Décryptage

Sun Whithout The Heat de Leyla McCalla : Nouvelles gammes créoles

12 avril 2024
Par Julien D.
Sun Whithout The Heat de Leyla McCalla : Nouvelles gammes créoles

A peine remis du théâtral album-concept Breaking The Thermother, Leyla McCalla nous livre déjà un cinquième opus, le second pour l’excellent label ANTI- (Tom Waits, Mavis Staples, Curtis Harding, Calexico…). Dans Sun Without The Heat le discours et les interrogations de notre « songwriteuse » favorite sont servis par une palette de musique rarement entendue dans sa discographie : Afrobeat, musique brésilienne, rock, folk & blues dans un dosage aussi savant que réjouissant.

Si vous êtes régulier de ces colonnes, vous savez qu’en France (tout comme à la Fnac) on a un certain faible pour Leyla McCalla. Une artiste que l’on suit depuis ses premiers pas dans les bacs comme sur les scènes de l’hexagone qu’elle fréquente avec régularité.

Celle qui semble ne jamais s’arrêter (un tour sur son site et l’agenda de ses concerts passés et futurs, de ses différrents projets et vous comprendrez ce que je veux dire) vient tout juste de partager la scène de l’excellent festival Son d’Hiver 2024 avec sa camarade de longue date, Rhiannon Giddens.

Une mise en bouche avant la sortie de son 5e album Sun Without The Heatet son retour sur les scènes européennes à l’automne prochain.

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Déjà 10 ans de carrière 

Depuis 2013 et son apparition discrète dans les bacs de disques (le splendide et désormais classique Vari Colored Songs), l’effarante énergie créative qui habite Leyla McCalla nous épate toujours un peu plus.

Dans la construction d’une œuvre musicale intimement liée à sa propre histoire comme à ses engagements citoyens, la new-yorkaise d’origine haïtienne installée à La Nouvelle-Orléans trace son propre chemin, avec envie, rigueur et intensité.

En assumant ses choix et son héritage culturel, de collaborations judicieuses en projets éducatifs, patrimoniaux ou pluri-artistiques (théâtre & musique), elle nous garantit à chaque fois un nouveau voyage, une nouvelle aventure, un horizon nouveau sans pour autant épouser les trucs en vogue du moment, des formules ou genres musicaux « à la mode ». 

La créolisation comme fil rouge 

A l’heure où l’on enterre Maryse Condé, grande plume de la littérature créole, Leyla McCalla en musicienne éclairée, érudite, instrumentiste chevronnée de nature curieuse, (et charmeuse) défend à sa façon cette notion culturelle créole à laquelle elle est évidemment très attachée. Intimement attachée pourrait-on dire puisque de parents haïtiens.

Depuis sa relecture des textes poétiques de Langston Hughes aux refrains populaires des bayous de Louisiane, en passant par des comptines haïtiennes ou ses plaidoyers pour des héros oubliés tels que Manno Charlemagne, l’idée qu’elle s’efforce de défendre est de tendre un fil reliant des musiciens de différentes origines, de différentes cultures qui ont beaucoup plus en commun que ce que l’on pourrait penser.

Quand bien même l’usage de l’anglais prime cette fois sur la langue de ses aïeux, elle insuffle au travers de sa musique l’idée que la créolisation du monde est inévitable au regard de l’histoire, du présent et de l’avenir. Mais si j’évoque le concept cher à Edouard Glissant c’est qu’en definitive, les inspirations de McCalla dépassent frontières et continents.

«J’appelle créolisation la rencontre, l’interférence, le choc, les harmonies et les disharmonies entre les cultures, dans la totalité réalisée du monde-terre.» Édouard Glissant, Traité du Tout-Monde, 1997

C’est donc en gourmande de vibrations liées de près ou de loin aux diasporas des afro-descendants (mais pas que) dont elle fait évidemment partie qu’elle aborde ce nouvel ouvrage en 10 chapitres. Et de fait, dans Sun Without The Heat, on retrouve des genres jusque-là peu entendus dans sa discographie.

Avec l’aide des brillants compères qui l’accompagnent également en concert depuis plusieurs années, Leyla McCalla nous sert ce nouveau festin. Des soupçons afrobeat, un aller-retour dans un Brésil tropicaliste (l’incendiaire tourbillon samba psychédélique de Tree), soupçons indie-rock et d’autres envolées chargées en électricité se dégustent au fil de l’album sans jamais avoir la sensation d’un trop-plein. Car comme en cuisine, tout est histoire de dosage, de proportions.

Slow business

Et c’est vrai qu’on aime aussi la musique de Leyla McCalla pour ce registre aux timbres clairs, délicats et faciles d’accès qui ont été sa marque de fabrique depuis ses débuts.

C’est donc sans surprise que l’on retrouve quelques succulentes ritournelles folk/blues et son songwritting payant. Des chansons en apparence très simples, goutues, dont elle détient le secret de fabrication. Comme celle qui donne son titre à l’album (Sun Without The Heat), ce Scaled To Survive addictif ou cet émouvant I Want To Beleive final  le violoncelle et les quelques rimes de la demoiselle vous tireraient presque les larmes. Un registre qui vous caresse tout en douceur, comme un contrepoids impératif dans un monde toujours plus chahuté. Probablement l’une des clefs de son succès.

Côté discours, les références aux propos d’un abolitionniste du 19e et aux écrits plus contemporains d’afro-féministes (Octavia Buttler, Alexis Pauline Gums) n’a rien de surprenant venant d’une chanteuse qui plaide depuis jour 1 pour ces légitimes questions d’égalité, d’émancipation, de justice, de liberté et de fraternité.

En bref, c’est encore un « sans-faute » que signe Leyla McCalla. Un album qui va étinceler notre printemps et nous accompagner longtemps, nécessairement.

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Julien D.
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Disquaire à la Fnac Montparnasse
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