs démodés, un de ses chefs-d’œuvre d’observation sociale : Comme ils disent. Critiquant l’homophobie qui a alors cours dans la société, l’interprète se glisse dans la peau d’un homme qui en aime d’autres et réussit à susciter beaucoup d’émotions. Pour l’Histoire, Comme ils disent aura été l’un des premiers tubes à parler ouvertement de la question…
La Tête contre les murs
On le sait moins, mais les vrais débuts artistiques de Charles Aznavour n’ont pas eu lieu sur les planches d’un music-hall, mais sur celles d’un théâtre, le « Petit Monde », dès l’âge de neuf ans. La carrière dramatique ne cessera de le titiller, dès lors. À la façon d’Yves Montand, l’autre vedette multicasquettes de l’après-guerre, le chanteur s’épanouira également au cinéma. Son apparition au casting d’un film réalisé par un cinéaste iconoclaste : La Tête contre les murs, signé Georges Franju, lui vaut d’être remarqué à l’écran, en 1959. Le musicien incarne là un aliéné épileptique, « emprisonné » dans un asile psychiatrique particulièrement anxiogène. Sa prestation réaliste, bien que courte, a marqué les professionnels du cinéma, qui ont dès lors fait appel à lui dans des rôles majeurs.
Un taxi pour Tobrouk
L’un de ses rôles les plus célèbres aujourd’hui, Un taxi pour Tobrouk, le voit côtoyer la crème des acteurs des sixties, dont Lino Ventura et Maurice Biraud, dans ce film de guerre exotique, servi par des dialogues de Michel Audiard. En commando philosophe, Aznavour, longtemps raillé pour son physique, excelle, avec une « gueule » qui n’a rien à envier aux autres icônes du septième art d’alors.
Tirez sur le pianiste
Il y a chez Charles Aznavour une vraie capacité à s’intégrer à des milieux différents, sans jamais perdre son identité. Outre son passage au sein du cinéma populaire français, il a aussi participé, à sa façon, à la légende de la Nouvelle Vague, avec le rôle principal de Tirez sur le pianiste, essai de film noir hexagonal signé François Truffaut. Au milieu d’un aréopage de femmes, au cœur d’un monde interlope de gangsters à la petite semaine, le chanteur de Hier encore réalise une performance marquante, l’une de ses plus notables.
Monsieur Aznavour
Après Patients et La Vie Scolaire, Grand Corps Malade et Mehdi Idir continuent leur collaboration cinématographique avec le biopic Monsieur Aznavour. Un Tahar Rahim méconnaissable incarne ce chanteur qualifié « d’enroué vers l’or » et « d’handicapé » à ses débuts, dans une reconstitution précise de l’ascension de celui qui aura brillé par sa pugnacité et son audace tout au long de sa carrière. Une belle façon de célébrer les cent ans de ce titan avec une réelle ambition cinématographique, digne des films biographiques musicaux américains.
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