Entretien

Rencontre avec Jérémie Périn : La révolution martienne

21 novembre 2023
Par Mathieu M.
Rencontre avec Jérémie Périn : La révolution martienne
©DR

Polar et SF sont au menu du premier long-métrage de Jérémie Périn, « Mars Express ». Un pur récit dans la veine de Blade Runner ou Ghost in the Shell, que vient doubler une enquête policière aux ressorts dramatiques dignes de Robert Altman. Habile cocktail pour mieux nous interroger sur la frontière de plus en plus ténue entre vrai et faux, naturel et artificiel, homme et machine. Sur l’évolution de la science et la capacité de notre monde à cohabiter avec les IA. Aussi déroutant que fascinant !

Mars Express, le pitch… 

Nous sommes en 2200, sur Terre. Aline Ruby, détective privée bornée, et Carlos Riviera, son collègue et ami androïde, ont été chargés par un riche homme d’affaires de mettre la main sur une dangereuse hackeuse. La routine… Mais de retour sur Mars, ils vont vite voir les choses prendre une toute autre tournure : Jun Chow, une étudiante en cybernétique a mystérieusement disparu, accusée d’avoir « déplombé » un robot, lui rendant ainsi sa liberté d’agir et de penser… Alors que des tueurs cyber-augmentés sont également lancés à ses trousses, c’est pour notre duo d’anti-héros le début d’une course contre la montre au cœur de Noctis, la capitale martienne, pour mettre la main en premier sur la jeune fille. Elle pourrait bien détenir le lourd secret capable de bouleverser l’ordre social établi…



  

Il y avait, je crois, au départ de votre aventure, un manque dans l’univers de la SF que vous souhaitiez combler à travers ce film…

Jérémie Périn : C’est vrai qu’avec Laurent, co-scénariste du film, lorsqu’on se lance dans un projet, on a souvent pour réflexe un peu égoïste de se demander ce qui nous manque. Et quand on a réussi à convaincre Didier Creste, notre producteur, qu’on voulait se lancer dans la science-fiction, nous nous sommes retrouvés face à toute l’immensité de ce genre aux multiples sous-catégories. Mais ce qui nous a semblé le plus criant, c’est ce manque de hard-SF, cette science-fiction disons plus sérieuse et réaliste que la science-fiction magique, « fantasy », où les ressorts scientifiques sont inventés pour les besoins du scénario. Au contraire, nous voulions nous orienter vers un récit SF fondé sur de réelles prospectives scientifiques.

Comment, justement, avez-vous travaillé cette dimension réaliste de notre futur XXIIIe siècle ? 

J’avais comme idée de retrouver cette méthodologie de travail que j’avais pu voir dans des making-of ou des interviews de Steven Spielberg évoquant le processus d’écriture de son Minority Report. Cette façon dont il s’était constitué tout un pôle de futurologues. Des personnes qui baignent dans la recherche et les hautes technologies et qui vous partagent ce sur quoi ils sont en train de travailler et ce sur quoi cela pourrait potentiellement déboucher plus tard. C’est un peu sur ce chemin que nous nous sommes lancés avec Laurent, avec sans doute « un peu » moins de monde que Spielberg (rires)… Mais nous sommes allés rencontrer notamment Sylvain Bouley, planétologue, et François Costard, géomorphologue, à qui nous avons pu poser des questions sur la planète Mars, sur sa gravité, sa luminosité. A la question notamment de savoir où installer une première ville sur Mars, ils se sont d’abord montrés très perplexes (rires). « Mais pourquoi tenez-vous tant à aller sur Mars ?, nous ont-ils demandé, sceptiques. Cela impliquerait de devoir piller toutes les ressources terriennes pour réussir à créer au bout du compte un îlot de vie martienne microscopique, réservé à une poignée de citoyens très riches… »  Bref, ils nous ont vu arriver tels des illuminés technophiles de la Silicon Valley ! Mais lorsqu’ils ont saisi que c’était justement là tout le propos du film, ils se sont montrés hyper enthousiastes. « Ok, super, on y va alors ! » Et ils ont accepté de se prêter au jeu. 

