Décryptage

L’Armée des douze singes : un film, un univers

07 novembre 2023
Par Lucie
L’Armée des douze singes : un film, un univers

Restauré en 4K et désormais disponible dans une version Blu-Ray définitive, L’Armée des douze singes a marqué l’histoire de la science-fiction au cinéma. Signé Terry Gilliam, le long métrage s’inscrit dans un univers fictif international : remake du moyen métrage expérimental français La Jetée, l’œuvre a également inspiré une série télévisée. Retour sur ce chef-d’œuvre, ses inspirations et ses dérivés.

À l’origine de L’Armée des douze singes : La Jetée

À partir de 1953, le cinéma français découvrit l’écriture filmique d’un certain Chris Marker, qui commença sa carrière par des collaborations avec Alain Resnais, sur des documentaires comme Les Statues meurent aussi puis Nuit et Brouillard. Resnais, comme il le prouvera par la suite avec ses fictions Hiroshima mon amour et L’Année dernière à Marienbad, s’intéresse beaucoup à la manière d’aborder le temps et la mémoire au cinéma. Un thème qui a également une influence considérable sur Chris Marker, réalisateur génial autant que marginal, qui travaillera sur le thème du souvenir toute son existence.

La jetée

En 1962, Chris Marker sort son film le plus célèbre : La Jetée. Soit 28 minutes uniquement composées d’images fixes (à une exception près, en guise de clin d’œil), en noir & blanc, avec une voix off pour tout dialogue. Cette demi-heure de fiction nous plonge dans la vie d’un agent très spécial : un homme envoyé dans le passé par des scientifiques afin que les époques antérieures sauvent l’Humanité des années 1990, terrée dans les sous-sols après une dévastatrice Troisième Guerre mondiale.

Cherchant à recueillir des vivres et de l’énergie, il finit par rencontrer une femme, au cours d’un voyage dans les années 1960. Cette même femme le renvoie à un souvenir d’enfance, datant de la même époque, le meurtre d’un inconnu à Orly. Leur relation et la mission du héros prennent une tournure saisissante par le dispositif visuel, qui évoque davantage un album photo glaçant qu’un véritable film.

La jetée femme

Fable sur le pouvoir de l’image, la mémoire visuelle et l’absurdité du temps qui passe, La Jetée inspira par la suite de nombreux projets. Chris Marker lui-même révélera ses inspirations, en particulier Sueurs froides d’Hitchcock, dans une de ses méditations sur le souvenir et le passé, Sans Soleil.

Une adaptation et une appropriation : L’Armée des douze singes

Après la dystopie kafkaïenne de Brazil, l’ex Monty Python Terry Gilliam retourne à la science-fiction en 1995 en réalisant le remake de La Jetée. Rythmé par une partition nostalgique signée du maître du tango, Astor Piazzolla, le film présente un casting de blockbuster entièrement dévoyé. Bruce Willis en haut de l’affiche ? Il joue un héros voyageur dans le temps interné par erreur. Le jeune premier Brad Pitt ? Il incarne un fils à papa perclus de tics, en proie à des crises de schizophrénie. L’une de ses performances les plus hallucinées.

Brad Pitt

© Archives du 7eme Art – AFP

Tout le reste du film est l’avenant : déplaçant La Jetée dans un contexte nord-américain, au début des années 1990, L’Armée des douze singes déploie une imagerie cauchemardesque et onirique, très imprégnée de l’audace de Terry Gilliam. Pour densifier le scénario original, l’auteur rajoute l’intrigue des « douze singes », l’organisation qui serait à la base de l’apocalypse expliquant l’extermination d’une grande partie de l’Humanité dans le futur. En effet, c’est la diffusion mondiale d’un virus – et non la Troisième Guerre mondiale comme chez Marker -, qui a entraîné les humains de l’avenir à se réfugier sous terre et à envoyer des voyageurs temporels à la recherche du patient zéro dans le passé, pour arrêter l’épidémie avant qu’elle ne se déclenche.

Introduisant la dimension de folie (le héros est interné dans le « présent » du film parce qu’il prétend voyager depuis le futur) et le thème des apparences au matériau originel, le scénario de David et Janet Peoples développe également la « boucle » temporelle qui tient lieu de structure à La Jetée. Pourtant, L’Armée des douze singes a été réalisé sans que Terry Gilliam lui-même ne visionne le film. Ce qui fait de l’œuvre un univers cinématographique véritablement à part, où deux films sont réalisés à partir d’une même histoire sans être tout à fait liés entre eux. Comme une étrange résonnance avec le thème de la mémoire, L’Armée des douze singes ressemble au souvenir déformé de quelqu’un qui aurait copié La Jetée avec ses propres codes visuels…

Univers

© Universal pictures – Atlas enter – Collection ChristopheL – AFP

Une série pour boucler la boucle

Parmi les nombreux reboots de série classique ou d’adaptation TV d’univers cinématographique ayant eu lieu dans les années 2010 (où l’on peut compter V, Westworld et Hannibal) le feuilleton 12 Monkeys se détache. Joli succès, avec quatre saisons et un vrai final, cette saga se détache à la fois de Chris Marker et de Terry Gilliam pour dépeindre une course contre le temps avec des éléments visuels très marqués par l’esthétique de Stranger Things, notamment.

12 monkeys

Complémentaire du film de 1995, la série développe le caractère de « complot » qui faisait déjà l’un des attraits du long métrage de Terry Gilliam. Surtout, elle permet aux spectateurs de rester un peu plus longtemps dans cet univers de voyage temporel glaçant, dont L’Armée des douze singes est l’un des meilleurs exemples, en concurrence avec des œuvres diverses, mais prenantes, comme Le Voyageur imprudent de René Barjavel ou la série allemande Dark.

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Article rédigé par
Lucie
Lucie
rédactrice cinéma sur Fnac.com
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