Critique

Veiller sur elle, un Goncourt sculpté pour Jean-Baptiste Andrea

08 novembre 2023
Par Lisa Muratore
Veiller sur elle, un Goncourt sculpté pour Jean-Baptiste Andrea

Fraîchement couronné par la prestigieuse récompense, le quatrième roman de Jean-Baptiste Andrea est une fresque romanesque virtuose et poétique à travers l’Italie du XXe siècle, déjà récompensée par le Prix du roman Fnac.

Si Veiller sur elle (L’Iconoclaste) se déploie sur près de 80 ans, tout commence à partir de la fin. En 1986, le sculpteur Michelangelo Vitaliani (dit Mimo) est sur le point de rendre son dernier souffle. Depuis 40 ans, il vit dans une abbaye du Piémont, jamais bien loin de sa Pietà Vitaliani, statue qui bouleverse quiconque lui jette un regard. Mais aujourd’hui, Mimo se rappelle. Il tire le fil de sa vie d’artiste sans le sou, né en 1904 dans une famille de tailleurs de pierre, à travers la grande histoire de l’Italie.

Une rencontre capitale

Le point d’orgue de ce récit ? Sa rencontre avec Viola Orsini, héritière de l’une des familles les plus riches d’Italie. Entre eux, quelque chose se passe, un lien, une magie, une étincelle qui n’aurait jamais dû se trouver là.

Car Mimo et Viola n’appartiennent pas au même monde. Mimo travaille chez un oncle pour le moins sévère. Viola est une « fille de ». Pourtant, oui, quelque chose est en train de naître. Une amitié. Elle traversera les années, les époques, les lieux et les épreuves.

Ne pas rompre le lien

Au fil de l’histoire, chacun construit sa route. Viola se marie dans des circonstances difficiles, Mimo devient un grand sculpteur, de Rome à Florence. Mais, chaque fois, de retour au village de Pietra d’Alba, les deux grands enfants se retrouvent, comme ils se retrouvaient plus jeunes au cimetière, loin des barrières sociales. Et la magie opère à nouveau.

« Tout paraît plus petit quand on grandit, sauf les cimetières. »

Extrait de Veiller sur elle – Jean-Baptiste Andrea

Avec Viola, la relation n’est pas simple, pas toujours équilibrée. Mais elle dure. Aimants parmi les aimants, les amis se disputent, se retrouvent, semblent faits pour ne jamais avoir à se quitter. Dans cette perspective, chacune de leurs entrevues semble s’imposer comme un souffle, avant de reprendre ce que l’on appelle la vraie vie. Du romanesque, oui, du m’as-tu-vu, jamais.

Une épopée dans le temps

La vraie vie, il en est d’ailleurs pleinement question dans cette toile de fond italienne que Jean-Baptiste Andrea a tissée ici. Au fil des presque 600 pages qui lui ont valu le Prix du roman Fnac fin août, l’auteur dresse le panorama d’une histoire qui défile devant nos yeux, à l’instar de la montée du fascisme ; événement qui n’écrase jamais cette histoire où, perpétuellement, lesâmes et les rêves d’enfant se rallument au fond de l’Italie.

« Il n’y a pas de Mimo Vitaliani sans Viola Orsini. Mais il y a Viola Orsini, sans besoin de personne. »

Extrait de Veiller sur elle – Jean-Baptiste Andrea

L’Italie n’est d’ailleurs pas un pays choisi au hasard par Jean-Baptiste Andrea. Il s’agit de la terre de ses ancêtres, qu’il a largement fantasmée après en avoir été coupé. Un pays qui a donné naissance à tant de génies, un pays romanesque s’il en est, qui permet à l’auteur de déployer une écriture qui n’hésite pas à frôler une certaine sensorialité.

Les sens en éveil

Bien sûr, Veiller sur elle est une fresque romanesque, avec autant d’événements malheureux que l’histoire implique. Mais ce livre est aussi une merveilleuse invitation à sentir la nuit, les cannolis, les orangers des Orsini, et la pierre, toujours la pierre. Et si l’auteur nous plonge aussi parfois dans la saleté de certaines cités italiennes, c’est pour mieux montrer la richesse de sa plume, que l’on peine à lâcher, page après page.

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Une richesse qui, à certains égards, démontre une certaine ambition mesurée. Car Veiller sur elle ne se résume pas aux caprices du destin qui ballottent Mimo et Viola, loin de là. Jean-Baptiste Andrea s’éloigne parfois du romanesque de terrain pour tisser des réflexions subtiles sur l’art, la sortie de l’enfance, l’amour ou encore les reliefs de l’Italie, pays qui, de toute évidence, a inspiré un très beau prix Goncourt.

Veiller sur elle, de Jean-Baptiste Andréa, éditions L’Iconoclaste, 17 août 2023.

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Lisa Muratore
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