Ainsi est née Noctis, la capitale martienne de Mars Express

Oui, Sylvain et François nous ont parlé de ce lieu sur Mars appelé Noctis Labyrinthus, « labyrinthe de la nuit » en français. Un nom véridique même si on se croirait dans un jeu de rôles – ces scientifiques, tous des nerds ! (rires) Il s’agit d’une région de canyons et de cratères. Des fleuves de lave qui se sont effondrés, formant une sorte de cuvette dans laquelle on pourrait imaginer l’installation d’une colonie, d’abord en mode troglodyte, à flanc de falaises, afin de se protéger des radiations, avant d’envisager dans un second temps de poser un dôme au-dessus de la cuvette et ainsi étendre la ville. C’est là que nous avons pensé confier la construction de ce dôme protecteur à des robots pour éviter aux humains de prendre le risque de se faire irradier. Et l’une des questions que pose le film, c’est de savoir quoi faire, une fois le dôme achevé, de tous ces robots créés, de toutes ces machines sensibles vivant parmi les humains.

De quels polars et de quelles œuvres SF avez-vous nourri votre Mars Express ?

Côté SF, il n’y avait pas vraiment de volonté consciente de faire un film « à la manière de ». Après, c’est sûr qu’il y a des rapprochements avec d’autres films, tels que Robocop ou 2001, l’Odyssée de l’espace. Mais nous avons laissé venir les choses naturellement de ce côté-là. Par contre, côté polar, on a pris le temps de s’organiser des séances pour revoir pas mal de films. On a ainsi revu En quatrième vitesse de Robert Aldrich, Le Privé de Robert Altman ou, nettement moins connu, La Méthode zéro de Jake Kasdan, un film de détective privé dans la veine d’un Sherlock Holmes avec Ben Stiller et Bill Pullman. J’ai aussi revu Chinatown de Polanski que je connaissais bien mais dont le scénario est tellement complexe et incroyable que cela méritait bien un nouveau visionnage. Et j’ai aussi pris beaucoup de plaisir à revoir Qui veut la peau de Roger Rabbit ? J’ai par ailleurs une fascination pour les films « paranos » américains des années 1970-1980, comme Conversation secrète de Francis F. Coppola, Blow Out de Brian De Palma, À cause d’un assassinat d’Alan J. Pakula ou encore Les Trois Jours du Condor de Sydney Pollack. À l’image de ces thrillers politiques, Mars Express a aussi son lot de personnages pris dans les affres d’une affaire trop grosse pour eux… Finalement les deux genres, science-fiction et polar, viennent s’imbriquer autour de cette idée de frontière entre le vrai et le faux. Dans le film, on a parfois du mal à différencier l’humain du robot. Un flou qui vient faire écho à celui de l’enquête pour établir la vérité. 

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Votre film pose effectivement la question du rapport entre le naturel et l’artificiel, l’homme et la machine ou encore celle de l’usage des IA et de leur avenir… Comment regardez-vous notre monde et nos sociétés se dépatouiller avec tout ça ?

Cela dépend de quel point de vue on se place. En soit, je n’ai absolument rien contre les robots et les Intelligences artificielles. Je trouve tout cela même très fascinant à la condition de se trouver dans un système politique, économique et social à même de les accueillir correctement. De les rendre compatibles avec nos existences. Au sein d’une logique capitaliste, je n’y crois pas du tout pour être franc. Je crains l’instauration d’une compétition entre l’humain et la machine. Parmi les revendications des scénaristes et des acteurs en grève récemment à Hollywood, on a déjà pu voir que les IA étaient au cœur du conflit. Les illustrateurs, les dessinateurs dans le domaine de l’animation se posent également des questions, à juste titre je pense, face aux générateurs d’images. Autant les IA peuvent s’avérer un outil hyper puissant et intéressant, autant, mal utilisées, elles pourraient avoir des conséquences humaines et sociales néfastes. Bref, dans une société à la Bernard Friot, je dis oui. Dans une société à la Elon Musk ou à la Jeff Bezos, je ne pense pas que ce soit très bon.

