Huit ans après Petit Pays, Gaël Faye publie Jacaranda, nommé pour le Prix du Roman Fnac 2024. Le sujet reste le même : le génocide des Tutsis au Rwanda. Mais l’histoire, elle, est bien différente. Avec la sensibilité et la poésie qu’on lui connaît, l’écrivain désamorce les maux qui continuent de hanter le peuple rwandais.
C’est sûrement l’une des sorties les plus attendues de cette rentrée littéraire : Jacaranda (Grasset), le deuxième livre de l’auteur-compositeur et interprète Gaël Faye. À juste titre, puisque Petit Pays, son premier livre paru en 2016 et distingué par le prix Goncourt des lycéens la même année, s’est écoulé à plus de 1,7 million d’exemplaires en France et a même été adapté en film, au théâtre et en bande dessinée.
La sortie de ce nouveau roman n’est pas anodine. Cette année marque les 30 ans du génocide des Tutsis au Rwanda, commis à partir d’avril 1994. Le silence pèse encore sur les victimes et leur famille, et la vengeance habite le cœur de ceux qui ont perdu leurs proches. Comment cohabiter avec ceux qui ont voulu vous exterminer ? La société rwandaise peut-elle s’apaiser ? Gaël Faye capture avec brio et sensibilité ces dilemmes dans ce nouveau livre.
Dédale généalogique
Cette tragédie était déjà au cœur de Petit Pays. Gaël Faye faisait le récit de l’enfance de Gabriel, fils d’une Rwandaise et d’un Français, qui grandit au Burundi, pays frontalier du Rwanda. À travers les yeux de cet enfant, l’écrivain témoignait de la montée des violences et des répercussions du génocide dans ce « petit » pays, dans lequel il a lui-même grandi.
Dans Jacaranda, Gaël Faye lève le voile sur un autre pan du conflit : l’après. Comme dans le précédent roman, le protagoniste, Milan, est à cheval entre deux cultures : la France, où il grandit, et le Rwanda, dont est originaire sa mère. Cette dernière est murée dans un silence désarmant, aussi bien pour Milan que pour nous, les lecteurs. « Chez nous, on ne raconte pas l’histoire de la famille. Résultat, on ne sait rien, et les vies s’éteignent avec ceux qui les portent. On dit que les paroles s’envolent et les écrits restent, mais que faire quand il n’y a ni paroles ni écrits ? », déplore Milan, un héros touchant lorsque sa détermination, habituellement sans faille, tend à vaciller lorsqu’il est projeté dans une histoire familiale et une culture dont il ne sait rien.
Voir cette publication sur Instagram
Mais sa curiosité, elle, est sans limites. Qui est donc cette famille qu’il découvre en 1994 lorsque Claude, un petit garçon du même âge que lui, blessé à la tête, débarque du Rwanda pour vivre avec eux en France ? Qui est donc cette Mamie qu’il rencontre lors de son premier voyage au Rwanda en 1998 ? Comment Stella, cette petite fille née quatre ans après le génocide, bouleversera-t-elle sa vie ? Quelle est la particularité du Jacaranda, cet arbre aux fleurs mauves qui pousse dans la région des Grands Lacs d’Afrique, où la jeune Stella aime se hisser jusque dans les branches les plus hautes ? Un attachement sans réserve naît alors pour ce protagoniste qui sillonne ce pays à la fois fracturé et en recherche d’unité, de 1994 à 2020.
Raconter le Rwanda d’hier, d’aujourd’hui et de demain
Malgré le silence, Gaël Faye entend bien déverrouiller cette mémoire, que ce soit dans ses livres, sa musique ou son travail documentaire avec notamment Rwanda : le silence des mots sur Arte (2022). Dans Jacaranda, l’auteur esquisse l’idée de la reconstruction. Comment y parvenir ? En libérant la parole… Mais cela ne se fait pas sans heurts, le risque étant de « remuer les fantômes du passé, de faire renaître des peurs enfouies, de ranimer des haines tenaces et des envies de vengeance », écrit-il.
Voir cette publication sur Instagram
Gaël Faye décrit avec beaucoup de poésie cette jeunesse prise en étau. Si 60% de la population rwandaise actuelle est née après le génocide, le traumatisme reste présent 30 ans après et continue d’habiter la nouvelle génération, incarnée dans le livre par la jeune Stella. Cette dernière, curieuse de découvrir l’histoire de son arrière-grand-mère Rosalie et de sa mère Eusébie, est emportée par la nécessité de capter cette parole, avant qu’elle disparaisse, pour ne pas oublier et, surtout, pour réparer.
À l’occasion d’un exposé pour l’école, Stella s’attèle à la retranscription d’une dizaine de cassettes retraçant la vie tumultueuse de Rosalie. Gaël Faye touche là à une corde sensible et, surtout, universelle : qui n’aurait pas rêvé de reconstituer la vie de ses aïeux, qu’on laisse trop souvent s’évaporer ? Les récits intergénérationnels se mêlent, s’emmêlent. Sans que l’on s’y attende, l’auteur fait même échos à Petit Pays et tisse des liens étroits entre ses personnages. De quoi ranimer le tourbillon d’émotions ressenties lors de la lecture de ce premier livre.
Comme Petit Pays avant lui, Jacaranda happe les lecteurs et lectrices, les prend aux tripes, puisque l’auteur lève le voile sur la réalité du génocide des Tutsis. Cependant, sa plume sensible et chargée de poésie célèbre avant tout le peuple rwandais et sa force de résilience. Une nouvelle fois, Gaël Faye éclaire l’histoire de ce pays, des enjeux qui l’animent et de sa population, dont la seule boussole est désormais l’apaisement.
Jacaranda de Gaël Faye, publié aux éditions Grasset, le 14 août en librairies.