Quel cinéma a particulièrement bercé votre adolescence ?

J’ai baigné dans les films de Steven Spielberg, David Cronenberg, John Carpenter, les thrillers de De Palma. J’ai adoré découvrir Apocalypse Now ou Le Parrain de Coppola. Mais c’est aussi l’époque où j’ai découvert l’animation japonaise un peu pointue. Je me suis retrouvé dans des circuits où l’on récupérait des VHS transcodées sur lesquelles j’ai pu découvrir Nausicaä de Miyazaki avant même que le film ne sorte au cinéma. Pareil pour Ghost in the Shell de Mamoru Oshii. C’était tout en japonais non sous-titré ! J’ai aussi connu les OAV (Original Animation Vidéo), sorte de direct-to-video avant l’heure pour les productions d’animations japonaises. J’ai alors découvert des choses comme Venus Wars de Yoshikazu Yasuhiko ou encore Cyber City Oedo 808 et La Cité interdite de Yoshiaki Kawajiri. Des dessins animés aux inspirations proches d’un Dario Argento ou d’un John Carpenter, entremêlées à une esthétique d’animation nippone avec un peu moins de grands yeux et de cheveux roses tout de même. C’est aussi à cette époque que je découvrais de sombres copies du cinéma hongkongais, John Woo et autre Tsui Hark. j’ai adoré plonger dans ce paysage cinématographique asiatique bouillonnant et encore méconnu… C’était incroyable !

Y a-t-il un film qui vous ait fait grandir ? D’un coup ? 

Peut-être le 2001, l’Odyssée de l’espace de Kubrick. La première fois, je devais avoir autour de dix ans. Après je ne vais pas faire le malin en prétendant avoir tout compris mais le film m’avait fasciné. Je crois qu’il m’a cueilli avec sa musique, ce côté « vaisseaux » comme dans Star Wars, mais avec, derrière, un « truc » à l’œuvre bien plus profond. Et surtout je crois que j’adorais la fin avec toutes ces lumières. Un truc incompréhensible alors, mais tellement hypnotisant. Après je pense que les enfants peuvent se montrer bien plus réceptifs, en recevant les choses de façon beaucoup plus émotionnelles que les adultes, aux têtes remplies de conventions, de codes de lecture. Ils veulent comprendre ! Je le constate d’ailleurs avec Mars Express. Les « grands » viennent me voir pour me poser tout un tas de questions sur le sens de ci ou de ça, là où les plus jeunes reçoivent et comprennent très bien le film intuitivement.

Un film dont vous auriez aimé écrire le scénario ?

Il y en aurait certainement beaucoup mais là comme ça, je dirais encore Blow Out de De Palma. Il se trouve qu’en ce moment je réfléchis à un thriller, c’est pour ça que je l’ai en tête. Le scénario est dingue d’efficacité et le film assez imparable.

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Le film que vous avez vu mille fois mais impossible de ne pas le revoir même quand il passe à la TV alors que vous l’avez en DVD ?

Il y a parfois des films comme ça, effectivement, sur lesquels je tombe en me disant que je vais juste regarder le début… Récemment par exemple je me suis revu Heat de Michael Mann. J’avais commencé en me demandant « c’est quoi les premiers plans, déjà ? »… et près de trois heures plus tard, je regardais le générique de fin défiler. Dans le genre, il y a aussi Shining. Je suis un fou de mise en scène et ces films sont portés par un tel langage cinématographique que j’abandonne bien souvent l’analyse pour simplement céder au plaisir de prendre une claque. 

Une réplique qui vous inspire ?

Ce n’est pas forcément mon truc, les répliques cultes… Bien sûr j’apprécie un dialogue bien écrit mais je suis plutôt de l’école « si on peut se passer de dialogues, c’est bien aussi ».


Article rédigé par
Mathieu M.
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